Fyctia

Comme il fallait s’y attendre, le samedi de Phil et Jenna est consacré à la confection de nouveaux cartons. Lorsque Jenna s’attaque au contenu des tiroirs du bureau, Phil s’agace :

— Raaaa ! Mais pourquoi tu mets tout en vrac dans un carton ? Il faut trier. Il y a des tas de trucs qu’il faut jeter.

— Ah ouais ? Dans ce cas, pourquoi tu ne l’as pas fait avant ? Je te rappelle que tout ce bordel est le tien ! rétorque Jenna.

— Mais qu’est-ce qu’elle est bête ! Ce n’est pas possible d’être idiote à ce point ! Pourquoi je garderai des factures de téléphone ou mes cours de prépa au concours alors que je l’ai eu ? Ça t’arrive de réfléchir ? Ah bah, tu m’étonnes qu’elle n’a pas été prise en DESS…

Connard, connard, connard !!!

— OK ! Bah tu sais quoi ? Puisque je suis si bête que ça, démerde-toi tout seul avec tes cartons ! J’en ai ras le bol de me crever le cul pour toi, lance rageusement Jenna. Perso, j’ai emballé mes affaires il y a trois jours donc le bazar qui reste est le tien. Exception faite de la gazinière ainsi que de la table et les chaises que mes parents t’ont prêté. Sans oublier ma Playstation et mon combiné TV/ magnétoscope que j’ai ramené chez toi pour te faire plaisir alors que je n’ai qu’une toute petite télé dans mon propre appart !

Phil se raidit à ce rappel et fait machine arrière :

— Désolé, je suis stressé à cause du déménagement, se justifie-t-il, les yeux brillants.

— Mais oui… et donc c’est pour ça que tu m’en mets plein la tronche, ironise Jenna. J’en ai marre que tu passes tes nerfs sur moi ! Sans oublier ce que tu m’as balancé quand je n’ai pas été prise à la fac.

— Je suis désolé… J’ai été hyper déçu que tu ne sois pas retenue en DESS et j’ai mal réagi à cause de ça.

Contrairement aux excuses de Kristian, celles de Phil manquent de sincérité et Jenna serre les dents.

— On dira ça….

Ses yeux bleus de plus en plus embués, Phil précise :

— Jen, je t’aime…. Je sais que je m’y prends mal mais tu es la femme de ma vie. Je ne vois aucune autre à part toi. Si je réagis comme ça, c’est parce que j’ai envie qu’on vive enfin ensemble et qu’on passe à l’étape suivante. C’est pour ça que ça me rend dingue de devoir encore attendre un an, voire deux, que tu termines enfin tes études.

— Ce n’est pas une raison pour me rabaisser, rétorque Jenna. Je te rappelle quand même que ce n’est pas de ma faute si je n’ai pas eu mon diplôme l’année dernière et si cette saleté de Criquet m’a menée en bateau.

— Je sais… mais tu sais bien comment je suis, je m’énerve et je dis des choses que je ne pense pas.

— Sauf que ce que tu dis est blessant et que je ne supporte plus d’être traitée comme ça.

Phil baisse les yeux.

— Je… je vais faire des efforts.

— On verra ça… Une chose est sûre, je refuse de continuer à m’en prendre plein la gueule à la moindre occasion. Je fais ce que je peux pour m’en sortir et avoir mon diplôme et le moins qu’on puisse dire, c’est que tu ne me soutiens pas beaucoup.

— Oui, je vois bien que tu te bouges, admet Phil. Je suis content que tu te sois trouvé un petit travail et que tu te reprennes en main. C’est juste que je ne comprends pas pourquoi tu t’entêtes à vouloir faire un troisième cycle.

— Parce que je veux être psy. C’est l’aboutissement de toutes mes années d’études et je ne vois pas pourquoi je devrais y renoncer.

— Et si tu n’es pas prise l’année prochaine, tu vas faire quoi ? Tu ne peux quand même pas passer ta vie à postuler.

— Dans ce cas, je chercherai une autre solution. Je n’ai que vingt-trois ans, Phil. Je sais que tu es pressé mais moi j’ai le temps de voir venir. Ce n’est pas une découverte pour toi, souligne-t-elle. J’ai toujours été claire sur ce point. Je veux profiter de ma vie avant de m’installer en couple et d’avoir un enfant. Même si j’avais eu mon diplôme l’année dernière, je n’aurais pas changé d’avis. Je ne suis pas prête pour ça et ce n’est pas en te comportant comme tu le fais et en me mettant la pression que ça risque de changer.

Blême, Philippe avale sa salive.

— D’accord… souffle-t-il. Je vais… trier mes papiers, tu n’as qu’à faire une pause si tu veux.

— Oui, bonne idée, je vais faire ça. J’en ai plein le cul des cartons, revendique Jenna en se laissant tomber sur le canapé et en s’allumant une cigarette.

Après cet éclat, tous deux gardent un silence prudent avant de reprendre une conversation légère au bout d’un moment.

— Au fait, ce soir on va au resto avec Ben et Pascal, l’informe Phil vers six heures de l’après-midi.

— Ah bah tu fais bien de me le dire ! Du coup, je vais aller prendre une douche et me changer vite fait.

***

La soirée à la pizzéria se déroule bien. Pendant que Phil et Ben parlent placement et achat d’actions, Pascal et Jenna bavardent dans leur coin.

— C’est trop de la balle que les Bretons ne soient pas là, se réjouit Pascal. D’ailleurs comment ça se fait ?

— Ils étaient invités à manger chez le grand frère de Gwen, il n’habite pas loin mais ils se voient rarement, explique Jenna.

— En tout cas, ils ne me manquent pas. Sinon, tu as vu Diana dernièrement ? Elle va bien ?

Et c’est reparti… ils commencent à me gonfler à tourner autour du pot comme ça.

— Oui super. Pascal, je peux te poser une question indiscrète ?

— Euh… oui.

— Tu regrettes vraiment de ne plus être avec Diana ou c’est juste parce que tu n’as pas de copine depuis un moment que tu penses à elle ?

— C’est réellement Diana qui me manque, déglutit Pascal. J’ai toujours des sentiments pour elle et je suis dégoûté d’avoir tout foiré avec elle. Maintenant, elle ne voudra plus jamais de moi.

— Elle te l’a dit ?

— Non mais… c’est évident non ?

OK… on dirait qu’il va falloir donner un petit coup de pouce au destin, sinon ils vont continuer à me saouler.

—Peut-être que tu devrais lui poser la question et en parler avec elle… qui sait, sa réponse pourrait te surprendre…

Le regard de Pascal s’illumine.

— Elle t’a dit quelque chose ?

— Allons, tu sais bien que je ne répète pas les confidences de mes copines, sourit Jenna.

— Mais tu penses que j’aurais intérêt à aller la voir ?

— Disons que si j’avais un conseil à te donner, ce serait celui-là. Qui ne tente rien n’a rien. Et au moins comme ça, tu seras fixé au lieu de te faire des films sur ce que pense Diana.

— Tu as raison, soupire Pascal. Je lui téléphonerai demain pour lui proposer qu’on se voie et qu’on discute.

Et voilà, mission Cupidon accomplie ! Pas de quoi, hein.

Les quatre amis terminent la soirée dans un bar. Quand Phil et Jenna rentrent chez lui, ils se couchent directement.