Fyctia

Après le restaurant, Marjo et Jenna vont boire un verre sur les grands boulevards et continuent à échanger des confidences, leur belle harmonie retrouvée. Elles évoquent leurs travails respectifs.

— Je bosse trop, grimace Marjo. Je te jure, je me tape plus de quarante heures sur la semaine et des fois je suis encore obligée de tafer chez moi le week-end ! Alors ils me font bien marrer tous ces connards avec leurs trente-cinq heures.

— Ah moi, ça sera plus tranquille vu que ça dépend du nombre de clients, admet Jenna. C’est l’avantage. Ça et le fait que je devrai bosser un week-end sur deux quand on aura du monde. Comme ça, j’aurai une bonne excuse pour ne pas aller chez Phil.

Marjo éclate de rire devant cet argument.

— Sérieux, là on sent trop ton attachement pour lui !

— Raaaa, ce n’est pas ça mais j’en plein le cul de passer mes week-ends avec les Bretons et compagnie. Je te jure, des fois même Pascal me gave.

— En parlant de lui, je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée d’encourager Di dans son délire de se remettre avec lui, lâche Marjo.

— Elle ne dit pas qu’elle souhaite qu’ils se remettent ensemble.

— Raaa Jen, s’il te plaît… c’est clair comme de l’eau de pluie qu’elle n’attend que ça.

— Je sais… admet Jenna. Mais que veux-tu qu’on y fasse ? Pascal et Diana sont grands, on ne peut pas décider pour eux.

— Oui, mais tu pourrais lui rappeler subtilement les mauvais côtés de Pascal.

— Qu’est-ce que tu crois ? Je l’ai déjà fait mais je crois qu’elle est toujours amoureuse de lui. Et j’ai l’impression que lui aussi, du coup de quel droit on s’en mêlerait ? Imagine comment tu réagirais si tu avais une chance de te remettre sérieusement avec Tom et que Diana et moi on faisait tout pour saboter le truc !

— Mmmm… pas faux. C’est juste que je n’aime pas trop Pascal. Je sais que c’est ton grand pote mais je le trouve faux-jeton. Et je n’ai pas envie de devoir ramasser Diana à la petite cuillère à cause de ce type.

— Je doute que Diana se laisse faire comme la première fois, observe Jenna. Elle a gagné en assurance et elle s’affirme beaucoup plus.

— C’est vrai, reconnaît Marjo. Enfin, on verra… le danger n’évite pas la peur comme on dit.

— La peur n’évite pas le danger, la corrige Jenna.

— Hein ?! Bah c’est pareil, tu as compris l’idée.

Elles poursuivent leur discussion autour d’un second verre avant de rentrer chez Marjo et de se coucher.

***

Le lendemain, Jenna retrouve Philippe avec appréhension. Elle craint qu’il ne reprenne leur « dispute » de la veille. S’il me prend la tête, cette fois je me casse et je rentre chez moi, se promet-elle. Phil doit avoir un sixième sens car lorsqu’il récupère Jenna, il se montre charmant et ne fait aucune allusion au choix de Jenna, ni ne tente de le remettre en question. À moins qu’au final, après réflexion, il a trouvé une certaine satisfaction dans le fait que Jenna n’aille pas à Paris… près de Kristian.

Le week-end est calme : télévision, films de location et rituelles galipettes insatisfaisantes sous la couette. Le sujet de l’échec de Jenna n’est pas évoqué une seule fois, pas plus que son choix de rester étudiante ou les projets avortés de Philippe. À la place, ils planifient son déménagement futur.

— J’ai posé mon jeudi et mon vendredi pour faire mes cartons, tu pourrais revenir pour m’aider ? requiert Philippe.

— Oui, si tu veux, accepte Jenna.

***

De retour dans son studio, Jenna file s’inscrire à la fac de médecine. Munie de sa précieuse carte d’étudiante toute neuve et d’un certificat d’inscription en DU, elle file dans le bureau de la responsable de la résidence. Celle-ci tique un peu :

— Vous n’avez cours qu’un après-midi par semaine, c’est léger… Qu’allez vous faire du reste de votre temps ?

Jenna opte pour la franchise :

— J’ai trouvé un job à temps partiel auprès d’enfants et d’adolescents avec des difficultés d’apprentissage. L’idée est d’étoffer mon dossier pour l’année prochaine mais je ne gagnerai pas suffisamment d’argent pour payer un loyer plus élevé.

La responsable prend une profonde inspiration, hésitant visiblement, puis :

— Vous avez de la chance que je vous aime bien… nous avons trois personnes en attente pour un studio ici. Enfin… je vous prépare votre avenant de location pour cette année. Repassez avant quinze heures pour le signer.

Soulagée, Jenna la remercie chaleureusement. Son logement assuré, elle téléphone à Dahu.

— Ah Jenna ! Qu’avez-vous décidé ?

— Je prends le poste si vous voulez toujours de moi.

— Très bien, je vous prépare votre contrat. Pour le salaire…

— On était sur sept euros dix de l’heure, lui rappelle Jenna.

— Oui, mais c’était pour un remplacement d’urgence…

Ah non ! Déjà que je reste ici parce que je n’ai pas le choix…

— Je ne descendrai pas en dessous, déclare Jenna avec le plus de fermeté dont elle est capable, le cœur battant à tout rompre à la perspective qu’il l’envoie balader.

— D’accord, cède-t-il au bout de quelques secondes. J’aurai sans doute besoin de vous la semaine prochaine. Je vous appellerai pour vous donner la date et vous signerez votre contrat avant de prendre votre poste.

— C’est parfait, merci beaucoup. Bonne journée et à la semaine prochaine.

***

Assise sur son canapé, Jenna avale sa salive en voyant le générique des Feux de l’amour commencer. Elle ne peut plus reculer… elle doit prévenir Kristian du changement intervenu dans ses projets. Celui-ci répond au bout d’une sonnerie et le cœur de Jenna se serre en entendant son joyeux « salut la miss ».

— Salut…

— Alors, tu emménages quand ? Le CROUS t’a déjà trouvé un appart’ ?

Avalant sa salive, Jenna coasse :

— Je n’ai pas été prise en DESS.

— Si tu es sur liste d’attente, il y a bien une place qui va se libérer… Ne te décourage pas.

— Je ne suis même pas sur liste d’attente, précise Jenna.

— Merde. Je suis désolé pour toi la miss. Du coup, tu vas devoir refaire une maîtrise mais bon tu es encore jeune, tu as le temps… tu as choisi quelle fac ?

Jenna prend une inspiration :

— En fait, l’assistant social du CROUS m’a conseillé de plutôt trouver un taf en rapport avec mes études pour étoffer mon dossier afin de repostuler l’année prochaine. Donc… vu que le centre où j’ai bossé m’a proposé un contrat, bah je me suis réinscrite à la fac ici.

— Hein ?! Tu veux dire que tu ne viens plus !? s’emporte Kristian.

— Kris… vu que je ne suis pas prise en DESS, je n’ai aucune raison de m'installer à Paris, soupire Jenna.

— Aucune raison, répète Kristian d’un ton blessé. Je vois, c’est très clair. Donc au final, tu vas emménager avec Phil et lâcher tes études. En vrai, tu n’as jamais eu sérieusement l’intention de vivre ici et tu m’as pris pour un con en m'affirmant le contraire.