Fyctia

Jenna arrive chez Kristian à quatorze heures tapantes, soulagée d’avoir évité le déjeuner en compagnie de Kimberly même si cela signifie moins de temps passé avec Kristian. Celui-ci l’accueille avec un grand sourire et un café bien chaud. Une fois installés, ils échangent des nouvelles. Jenna explique à Kristian qu’elle n’aura pas ses résultats avant le lendemain.

— Je croise les doigts pour toi !

Tu fais bien parce qu’à mon avis c’est loin d’être gagné, angoisse Jenna.

— Sinon, et toi quoi de neuf ? lui demande-t-elle.

— Bah ceci cela, la vie… Kimberly est très casse-couilles en ce moment, soupire Kristian.

Sérieux, il y a des moments où elle ne l’est pas ? songe Jenna tandis qu’il poursuit :

— Elle est repartie comme en quarante avec son envie de bébé et elle est en boucle là-dessus.

— Ouille… mes condoléances, compatit platement Jenna.

Kristian hausse les épaules avec philosophie puis l’interroge à brûle pourpoint :

— Et toi la miss, tu veux avoir des enfants un jour ?

Jenna prend quelques secondes pour réfléchir à la question avant de formuler sa réponse :

—Oui, je pense que j’en voudrai à un moment ou un autre. Après tout, c’est dans l’ordre des choses et j’ai envie de construire ma vie. Donc oui, je veux des enfants mais pas 150 000 non plus. Un serait bien, grand maximum deux. Mais avant de penser à avoir un bébé, je dois finir mes études, trouver un travail… M’installer en couple et voir si ça marche... Tu vois, toutes ces choses qui construisent une vie… Ce n’est pas le tout d’avoir un bébé, encore faut-il pouvoir subvenir à ses besoins et lui assurer un environnement stable. Du coup perso, je ne me projette pas avec un enfant avant au moins trois ans. Je veux en profiter avant de passer le cap.

Kristian sourit et hoche la tête avec approbation.

— Tu as bien raison de vouloir prendre ton temps. Avoir un enfant te piège avec l’autre pour toute la vie. Ce n’est pas une décision qui se prend sur un coup de tête. Et je suis d’accord avec toi : il faut sécuriser sa situation avant de passer à cette étape de la vie. C’est ce que je n’arrête pas de dire à Kimberly mais elle ne comprend pas que je veux attendre d’avoir fini l’école …

Jenna lui adresse une moue compréhensive, même si les papillons se replient tristement dans leurs cocons.

— En fait, je me dis que je passerais bien des concours internes une fois ma formation terminée, ajoute Kristian. Si je les ai, ce sera deux ans en plus d’école… Kimberly n’est pas très chaude…

Tu m’étonnes, songe Jenna tandis qu’il rit jaune. Elle approche des trente ans et elle a les hormones en ébullition… Surtout que, vu ce que tu dis, elle sait que si tu l’engrosses, elle te mettra le grapin dessus pour de bon… Elle a tout intérêt à te foutre la pression.

— Tu en dis quoi ? la relance Kristian devant son silence. Tu crois que je devrais passer les concours internes même si ça représente deux ans d’école en plus et repousse le fait d’avoir un enfant ?

— J’en pense que tu dois faire ce que toi tu veux et non ce que souhaitent les autres. Si tu n’es pas prêt à avoir un enfant, c’est ton droit. Un bébé ça se fait à deux et c’est une grosse responsabilité. Pour moi, c’est normal que tu veuilles aller au bout de tes projets avant de te lancer.

— Voilà… soupire Kristian. C’est pourtant simple à comprendre. J’aimerais bien m’acheter une voiture aussi. J’en ai marre de partager celle de Kimberly et de devoir la déposer et aller la rechercher au taf quand j’ai besoin de la voiture. D’ailleurs, ça me fait penser qu’il faut que je la récupère ce soir.

— C’est sûr que si tu as ta propre voiture, tu seras plus libre de tes mouvements…

— C’est l’idée la miss ! Comme je ne serai plus obligé d’aller la chercher au taf, je pourrai rentrer quand je veux. Ce sera plus pratique…

Ils échangent un long regard et un sourire puis Kristian enchaîne :

— Sinon Chouchou m’a appelé la semaine dernière.

— Ah bon ?! s’étonne Jenna. Qu’est-ce qu’il te voulait ?

— Pffff… parler de Marjo, déclare Kristian tout en s’allumant une cigarette. Il m’a gavé pendant une heure avec ses histoires. Du coup, j’y ai réfléchi sérieusement…

— Ah, ça t’arrive ? plaisante Jenna.

— Ah ah ah… très drôle la miss ! Bref, je disais que j’y ai repensé et en fait, Chouchou n’a pas de comptes à demander à Marjo. OK, elle lui a roulé une pelle et alors ? Ils ne sont pas ensemble et ils ne vivent rien. Donc Chouchou n’a pas à réagir comme ça, Marjo fait ce qu’elle veut.

— Oui, mais tu sais bien que Chouchou est amoureux d’elle… soupire Jenna. En l’embrassant, elle lui a donné de l’espoir. C’est pour ça qu’il est si furieux.

— Ça c’est le problème de Chouchou, pas celui de Marjo, argumente Kristian. Même si Chouchou a envie d’être avec Marjo, ils n’ont pas d’histoire tous les deux. S’ils avaient des relations sexuelles suivies, ce serait différent parce que ça signifierait qu’ils ont un réel attachement l’un pour l’autre et là, Chouchou serait en droit de lui demander des comptes. Mais ce n’est pas leur cas donc Chouchou devrait garder ses états d’âme pour lui et arrêter de prendre la tête à Marjo !

Troublée, Jenna le fixe.

— Donc pour toi… tout repose sur le sexe ?

— Non, ce n’est pas ce que j’ai dit. Il y a une différence entre un coup d’un soir — voire deux, rit Kristian avant de reprendre son sérieux, et une liaison suivie. Même si les deux personnes ne sont pas officiellement ensemble, il y a un engagement tacite entre eux et ça va au-delà du sexe. Pour moi, on ne peut pas faire l’amour régulièrement avec une personne sans rien éprouver pour elle. Bref, tout ça pour dire que celui qui a tort, c’est Chouchou et non Marjo, conclut Kristian avant d’attraper un jeu de cartes. On se fait un petit poker ?

Jenna accepte tout en se traitant mentalement d’imbécile. Kristian lui a inconsciemment tendu une perche énorme pour qu’ils parlent enfin de leur relation et comme toujours, elle l’a laissé passer !