Fyctia

De retour chez ses parents, munie du précieux dossier de Paris XIII qu’elle a enfin reçu, Jenna traîne comme une âme en peine entre deux brouillons de lettre de motivation. Son apathie n’échappe à sa mère qui s’inquiète :

— Tout va bien avec Phil ?

Sincèrement surprise par la question, Jenna opine :

— Bah oui. Il va être titularisé sur son poste et il cherche un appartement plus grand.

L’air pincé, sa mère reprend :

— Donc si ce n’est pas Phil, je suppose que c’est encore à cause de l’autre que tu tires une tête pareille…

Attendu qu’il est superflu d’interroger sa mère sur l’identité de « l’autre » en question, Jenna répond :

— Mais non…

— C’est cela, je vais te croire. De toute façon, à chaque fois que tu affiches cet air tristounet, c’est que tu as vu Kristian. Qu’est-ce qu’il a encore fait ?

— Rien justement, marmonne Jenna. On s’est vus et il ne s’est rien passé.

— Ah bah ce n’est pas plus mal ! se félicite sa mère.

Super, j’ai le cœur en miettes et elle, elle s’en réjouit !

Le regard de sa mère tombe sur le dossier que Jenna est occupée à remplir.

— Tu vois, tu aurais dû m’écouter et postuler à Nancy ou à Amiens au lieu de t’entêter à vouloir absolument aller à Paris pour être avec lui ! J’espère vraiment que tu ne vas pas te retrouver le bec dans l’eau à cause de cet abruti.

Une boule dans la gorge, Jenna baisse la tête.

— Ah là, là… soupire sa mère. Quelquefois, je me demande ce que tu as dans le crâne. Pourquoi faut-il que tu sois toujours aussi naïve ? Tu as cru ton Kristian sur parole quand il t’a dit qu’il avait envie que tu viennes le rejoindre à Paris et voilà où en est ! Mais quand comprendras-tu que ce mec ment comme il respire ?! Il t’a fait miroiter des choses et espérer alors qu’il est évident depuis le début qu’il n’y a que ton cul qui l’intéresse et qu’il n’a jamais eu l’intention de quitter sa nunuche pour toi.

— Il ne m’a jamais rien promis ! s’insurge Jenna.

— Pfff dans ce cas, c’est encore pire que ce que je pensais…

Vexée, Jenna serre les dents.

— C’est quand même logique que je préfère aller dans une ville où j’ai déjà des amis ! Il n’y a pas que Kris que je connais à Paris, je te rappelle.

— Ah oui… Marjo. Encore une que tu gagnerais à éjecter de ta vie. Tu sais, parfois, il vaut mieux être seule que mal accompagnée, Jenna. Et c’est valable aussi pour les amis.

— Mais oui… s’agace Jenna. C’est bon, tu as fini ? Parce que j’aimerais bien finir de remplir mon dossier pour pouvoir l’envoyer demain, sinon c’est sûr que je ne serai prise nulle part.

Levant les yeux au ciel, sa mère soupire :

— Je sais que tu as l’impression que le monde s’écroule mais tu verras que d’ici quelques temps, tu ne penseras plus à ce Kristian et que tu réaliseras que tu es mieux sans lui.

Ça j’en doute… Peu désireuse de relancer la conversation, Jenna garde cette pensée pour elle et s’empare de son stylo.

Bon alors… ma motivation pour étudier dans cette fac ? En vérité, à part Kris, pas grand-chose. Pfff eh bien, je ne suis pas sortie de l’auberge. Allez, concentration Jenna !

***

En milieu de semaine, Diana téléphone à Jenna afin de prendre de ses nouvelles.

— Bof… soupire Jenna. Enfin, j’ai quand même réussi à terminer mon dossier pour Villetaneuse et je l’ai envoyé hier. Et toi ? Quoi de neuf ?

— J’ai fini mon mémoire ! s’exclame Diana. Je n’ai plus qu’à le corriger et je vais enfin pouvoir passer ma soutenance.

— C’est super ! Qu’est-ce que tu vas faire maintenant ?

— Je vais m’inscrire au CAPES et là je cherche un stage pour découvrir le métier et m’assurer que ça me plaît.

Jenna sourit tandis que Diana change de sujet.

— Sinon, j’ai eu un texto de Thierry. Il fait une fête samedi soir et m’a proposé de venir. Vous y allez, vous ?

— Phil ne m’en a pas parlé mais j’imagine que oui. Je dois l’appeler ce soir, je te dirai, promet Jenna.

Le prénom de Pascal flotte un instant entre les deux correspondantes mais aucune ne se décide à le prononcer.

— Et Kris ? demande Diana du ton de quelqu’un qui marche sur des œufs.

— Aucune nouvelle. C’était couru d’avance… Je suis sûre qu’il ne viendra pas la semaine prochaine.

— Et moi, je suis certaine du contraire… à tous les coups, il fait des pieds et des mains pour venir. Je suis sûre qu’il va t’appeler demain ou après-demain pour te le dire.

— On verra bien… répond tristement Jenna.

— On en reparlera, assure Diana. Sinon, rapport choucroute mais tu as eu Marjo dernièrement ?

— Absolument pas. Ni texto, ni appel et je t’avoue que je n’ai pas essayé de la joindre non plus. Et toi ?

— Pareil. J’en ai marre d’être la seule à faire des efforts pour garder le contact avec elle donc c’est hors de question que je fasse le premier pas. Et si elle n’appelle pas eh bien… au moins ce sera claireuhhh quoi, comme dirait Chouchou.

Jenna glousse à l’imitation avant de reprendre son sérieux.

— Tu n’as pas tort, approuve-t-elle. Si elle veut savoir ce qu’on devient, elle sait où nous trouver.

On peut remettre en question la maturité d’une telle résolution… cependant les incidents diplomatiques se sont multipliés durant les derniers mois et elles sont unanimement lasses des contretemps et autres fausses excuses de Marjo.