Fyctia

D’un ton joyeux, Kristian annonce :

— Tu sais mon concours… eh bien en fait je l’ai eu. Kimberly s’est trompée quand elle a consulté les résultats.

Sérieusement ?! Elle s’est trompée pour l’écrit ET pour l’oral ? Soit elle ne sait pas lire et est complètement débile, soit elle se fout ouvertement de la gueule du monde ! pense Jenna tandis que le soulagement la submerge.

Elle se mord la langue pour ne pas commenter la nouvelle « malencontreuse erreur » de Kimberly et félicite chaleureusement Kristian à la place.

— C’est super ! Je suis trop contente pour toi ! Tu vois qu’il ne fallait pas désespérer !

— Merci la miss. Je t’avoue que je suis super heureux de l’avoir eu. Normalement, je devrais recevoir ma date d’incorporation d’ici trois ou quatre mois ainsi que le lieu de ma formation… Le truc c’est que c’est un an en internat et pas forcément à Paris … alors je ne sais pas trop ce que je vais faire, soupire Kristian.

Nous y voilà… grince Jenna. Bien sûr qu’elle s’est « trompée » ! Si Kristian est envoyé ailleurs, ça retarde bague au doigt et bébé… Je suis certaine qu’elle a menti dans l’espoir qu’il l’engrosse avant de savoir qu’il va peut-être devoir partir et que du coup il se retrouve forcé de rester.

L'incertitude vibre dans la voix de Kristian et Jenna reprend, après un soupir :

— Kris… Cela des années que tu veux entrer dans la police ou la gendarmerie… Tu n’arrêtes pas de dire que c’est ce que tu veux faire alors ne renonce pas maintenant. La formation ne dure qu’un an et après tu seras tranquille. Un an ce n’est rien dans une vie. Ça te tient à cœur donc tu dois le faire pour toi… En plus, tu ne sais même pas où ils vont t’envoyer. Souviens-toi de ta devise… carpe diem ! Ne te fais pas de nœuds au cerveau sans savoir.

— Tu as raison…

— J’ai toujours raison, professe Jenna. Plus sérieusement, je pense que tu devrais aller au bout mais au final c’est ton choix et il n’appartient qu’à toi.

L’éventualité de voir Kristian partir au loin pendant un an fend le cœur de Jenna mais il a trouvé sa voie et elle veut qu’il soit heureux, quand bien même elle devrait en souffrir. Après une inspiration elle ajoute, autant pour lui que pour elle-même :

— Garde à l’esprit que ce n’est que pour quelques mois et que ce n’est pas comme s’ils allaient t’envoyer à l’autre bout du monde, genre la Nouvelle-Calédonie… Désolée, c’était trop tentant, plaisante-t-elle.

Kristian soupire.

— Tu ne me le pardonneras jamais, hein ?

— Jamais, confirme Jenna d’un ton enjoué. Plus sérieusement, fais ce dont toi tu as envie et ne t’occupe pas de ce que veulent les autres. C’est ta vie, pas la leur.

— Merci la miss, ça m’a fait du bien de t’en parler.

— À ton service. Tu sais que si tu as besoin, je suis là.

— En parlant de ça… reprend Kristian d’un ton coquin. Ça serait bien qu’on se voit.

— Si tu veux, on fait la fête chez moi la semaine prochaine, Marjo remonte pour ses vacances.

— J’aimerais bien mais Kimberly est en congés et on a prévu de partir, soupire Kristian.

Jenna grimace. Punaise, je l’avais presque oubliée celle-là !

— Par contre, je ne bosse pas les mardi, mercredi et jeudi de la dernière semaine d’août, ça serait bien que tu puisses venir !

— Oui, accepte Jenna. Ça peut se faire.

— On se rappelle le lundi ? Avant, je serai avec elle donc je ne pourrai pas trop te parler comme je veux…

— OK !

Ils bavardent encore une dizaine de minutes, faisant des plans pour leur prochaines retrouvailles, puis raccrochent.

Une fois sa conversation avec Kristian terminée, Jenna secoue la tête en songeant la dernière « petite erreur » de Kimberly. Plus elle la côtoie et en apprend à son sujet, plus sa conviction se renforce. Cette fille n’est pas aussi gentille qu’ils le croient tous. Sous ses airs placides et innocents, je suis sûre qu’elle est prête à tout pour que Kristian reste avec elle. Du reste, elle a montré son vrai visage dès qu’on s’est retrouvées toutes les deux quand je suis venue la dernière fois. Quoi qu’en dise Marjo, je me méfie de cette petite garce hypocrite comme de la peste.

***

Le lendemain pendant que Phil est parti courir, Jenna reçoit un appel de Diana. Cela fait deux semaines, depuis la providentielle coupure de réseau, qu’elles ne se sont pas parlé.

— Salut ! Tu es toujours en vie ? lui demande Diana.

— Comme tu vois. Quoi de neuf ?

Diana lui raconte qu’elle est chez ses parents et partage son temps entre son travail universitaire et sa bande de copains. Ensuite, elle interroge Jenna sur ses vacances.

— Tout s’est super bien passé, assure Jenna.

Peu désireuse de s’étendre sur le sujet, elle embraye sur ses récents problèmes dentaires. Après avoir compati, Diana demande :

— Sinon, on se voit toujours la semaine prochaine ? Tu te rappelles que Marjo est en vacances et qu’on a prévu d’en profiter pour faire des choses ensemble ?

— Oui, bien sûr. Phil reprend le taf lundi donc je remonterai chez moi en début d’après-midi.

— Cool comme moi ! J’ai eu Elsa aussi, elle arrive mardi et repart jeudi. On a prévu de faire la fête.

Jenna sourit.

— Chic ! De mon côté, j’ai eu Hélène au téléphone hier après-midi et elle sera peut-être des nôtres tout dépendra de son boulot.

— Euh… OK. Par contre, ça serait bien que tu préviennes Marjo de sa visite éventuelle.

— Ah ? fait mine de s’étonner Jenna. Je ne vois pas trop pourquoi… après tout, j’imagine que comme d’hab les soirées se passeront dans mon appart. Du coup vu que je suis chez moi, je fais ce que je veux et j’invite qui je veux. En plus, je ne me souviens pas que Marjo m’ait déjà demandé mon avis avant d’inviter Juju ou Vivi.

— D’accord… répond Diana d’un ton hésitant. Euh… Jen, il y a un problème ?

— Non pourquoi ?

— Bah… ça fait presque deux semaines que tu n’as pas donné de nouvelles.

— J’étais en Provence, lui rappelle Jenna. Normalement, tu as dû recevoir une carte postale.

— Oui, mais tu n’as appelé personne… ni même envoyé de texto.

— Personne n’a cherché me joindre non plus, rétorque Jenna.

— Certes… accorde Diana. Donc tout va bien ?

— Nickel, assure Jenna.

Tant que vous vous mêlez de vos affaires, toutes autant que vous êtes.

— OK… bon bah à lundi alors…

— C’est ça. Bon week-end, bises.

Après cette conversation liminaire avec Diana, Jenna repose son portable sur la table basse. En dépit du temps écoulé, elle a encore à l’esprit ses derniers échanges avec Marjo et Diana ainsi que la manière dont elles l’ont cassée avec une parfaite coordination. Ça va être plus compliqué pour vous de le faire si je ne vous dis plus rien d’important, grince-t-elle.