Fyctia

Lorsque le réveil sonne quelques heures plus tard, Marjo et Jenna poussent un soupir dégoûté. Elles n’ont dormi que cinq heures et se font violence pour sortir du lit.

— Je passe te récupérer chez Kris après le boulot, promet Marjo. Normalement, je devrais être là pour dix-huit heures. Si jamais je suis en retard je te préviens.

— Super ! Merci Marjo, sourit Jenna.

Elles se séparent après deux stations de métro, chacune allant dans une direction différente.

— Bonne journée ! lance joyeusement Jenna à Marjo en sortant de la rame.

***

Quand Jenna arrive chez Kristian vers dix heures, il l’accueille d’un :

— Pourquoi je dois demander à Paul de m’héberger quand je viendrai ? Je pensais que je dormirais chez toi !

— Évidemment que tu dors chez moi. Mais j’ai trouvé ça un peu malvenu de le dire devant Kimberly, s’amuse Jenna.

— Ah… oui, pas faux. Je n’y avais pas pensé.

Levant les yeux au ciel, Jen s’esclaffe :

— Quelquefois, je me demande si ça t’arrive de réfléchir. Sérieux, c’est un miracle qu’elle ne t’ai jamais chopé. Tu as vraiment le cul bordé de nouilles.

— Ahahaha… très drôle la miss. Pour ton information, je suis moins con que tu le penses.

— Je n’ai jamais dit que tu l’étais, rectifie Jenna. Tout ce que je dis c’est que tu es un peu trop insouciant.

Kristian jette un œil à l’horloge.

— Merde, je n’avais pas vu qu’il était aussi tard. On va devoir bouger pour aller chercher Jean-Luc. J’espérais que tu arriverais plus tôt.

— Je sais, mais j’ai attendu le métro pendant des plombes, se justifie Jenna tout en passant sa veste.

***

Après une dizaine de minutes en voiture, Kristian se gare devant un café situé en face de la gare.

— Ah, Jean-Luc est déjà là, remarque-t-il en désignant un homme âgé d’une quarantaine d’années. Tu verras, il est sympa. C’est un vieux garçon et il me fait un peu mal au cœur. Il est tout le temps tout seul, c’est pour ça que je l’ai invité.

Jenna hoche la tête tout en le suivant vers la table occupée par Jean-Luc. Kristian fait les présentations et Jean-Luc s’autorise un petit sourire entendu.

— Ah oui… la fameuse Jenna.

Encore ! Mais qu’est-ce que Kris a raconté à ses collègues au juste ? s’interroge Jenna tout en faisant les quatre bises rituelles à Jean-Luc.

— Un petit café ? propose justement Kristian.

Ils s’installent tous les trois et bavardent joyeusement avant de faire une partie de flipper. L’ambiance est légère et ils s’amusent bien, des bières remplaçant les cafés. Au bout d’un moment, Jenna jette un œil à son portable.

— Je ne voudrais pas casser l’ambiance mais il est midi moins cinq….

— Merde, Kimberly ! s’affole Kristian. Je suis sensé la récupérer au taf. Elle va me tuer…

Ils terminent leurs bières en deux temps trois mouvements puis s’engouffrent dans la voiture. Survolté, Kristian roule à tombeau ouvert jusqu’au travail de Kimberly et ils arrivent à destination avec un peu plus de cinq minutes de retard. Kimberly gratifie Kristian d’un smack avant de saluer Jean-Luc et Jenna.

— Comment ça se fait que vous arriviez aussi tard ? les interroge-t-elle.

— Ah bah on buvait un coup et on n’a pas vu le temps passer, se justifie Kristian.

Pfff elle se prend vraiment pour une princesse l’autre, grince Jenna tout en gratifiant Kimberly d’un sourire affable.

***

Une fois chez lui, Kristian se tourne vers Jenna.

— Tu veux bien servir l’apéro, la miss ? Tu sais où sont les verres et les bouteilles. Moi je vais chercher les assiettes.

— Euh… si tu veux, répond Jenna un peu décontenancée.

Elle est peut-être un peu trop à cheval sur les convenances, mais selon elle, c’est la maîtresse de maison qui devrait servir les invités. Toutefois, Kimberly ne paraît pas en prendre ombrage et se laisse tomber sur une chaise pendant que Kristian et Jenna s’activent.

Durant l’apéro, Kristian bavarde avec Jean-Luc et Jenna prend sur elle pour en faire de même avec Kimberly.

— J’espère vraiment que la France va gagner ! répète-t-elle en couvant Kristian d’un regard possessif que Jenna — il va sans dire — trouve tout bonnement écœurant.

Pendant que Kristian et Jean-Luc font des pronostics sur le match, Kimberly interroge Jenna sur ses projets.

— Tu comptes reprendre des études à la rentrée ?

— Oui, je vais postuler à Nanterre. J’espère que je serais prise.

Le sourire de Kimberly se fane légèrement et il est visible qu’elle n’est pas ravie d’apprendre la nouvelle.

— Ah… tu ne veux pas rester où tu es ?

— Après la manière dont ils m’ont traitée ? Certainement pas, affirme Jenna riant intérieurement devant l’air déconfit de sa rivale.

Plus la conversation se poursuit, plus la certitude de Jenna se consolide. Elle sait ou du moins, elle se doute de quelque chose, songe-t-elle en affectant un air inoffensif. L’apéritif se poursuit tant et si bien que Kimberly se résigne à aller se chercher quelque chose à grignoter dans le frigo afin de ne pas retourner travailler le ventre vide. Au bout du quatrième verre, Kristian, les joues empourprées est clairement surexcité et ne cesse de parler. Kimberly lui adresse un regard noir avant de se lever.

— Bon, je crois qu’il vaut mieux que je retourne bosser à pied.

Ensuite, elle se tourne vers Jenna.

— Bon courage, Jen. C’est ton tour, tu t’en occupes et je le récupère ce soir.

Une fois encore, Jenna tique aux termes qu’elle emploie. Kris a tort de penser qu’elle ne voit rien, elle est beaucoup plus perspicace qu’il ne le croit, songe-t-elle, se remémorant la manière dont Kimberly a l’habitude de rester en retrait et de les observer entre ses paupières plissées. Je suis certaine que cette garce attend le bon moment pour frapper et montrer son vrai visage… pense Jenna tout en la saluant, soulagée à la perspective qu’elle ne la reverra plus durant son séjour.

Kimberly partie, Kristian sert une nouvelle tournée à tout le monde. A bout de nombreux verres supplémentaires, il décide de servir l’entrée, salade et charcuterie, lorsque le match commence. Ils restent tous les trois au whisky pour l’occasion. Kristian déplace sa chaise afin de mieux voir la télévision et, ce faisant, écrase sans pitié l’orteil de Jenna qui pousse un cri de douleur.

— Pardon ! s’exclame aussitôt Kristian, l’air réellement désolé. Ça va ? Je ne t’ai pas fait mal ?

Refoulant ses larmes de souffrance, Jenna répond d’un ton sec :

— À ton avis ? Tu t’es carrément assis sur mon pied !

— Ce n’est pas cassé quand même ? s’inquiète Kristian, oubliant totalement le foot. Tu arrives à le bouger ? Tu veux qu’on aille aux urgences ?

La douleur cuisante s’étant un peu estompée, Jenna essaie de bouger son orteil avec précautions.

— Non, ça va. J’ai très mal mais j’arrive à le bouger, il n’y a rien de cassé.

— Pardon, répète Kristian.