Fyctia

Le lendemain, après avoir remercié Marjo pour la soirée, Jenna file chez elle et prépare son sac. Attendu qu’il lui reste un peu de temps avant l’heure de départ de son train, elle passe faire un coucou à Diana.

— Ça me fait super plaisir que Pascal regrette d’avoir rompu avec moi, déclare cette dernière au bout de cinq minutes. Franchement, ça fait du bien à la fierté.

Réprimant un soupir résigné, Jenna l’interroge :

— Tu es sûre qu’il n’y a que ça ? Tu sais, si tu as encore des sentiments pour lui, c’est quelque chose que je peux largement comprendre.

— Non. J’ai fait une croix sur Pascal.

— Oui, enfin les croix… une fois de plus, je suis bien placée pour savoir que ce n’est pas toujours aussi facile quand on craque pour quelqu’un.

— Je te l’ai dit, je suis passée à autre chose.

Le ton de Diana a des accents définitifs mais Jenna n’y croit pas tout à fait. Tout comme elle, Diana a le cœur tendre et une certaine nostalgie. Pascal a compté à ses yeux et, quoi qu’elle en dise, Jenna est persuadée que Diana connaît un retour de flamme. Cependant, elle sourit.

— OK, si tu le dis.

***

Jenna est confortablement installée dans le canapé de Phil avec un bon roman lorsqu’un bruit de clef la fait sursauter. Jetant un coup d’œil à l’horloge, elle émet un faible gémissement. Non… pas déjà ! Il devait rentrer à vingt-trois heures, pas à vingt et une ! J’étais censée dormir.

Radieux, Phil ouvre la porte. Et merde…. Maudite, je suis maudite.

— Le prof nous a lâché plus tôt que prévu. Du coup, j’ai couru pour avoir le train d’avant, se réjouit-il.

Jenna repose son livre à regret, un peu crispée.

— Trop bien.

Son ton est légèrement ironique et manque de conviction, cependant Phil ne s’en aperçoit pas. Passant son bras autour des épaules de Jenna, il l’embrasse, se collant contre elle. Il ne fait aucun mystère de ses intentions et se montre pressant.

Bon bah quand faut y aller, faut y aller, songe Jenna tandis qu’il glisse une main sous sa nuisette.

— On va se coucher ? suggère Phil.

Vouant tous les profs parisiens aux flammes de l’enfer, Jen lui emboîte le pas.

***

Phil décide de passer à l’ère du numérique. Tout fier de lui, il déballe le boîtier AOL qu’ils sont allés chercher après avoir déjeuner chez ses parents.

— Je ne vois pas à quoi internet va te servir, soupire Jenna qui estime que c’est de l’argent jeté par les fenêtres.

— C’est une ouverture sur le monde, rétorque Phil. Si tu sortais un peu le nez de tes bouquins tu le saurais.

Jenna hausse les épaules tandis qu’il installe le modem.

— Raaa ! Mais qu’est-ce que j’ai foutu du courrier avec les codes ! peste Phil en ouvrant tous les tiroirs de son bureau pour les fouiller.

Jenna lève le nez de son roman en l’entendant s’énerver.

— En même temps si tu rangeais tes papiers au lieu de tout laisser en vrac partout, tu t’y retrouverais plus facilement, observe-t-elle, lasse de devoir mettre de l’ordre derrière lui.

— Toi, ta gueule ! rétorque Phil d’un ton mauvais.

Jenna tressaille et les larmes lui montent aux yeux. Serrant les poings, elle se recroqueville dans le canapé et ne dit plus un mot dans l’attente que l’orage passe.

Après son éclat, Phil retrouve son courrier et se connecte enfin sans s’émouvoir du silence prolongé de Jenna. Il ne songe ni à s’enquérir de ce qu’elle éprouve, ni à s’excuser de son mouvement d’humeur. Lorsque l’heure de l’apéro arrive, il se comporte comme si rien ne s’était passé et Jenna grince des dents. Je n’en peux plus de cette situation. Pourtant, au lieu de l’exprimer, elle garde une fois encore le silence et laisse passivement Phil prendre son plaisir lorsqu’ils se couchent.

***

Le dimanche commence sur des chapeaux de roues. Son petit déjeuner terminé, Phil laisse son bol sur la table et s’installe dans le canapé. Jenna pose un regard agacé sur l’appartement. La vaisselle du dîner de la veille s’amoncelle dans l’évier, une paire de chaussettes sales dépasse de dessous le canapé et la nappe est jonchée de miettes.

— Tu pourrais au moins débarrasser ton bol et ton verre ! s’énerve-t-elle. J’en ai ras-le-bol de devoir systématiquement ranger derrière toi.

— Ben voyons ! monte immédiatement Philippe.

Il traverse la pièce en deux enjambées et attrape son bol d’un geste rageur. Les joues pivoines, il se penche sur l’évier.

— T’inquiète, je vais la faire tout seul la vaisselle. Tu n’as qu’à mettre ton gros cul sur le clic-clac comme d’habitude !

Cette fois, la coupe est pleine ! Les mains tremblantes tant elle est en colère, Jenna attrape ses chaussures, son manteau et son sac. Le visage fermé, elle claque la porte derrière elle et dévale les escaliers en courant. Elle a besoin de prendre l’air de toute urgence avant de dire quelque chose qu’elle regrettera par la suite.

***

Lorsque Jenna revient vingt minutes plus tard, la vaisselle égoutte sur l’évier et Phil joue tranquillement à la Playstation. Il ne tourne même pas la tête dans sa direction et une fois de plus, ne s’excuse pas, semblant considérer normal de parler à Jenna comme à un chien. Les yeux plissés, elle serre les dents et entreprend le glaçage du gâteau au chocolat qu’elle a préparé la veille. Vivement mercredi, songe-t-elle, laissant ses pensées dériver jusqu’à Kristian. Sa rêvasserie rend son sourire à Jenna et après avoir fini de décorer son gâteau, elle se laisse tomber sur le canapé avec un roman. Phil lui adresse un regard en coin avant de continuer sa partie, son attention rivée à l’écran.

Le soir, tandis que Philippe regarde son émission sportive préférée, Jenna envoie un texto à Kristian pour lui souhaiter bonne chance pour son concours et l’informer de son heure d’arrivée à la gare le mercredi suivant. Il va de soi qu’elle ne parle pas à Phil de la visite de Kristian. Hors de question de prendre le risque qu’il s’incruste et lui gâche sa soirée !

Le dimanche se termine plus calmement qu’il n’a commencé avec des retrouvailles sous la couette en dépit du manque d’allant de plus en plus prononcé de Jenna.

***

Jenna passe les deux jours suivants chez Philippe dans sa petite routine quotidienne. Elle occupe ses journées entre cuisine, ménage et lecture. Elle profite également de l’absence de Phil pour prendre des nouvelles de Diana. Celle-ci est sortie durant le week-end et a rencontré un certain Florian. Ils ont prévu de se revoir le mardi soir mais…

— Bof… je t’avoue que je suis à deux doigts d’annuler, confie Diana. Il est gentil mais je ne suis pas transcendée.

— Raaaa tu le connais à peine, objecte Jenna qui soupçonne un retour de flamme pour Pascal. Laisse-lui une chance. Passe la soirée avec lui comme prévu et tu verras bien.

— Mouais…

La veille de la venue de Kristian, Jenna peine à trouver le sommeil, partagée entre l’impatience et la culpabilité. Elle se tourne et se retourne pendant plus de deux heures dans le lit avant de s’endormir enfin.