Fyctia

Une fois le sol décrassé, Jenna s’installe confortablement dans le canapé avec un thé bien chaud. Ne désirant pas réveiller Phil afin de profiter d’un peu de tranquillité, elle s’abstient de mettre la télévision et attrape un roman. Au menu, Bel Ami dont Kristian lui a parlé deux jours plus tôt, expliquant qu’il se verrait bien dans la peau du héros. Un homme qui use de son charme auprès des femmes afin d’obtenir ce qu’il veut… tout à fait Kristian, ricane Jenna durant sa lecture.

Eh oui… beaucoup seraient sans doute surpris mais lorsqu’ils sont tous les deux, Kristian et Jenna ne passent pas leur temps à se livrer à des orgies de sexe et parlent de littérature entre autres choses. Si les préférences de Jenna vont sur les classiques anglo-saxons, Kristian aime les auteurs russes et ils échangent leurs points de vue et recommandations de lecture durant leurs parties de cartes ou autour d’un café. C’est du reste une des choses que Jenna apprécie le plus chez Kristian. Avec lui, elle peut parler bouquin. Ce qui est impossible avec Philippe. Il est plus branché économie, géographie… des sujets qui, il faut le reconnaitre, ne sont pas les favoris de Jenna et qu’elle maîtrise peu. À cause de cela, lorsqu’elle débat avec Philippe, elle finit toujours par se sentir comme une parfaite idiote complètement inculte tant il lui démontre qu’elle n’y connait rien. Elle n’a pas ce problème avec Kristian qui est moins péremptoire que Philippe et avec qui elle partage un certain nombre de centres d’intérêt.

Les heures défilent, Philippe émerge au moment où Jenna termine son roman.

— Tu ne regardes pas la télé ? s’étonne-t-il.

— Non je finissais mon bouquin.

Philippe jette un œil à la couverture.

— Pfff Maupassant, c’est vieux ce truc là. J’ai dû le lire en première pour passer le bac français. J’ai trouvé ça ennuyeux à mourir.

Sur ces mots, il allume le téléviseur : c’est l’heure de Stade 2.

***

Jenna repart chez elle le mercredi. Elle a conservé ses habitudes de l’année précédente et passe invariablement le début de semaine chez Phil. D’autant plus qu’ils ne se verront pas le week-end suivant, Jenna retournant chez ses parents à la campagne.

Comme de coutume, elle retrouve Diana et Marjo. Confortablement installées chez Diana, les trois amies débriefent les événements de la semaine précédente.

— Franchement, Kristian a été super patient avec toi, lâche Marjo. Tu lui en as foutu plein la gueule toute la soirée et il a encaissé sans rien dire. Moi, à sa place, je me serais cassé.

Honteuse, Jenna baisse la tête.

— J’avoue, j’ai exagéré … Pour ma décharge, j’avais beaucoup trop bu, se justifie-t-elle.

— Ah ça, on a tous vu ! rebondit Marjo d’un ton sec.

Comme souvent, Diana allège l’atmosphère :

— Le plus drôle ça a quand même été le « j’ai envie de toi ».

Jenna en rougit d’embarras et s’empresse de changer de sujet.

— Et sinon, quoi de neuf ?

— Juju et moi, on s’est inscrites sur CaraMail, révèle Marjo d’une voix animée. C’est un chat de rencontre et c’est trop top ! Là je discute avec cinq mecs et j’ai un rencard vendredi soir.

Diana et Jenna échangent un petit regard. La manœuvre leur semble un peu dangereuse.

— Attends, tu vas aller rejoindre un mec que tu n’as jamais vu ? s’alarme Jenna.

— Bah oui, on a rendez-vous à L’Apo.

— Euh… ce n’est pas risqué ? tente Diana. Après tout tu ne connais pas ce type.

— Ça pourrait être un tueur en série, plussoie Jenna qui lit sans doute trop de romans policiers.

Le visage de Marjo se ferme.

— N’importe quoi ! C’est totalement sécurisé et, de toute manière, ce n’est pas la première fois que je rencontre un mec du chat et ça s’est toujours bien passé.

— Première nouvelle ! s’exclame Jenna. On peut savoir depuis combien de temps tu es là-dessus ?

— Quelques semaines. Mon pseudo, c’est « Cerise », explique Marjo. Avec Juju, on rencontre plein de mecs.

— Mais c’est quoi le but ? l’interroge Diana.

— Trouver le mec de mes rêves. J’en ai marre de galérer et des soirées en boîte où on passe trois plombes à conclure sans jamais se revoir le lendemain. Sur CaraMail, on discute et, si on se plaît, on se rencontre. Simple, sans engagement et sans prise de tête, tout ce que j’aime !

Jenna et Diana sont dubitatives et ne le cachent pas.

— Bref, de toute manière c’est moi que ça regarde, leur assène Marjo. Tu sais Di, tu devrais peut-être essayer.

— Euh… très peu pour moi, je préfère les rencontres à l’ancienne. D’ailleurs, ce week-end, je suis tombée sur un de mes ex en boîte, on a passé la soirée ensemble et ça m’a donné des envies de reviens-y.

— Pfff, tu ferais mieux d’essayer de rencontrer de nouvelles personnes au lieu de rester sur tes ex, lui assène Marjo.

— C’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures confitures, lui renvoie Diana.

— En parlant de vieux pot, Pascal m’a parlé de toi samedi soir, intervient Jenna. Je crois que le fait de t’avoir revue l’a un peu chamboulé…

— Grand bien lui fasse, rétorque Diana. Perso, j’ai fait une croix sur lui.

Oh oh… voilà une affirmation qui a été maintes fois prononcée durant cette histoire… avec le résultat que l’on connaît. Du reste…

— Sinon, qu’est-ce qu’il a dit ? Juste par curiosité, ajoute Diana à la hâte.

Mais bien sûr… songe Jenna tout en lui résumant leur conversation.

La soirée continue. Pendant que Diana et Jenna bavardent, Marjo a le nez sur son portable et ne cesse de chatter, gloussant de temps à autres. Entre deux réponses, elle les informe que Vivi et Gilles, loin de préparer leur mariage, viennent de se séparer. Une nouvelle qui ne fait ni chaud ni froid à Jenna qui n’éprouve pas une once de sympathie pour Sylvie.

— Il va falloir que je voie pour aller passer quelques jours chez elle, poursuit Marjo. Elle est super mal.

— En parlant de ça, tu te rappelles que Kris nous a invitées à venir chez lui en décembre ? se souvient brutalement Jenna.

— Dit plutôt qu’il veut te voir, mais que vu que Kimberly va finir par trouver suspect que tu sois la seule à y aller, il a besoin que je vienne pour noyer le poisson, réplique Marjo.

— Euh…

— Non mais c’est bon, je vous connais. Tout ce qui vous intéresse c’est d’être tous les deux et ça commence à me gaver de tenir la chandelle. Surtout que j’imagine que, si on y va, il sera bienvenu que j’aille faire un peu de tourisme l’après-midi, le temps que vous fassiez votre petite affaire.

— Personne n’a jamais dit ça ! se défend Jenna.

— Mais si je décide d’aller me balader, aucun de vous ne cherchera à me retenir. Après je comprends hein… mais si vous parliez enfin de ce que vous ressentez l’un pour l’autre, on n’en serait pas là.

L’agacement de Marjo est visible et, de nouveau, Diana s’efforce d’alléger l’atmosphère.

— Pourquoi Gilles et Vivi ont rompu ?