Fyctia

La diversion fonctionne à merveille et Marjo entreprend un exposé factuel des raisons et des étapes de la séparation de Vivi. À l’issue, elle se tourne vers Jenna :

— Tu sais, ça pourrait fonctionner pour toi. Pourquoi tu ne fais pas une pause avec Phil ? Ça vous donnerait à tous les deux l’occasion de faire le point sur vos sentiments et de voir si vous vous manquez.

— Une manière de rompre en douceur, relève Diana.

— L’idée n’est pas mauvaise, admet Jenna. Je vais y réfléchir.

Vers minuit, Marjo prend le dernier bus afin de rentrer chez elle tandis que Diana et Jenna finissent la soirée toutes les deux.

***

Le séjour de Jenna chez ses parents est tendu. Le centre auprès duquel elle a postulé l’a informée qu’ils avaient embauché quelqu’un d’autre et son manque de perspectives d’avenir pèse lourdement sur l’ambiance familiale. Tout comme le fait que ses économies, constituées des donations faites par son oncle à chaque occasion — anniversaire, Pâques, Saint-Nicolas, Noël, étrennes— depuis son enfance, s’amenuisent… Certes, Jen a encore de quoi voir venir pendant un certain temps mais sa mère ne cache son agacement.

— Cet argent est là en cas de coup dur ! Pas pour que tu fasses la fête avec tes copains !

— Pour l’instant, ça me sert à payer mes courses, mon train et mes clopes, rétorque Jenna. Bref, à vivre ! Donc mon bas de laine est bien employé.

— Raaaa ! N’importe quoi ! Tu dois garder tes économies pour t’acheter une maison. Si tu rentrais ici en attendant de reprendre tes études, tu…

— Écoute Maman, je suis majeure et vaccinée et je fais ce que je veux de mon argent, la coupe Jenna. Sans vouloir te vexer, il est hors de question que je revienne végéter ici si je peux faire autrement. OK, je n’ai pas été prise au centre mais je vais chercher ailleurs et je finirai bien par trouver un truc.

— La seule raison pour laquelle tu tiens à ce point à garder ton studio, c’est pour avoir un endroit pour voir ton maudit Kristian !

Même s’il y a une pointe de vérité dans l’affirmation maternelle, Kristian n’est pas l’unique cause de l’entêtement de Jenna. Elle veut par-dessus tout garder son indépendance et pouvoir faire ce qu’elle veut, ce qui lui sera impossible en cas de retour à la maison familiale. Toutefois, elle renonce à poursuivre le débat et lâche :

— Pense ce que tu veux mais c’est comme ça.

Dans un tel contexte, le soulagement de Jenna est à son comble lorsqu’elle retrouve Diana à la gare le lundi matin.

***

À peine rentrée chez elle, Jenna téléphone à Kristian. Elle s’en veut toujours de son attitude lors de sa dernière visite et après son week-end éprouvant, elle a envie d’entendre sa voix. Kristian paraît ravi de son appel et ils échangent des nouvelles.

— Ce soir, je vais au resto, raconte Kristian. C’est l’anniversaire de Kimberly.

— Ah ? Tu lui souhaiteras de ma part, déclare hypocritement Jenna. Alors… tu vas lui offrir une bague ?

Même si son ton se veut léger, elle a la gorge serrée dans l’attente de sa réponse.

— Non, je lui ai pris du parfum, rit Kristian.

Dans le ventre de Jenna, les papillons se congratulent et elle sourit.

— J’espère que tu as pris un coffret avec une miniature pour sa collection.

— Tsss tu me prends pour un amateur ?

Ils s’esclaffent de concert et bavardent encore quelques minutes avant de raccrocher.

***

Vers dix-huit heures, alors qu’elle vient d‘arriver chez Marjo, Jenna reçoit un appel d’un numéro qu’elle ne connaît pas. Espérant que c’est une réponse à l’une de ses candidatures, elle décroche à la hâte. La voix de Kimberly se répand dans son oreille.

— Kristian m’a transmis ton message, ça me fait vraiment plaisir que tu aies pensé à mon anniversaire. Merci.

Désarçonnée, Jenna lui souhaite de nouveau. Sérieux, elle est naïve à ce point-là ou c’est une grosse hypocrite ? songe-t-elle tout en babillant avec Kimberly. Celle-ci conclut l’appel après quelques minutes :

— Je t’embrasse, assure-t-elle avant de raccrocher.

Jenna repose son téléphone sur la table et Marjo lui adresse un regard curieux.

— C’était qui ?

— Kimberly. Elle voulait me remercier d’avoir pensé à son anniversaire.

— La vache… elle est vraiment conne ou quoi ?

Spoiler alert : À moins qu’elle n’applique le fameux adage « soyez proches de vos amis et encore plus de vos ennemis » et cherche à copiner avec Jenna afin de mieux lui nuire le moment venu…

***

Kristian rappelle Jenna le lendemain. Après lui avoir assuré que la soirée de la veille s’était bien déroulée et que Kimberly avait pris de bonne grâce l’absence de la bague de fiançailles tellement désirée, il lance :

— Alors, vous venez quand avec Marjo ?

— Bah moi c’est quand vous voulez, attends je te la passe.

Marjo s’empare du portable et, au grand dam de Jenna, reste évasive. Il faut qu’elle voie comment elle peut s’organiser entre Vivi et ses nombreuses autres occupations... Au bout de quelques minutes à tourner en rond, Marjo raccroche sans se donner la peine de repasser Kristian à Jenna. Celle-ci grince des dents, frustrée.

***

Une fois n’est pas coutume, Philippe fait le déplacement jusqu’à l’appartement de Jenna. Un changement dont elle est à l’initiative. En effet, elle a beaucoup cogité entre deux prises de tête avec sa mère et, même si elle ne souscrit pas aux solutions extrêmes de Jo, la proposition de Marjo a fait son chemin dans son cerveau. Une pause est moins douloureuse qu’une rupture et permet de préparer le terrain en douceur… Lucide sur elle-même, Jenna sait qu’elle n’aura pas le cœur d’avoir cette conversation chez Phil. Aussi applique-t-elle ce qu’elle apprit sur les bancs de la fac : quand on est chez soi, on est en position de force et cela renforce nos convictions et notre assurance.

Décidée à franchir le pas, Jenna ouvre la porte à Phil. La discussion roule tout d’abord sur des sujets anodins puis Jenna tente une approche transverse :

— Tu sais, le fait de ne pas avoir obtenu mon diplôme cette année est douloureux. Et…

Philippe l’interrompt :

— J’ai bien compris que ça te pesait et que ça t’empêchait d’avancer. Mais, j’y ai bien pensé et je me suis dit qu’on pourrait le trafiquer.

— Hein ?! réagit Jenna qui avait tout envisagé sur leur discussion sauf ça. Enfin, c’est impossible !

— Pas avec une bonne imprimante et un logiciel de retouches. Je suis sûr que je pourrais modifier ton relevé de notes de DESS pour que tu apparaisses reçue. Là, tu pourras postuler pour un emploi de psy, pour lequel tu as de toute façon les compétences. Je suis au service des RH et je t’assure que dans la fonction publique personne n’ira vérifier. Tant que tu as un document qui atteste de l’obtention de ton année, c’est bon.