Fyctia

En dépit de son état pitoyable, Diana reste afin de tenir compagnie à Jenna, consciente de l’angoisse et de la déprime de son amie. Après avoir entendu la voiture de Kristian démarrer, Jenna soupire tristement.

— Tu vois, il n’en a rien à péter de moi. Cette nuit, j’étais tellement blindée que je lui ai raconté ce qui s’est passé avec Droopy. Et le premier truc qu’il fait c’est d’aller le voir.

— Tu ne sais pas pourquoi il y va, lui fait remarquer Diana, faisant écho à ce que Kristian lui a jeté au visage la veille.

— Pfff, je ne me fais aucune illusion. Droopy est son copain et il ne compte pas s’en mêler ou prendre ma défense. Enfin, c’est tout. Au moins, je sais à quoi m’en tenir. Non, le truc qui m’angoisse le plus c’est que Droopy lui bourre le crâne, qu’il m’accuse de mentir et que Kris le croit.

— Il n’est pas con. Il se doute bien que Droopy ne va pas lui avouer ce qu’il a fait.

— Oui mais comme il dit, c’est son super copain, soupire Jenna avec inquiétude. Là, ils vont passer la soirée à faire la fête et à picoler donc j’aurai de la chance s’il repasse demain.

Son regard tombe alors sur le sac de voyage de Kristian et elle ironise :

— Enfin, à part pour récupérer ses affaires…

L’anxiété de Jenna monte de minute en minute et, à l’instar de Diana, elle se sent fiévreuse. Toutes deux ont l’appétit coupé pour des raisons différentes et elles tuent le temps en bavardant.

Un peu avant vingt-deux heures, le portable de Jenna sonne. Son cœur loupe un battement en voyant le prénom de Kristian s’afficher. Après avoir pris une profonde inspiration, elle décroche et affecte un ton joyeux.

— C’est moi, déclare inutilement Kristian. Je rentrerais bien ce soir mais je ne veux pas te déranger. Tu seras encore debout vers minuit, une heure ?

Jenna se sent de plus en plus fiévreuse et rêve de dormir mais elle lui assure qu’elle ne compte pas se coucher tôt.

— J’ai la permission de minuit ? demande Kristian, taquin.

Amusée, Jenna sourit.

— Oui Cendrillon.

— Merci maman, plaisante Kristian.

Jenna entre dans son jeu.

— Par contre, ne rentre pas trop saoul, sinon ça ne va pas le faire, le met-elle en garde.

— Ne t’inquiète pas, aucun risque. À tout à l’heure.

Soulagée et heureuse de son appel, Jenna pousse un gros soupir.

— C’était Kris, informe-t-elle Diana.

— J’avais compris, s’amuse son amie. Visiblement, il ne s’éclate pas tant que ça…

— Je t’avoue que ça me fait plaisir qu’il rentre dormir.

— Ah bah pour moi, le message est clair. Ça m’étonnerait qu’il continue à voir l’autre connard après ce soir.

— Si seulement tu pouvais avoir raison, souhaite Jenna avec ferveur.

— Honnêtement Jen, vu tout ce que tu lui as foutu dans la tronche hier, s’il est encore là c’est qu’il tient à toi.

— Ou qu’il n’en a rien à faire de ce que je peux penser, contre Jenna.

— Si aviez une vraie discussion, tu serais fixée…

Jenna se contente d’hausser les épaules et Diana soupire. Les deux amies bavardent encore un peu puis :

— Par contre, je suis désolée Jen, mais je suis vraiment naze, s’excuse Diana peu après vingt-trois heures.

— T’inquiète, je comprends. C’est déjà super sympa d’être restée avec moi alors que tu es malade.

***

Après le départ de Diana, Jenna se traîne jusqu’à la salle de bain afin de se démaquiller et de se mettre en nuisette. Une fois prête, elle déplie le lit, s’installe sous les couvertures et ramène la couette sur elle. Elle se sent aussi épuisée que fiévreuse et rêve de dormir. S’obligeant à rester éveillée, elle attrape les mots fléchés commencés un peu plus tôt par Kristian et les poursuit.

Le temps file lentement… Jenna regarde régulièrement l’heure sur son portable. Minuit, minuit dix… Le souvenir du jour où elle l’a attendu en vain quelques années plus tôt lui revient en mémoire et son cœur se serre. Et s’il réitérait l’exploit et la laissait en plan de nouveau ?

Plus les minutes passent, plus le cœur de Jenna s’alourdit. Dans son ventre, les papillons ont déjà préparé les mouchoirs et elle se résigne à l’inévitable. J’attends jusqu’à une heure quinze et je renonce, se promet-elle.

Son téléphone à une heure moins cinq. C’est Kristian. Jenna soupire. Au moins, il a pensé à prévenir, il y a du progrès… songe-t-elle tout en décrochant.

— Je suis en bas, déclare Kristian. Tu m’ouvres ?

— Oui, oui, bafouille Jenna, surprise.

Kristian a beau lui avoir dit qu’il allait revenir, une part d’elle n’y croyait pas.

***

Lorsque Kristian entre dans le studio, il tire une tête de six pieds de long et semble très contrarié.

— Ouf, ça fait du bien d’être rentré, lâche-t-il en se débarrassant de son manteau et des chaussures.

Devant un tel enthousiasme après son moment passé avec Droopy, les papillons reprennent du poil de la bête. Le regard de Kristian tombe sur le lit défait et la nuisette que porte Jenna.

— Tu n’as quand même pas veillé pour m’attendre ? s’inquiète-t-il.

— Non, non, ment-elle. C’est juste que j’avais envie d’être à l’aise et que j’ai eu un peu froid.

— Hmmm, lâche Kristian qui n’est visiblement pas dupe.

Après un regard vers l’évier, il la questionne de nouveau.

— Tu as mangé ?

— Oui, j’ai dîné chez Diana, ment encore Jenna. Et toi ?

— J’ai bouffé un kebab vite fait.

Tout en parlant, Kristian se laisse tomber sur une chauffeuse, l’air maussade.

— Tu veux boire un truc ? propose Jenna. Thé, café ? Sinon il me reste de la bière ou un fond de sky.

— Je veux bien un petit sky si tu m’accompagnes. J’ai été très raisonnable ce soir. Je n’ai bu que trois bières.

Surprise par cette modération, Jenna les sert et adresse un regard incertain à Kristian. Il reste étonnement silencieux sur sa soirée et Jenna s’abstient de le questionner. Elle préfère ne pas savoir. Elle n’a aucune envie d’entendre parler de Droopy. Après avoir pris une gorgée de whisky, Kristian s’allume une cigarette et se détend enfin. Un soupir lui échappe et ils commencent à bavarder. L’heure est propice aux confidences et ils évoquent leurs relations respectives au lieu de parler de ce qui se passe entre eux.