Fyctia
15. Théodore
Margot ayant ce qu’elle désire : la promesse que je m’impliquerai dans les préparatifs du mariage, elle ne s’éternise pas.
— Je t’attends à 20h30 ce soir, ne soit pas en retard !
Je n’ai pas le temps de lui répondre que je suis toujours ponctuel que la tonalité du téléphone me vrille les oreilles. Putain de nanas, elles vont me rendre folle !
Sans perdre plus de temps, j’enfile ma veste de costume pour tenter de cacher autant que possible la tache de café sur ma chemise et descends l’escalier vers le hall d’entrée en trottinant.
Je passe devant le bureau de Marie qui me lance un regard d’encouragement et lève ses doigts croisés vers moi. Je lui souris pour la remercier, en sachant pertinemment que ce n’est pas de chance dont j’ai besoin. Non, il faut juste que je trouve les bons mots, le bon ton, et tout ira bien...
J’ai à peine fait un pas à l’extérieur que l’odeur âcre de la fumée me prend à la gorge. Sans attendre, je me dirige vers la grille délimitant la propriété et fais signe au vigile de m’ouvrir. De l’autre côté de l’épaisse barrière en fer des dizaines de manifestants brandissent leurs banderoles. Dès qu’ils m’aperçoivent, un silence pesant s’empare des lieux. Tous leurs regards se tournent vers moi, les corps tendus à l’extrême, les visages crispés, les lèvres pincées, leurs yeux me fusillant sur place.
J’ai déjà eu affaire à des interlocuteurs réfractaires à mes idées, mais jamais à une hostilité aussi marquée. Je réfléchis à toute vitesse, mon discours doit être percutant et rassurant si je veux qu’ils lèvent leur blocus.
Je cherche en vain mes mots, retournant différentes formulations dans ma tête, mais aucune ne me semble correcte. Moi-même, je n’étais pas convaincu par le projet quand mon père m’a annoncé la nouvelle, seuls les chiffres prévisionnels des bénéfices m’ont fait changer d’avis.
Face à mon silence, une rumeur sourde s’empare de la foule. Dans mon pantalon mon portable vibre deux fois, signe qu’un nouveau message est arrivé. Je sais qui en est l’expéditeur : mon père. Je peux sentir le poids de son regard planter dans mon dos. Je sais qu’il m’observe. Il attend que je fasse preuve de fermeté et que je règle le problème en un tour de bras. Cependant pour la première fois depuis longtemps je doute de mes capacités à enrayer cette crise.
Qu’est-ce que je fais là déjà ? Une grande lassitude s’empare de moi. Je n’ai pas le temps de m’appesantir sur cet état d’esprit que ma poche vibre une seconde fois, ne me laissant plus le choix.
Je me racle la gorge, fourre mes mains dans mes poches et relève le menton.
— Écoutez je sais que vous êtes effrayés et en colère, mais je tiens à vous rassurer, ce projet est tout ce qu’il y a de plus légal, il a été validé par le Conseil national et la région. Nous attendions la validation de la dernière version du projet pour en faire l’annonce officielle. Je suis heureux de vous annoncer que d’ici cinq ans notre site de tri va évoluer et se développer au niveau national. N’ayez crainte, les déchets seront enfouis à plusieurs centaines de mètres sous terre dans une structure en plomb, il n’y aura aucun risque pour votre santé ou vos terres...
— Menteur !
— Manipulateur !
— Sac à merde, tu n’as qu’à les enfouir au fond de ton jardin si ça ne risque rien !
Les insultes pleuvent et mon corps se contracte à chacune d’elles. Ma patience déjà mise à mal depuis mon réveil se fait de plus en plus mince. Mes poings se serrent, mes yeux se plissent et je dois expirer un bon coup pour ne pas laisser la rage l’emporter.
— Je sais que c’est un énorme changement pour vous et que vous ne vous y attendiez pas, mais c’est un nouveau départ pour notre région et il y a aura de nombreux emplois à la clef !
— Meurtrier ! Vous aurez la mort de nos gamins sur la conscience !
J’esquive au dernier instant un projectile lancé dans ma direction en me penchant sur le côté alors que de toute part ils se mettent à me huer et à me siffler.
— Nous comprenons vos inquiétudes et nous sommes prêts à prendre vos réflexions en compte, mais pour cela nous devons travailler ensemble et non les uns contre les autres ! je tonne d’une voix sèche.
Je ne devrais pas m’emporter, c’est tout l’inverse de ce que j’ai appris pendant mes études sur la gestion des conflits, pourtant je n’arrive plus à contrôler la colère qui enfle en moi.
— Il y a une différence entre faire du tri et enterrer des déchets nucléaires sous nos pieds ! rugit un sexagénaire à l’air patibulaire en face de moi.
— Je vous assure qu’il n’y a aucun risque pour votre santé, je reprends.
— Que dalle ! Vous n’en savez absolument rien ! Ce n’est pas une étude payée par les entreprises du nucléaire qui va nous prouver quoi que ce soit !
Je marque un mouvement de recul, comment est-il au courant pour cette étude ? Un rire sans joie lui échappe quand il remarque mon attitude.
— Eh oui on est au courant de tous vos vilains petits secrets ! me nargue-t-il en agitant devant moi un dossier papier.
— Cette étude est tout ce qu’il y a de plus respectable, vous vous faites des idées, j’essaie de me défendre.
Le vieil homme crache à mes pieds et reprend d’une voix sèche.
— Aussi transparent que Monsanto qui publie ses propres études pour prouver que le glyphosate n’est pas cancérigène alors que tous ceux qui l’ont manipulé tombent malades ! Vous vous moquez de nous ! Vous nous prenez pour des paysans ignares, mais sachez qu’on ne se laissera pas faire !
— Sans parler du fait qu’on est une des seules régions à ne pas posséder de centrale nucléaire, pourquoi devrions-nous prendre en charge les déchets des autres ? enchérit un jeune à ses côtés.
— De toutes les entreprises de gestion des déchets, c’est la nôtre qui a remporté les voix de l’agence nationale du nucléaire pour traiter ce dossier, je me justifie.
— C’est surtout votre Père qui a fait jouer ses relations ! crache avec virulence le vieil homme.
Je ferme les yeux quelques secondes pour contenir la colère qui coure dans mes veines. Mes poings se serrent dans mes poches et mes dents grincent entre elles. Cette journée n’est qu’une succession d’emmerdes. Si j’étais superstitieux, je penserais qu’on m’a lancé un mauvais sort. Mais je ne crois pas aux coïncidences et la seule explication, c’est que quelqu’un s’amuse à me faire vivre un enfer.
J’arrime mon regard à celui du sexagénaire, mes mâchoires se contractent. Il me lance un regard de défi dédaigneux qui me fait perdre mon sang froid.
— Très bien, je ne voulais pas en arriver là, mais si vous ne souhaitez pas écouter ce que nous avons à dire je ne vois pas pourquoi je perdrais mon temps avec vous ! Je vous laisse trente minutes pour dégager les lieux et ensuite j’appelle les forces de l’ordre ! je rugis hors de moi.
— Monsieur Théodore, me coupe le vigile derrière moi.
Furibond je me tourne vers lui et lui lance un regard assassin.
— Quoi ? je vocifère.
— Monsieur le directeur souhaite vous parler, me dit-il en me tendant un téléphone.
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Lili CL MARGUERITE
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