Manon Kaljar Amertume 16. Théodore

16. Théodore

Furibond je me tourne vers lui et lui lance un regard assassin.


— Quoi ? je vocifère.

— Monsieur le directeur souhaite vous parler, me dit-il en me tendant un téléphone.


Je recule de quelques pas pour me mettre à son niveau et lui arrache le cellulaire des mains.


— Je peux savoir à quoi tu joues Théodore ? susurre d’une voix glaciale mon paternel dès que j’ai posé le combiné contre mon oreille.


Par automatisme, je relève la tête vers la vitre de son bureau, avec le soleil qui se réverbère sur la surface je discerne à peine son ombre, pourtant je sais qu’il est là. Qu’il épie le moindre de mes gestes, la moindre de mes réactions. C’est tout mon père ça, laisser faire le sale boulot aux autres, mais de garder un œil sur ce qu’il se passe... Monsieur me demande de gérer le problème, mais il reste bien à l’abri dans les locaux.


— Je règle le problème, comme tu me l’as demandé, je réponds avec insolence.

— Ne te moque pas de moi ! Tu te donnes en spectacle ! Qu’est-ce que je t’ai appris ? Le sang-froid est la base du pouvoir.

— Mais...

— Reviens tout de suite, je vais m’en charger ! il laisse planer un silence avant de reprendre d’un ton froid. Comme de tout le reste d’ailleurs …


Je me mords les lèvres, raccroche et sans un regard pour les manifestants je rejoins l’enceinte des locaux. La déception que j’ai perçue dans le ton de mon père me fait trembler de rage. Quoi que je fasse, j’ai la sensation que ça ne sera jamais suffisant pour le rendre fier de moi !


Un goût amer de colère et de déception m’emplit la bouche.


Je traverse le hall d’entrée sans un regard pour quiconque et monte deux par deux les marches jusqu’au premier étage, bien décidé à m’enfermer dans mon bureau pour le reste de la journée. Un petit gloussement me faire relever la tête alors que j’arrive sur le palier. Accoudée à la rambarde, un sourire en coin plein de malice et les yeux pétillants Prudence m’observe.


— Quoi ? je l’attaque à bout de nerfs. Qu’est-ce que tu me veux encore ?

— Je trouve ça si beau la manière dont vous travaillez en famille, quelle belle harmonie, ironise-t-elle.

— Va te faire foutre, je crache d’un ton sec avant de poursuivre mon chemin.


Si je pouvais la balancer par-dessus la balustrade je le ferais... malheureusement les conséquences seraient encore plus emmerdantes que la jeune femme qui me lance un clin d’œil quand je passe à ses côtés.


Lorsque je referme la porte de mon bureau derrière moi, je me fais la promesse de ne plus l’ouvrir avant ce soir. Lasse, je lance mon portable sur ma table de travail et me laisse tomber dans mon fauteuil. Les yeux clos, me massant l’arête du nez je réfléchis à tout ce qui s’est passé aujourd’hui. Je suis victime d’un coup monté ce n’est pas possible autrement !


Le verre du bureau tremble sous les vibrations de mon téléphone. Et cette fois, c’est cet engin de malheur que j’ai envie de lancer par la fenêtre ou de noyer dans les toilettes. Je le laisse sonner plusieurs minutes dans l’espoir que mon correspondant se décourage, mais au bout du quatrième appel je craque et l’attrape d’une main fébrile, bien décidé à l’éteindre.


Je fronce les sourcils devant la photo des jumeaux, chacun faisant une grimace, qui s’affiche sur l’écran. Le prénom de Thibault est inscrit juste au-dessus.


Thibault et Marc, Tic et Tac, Tweedledum et Tweedledee, le cauchemar ambulant de nos instits de primaire. Le premier sourire franc de la matinée s’affiche sur mes lèvres. Avec eux à mes côtés, mon enfance a été une succession de bêtises et d’expériences plus farfelues les unes que les autres. Je ne les vois plus aussi souvent qu’avant depuis que mon père a ouvert ce second site, mais dès que l’occasion se présente, nous nous réunissons comme au bon vieux temps.


Je décroche rapidement.


— Bah alors mon cochon tu ne voulais pas me parler, s’amuse Thibault.

— Journée difficile, j’élude, qu’est-ce que me vaut ton appel matinal ?


Un éclat de rire me répond. Thibault est journaliste free-lance et travaille souvent jusqu’à très tôt le matin pour boucler ses articles, d’où le fait qu’il soit rarement joignable avant midi.


— Les temps changent mon ami, que veux-tu, je vieillis et comme les vieux je me réveille aux aurores maintenant, rit-il.

— Et bien comme quoi tout est possible, je plaisante à mon tour.

— Non plus sérieusement je t’appelle pour deux raisons, reprend mon ami avec sérieux, enfin non, même trois raisons !

— Vas-y je t’écoute.

— La première et pas des moindres, je suis en vacances avec Marco d’ici trois semaines et comme on te connait et que tu ne dois travailler, on s’est dit qu’on viendrait squatter chez toi pour te voir un peu.

— En effet je ne prends pas de congés, vous pouvez venir chez moi quand vous le souhaitez.

— Parfait, si ça, c’est bon, passons au second point, qu’est-ce que c’est que cette histoire avec l’entreprise de ton père ? me questionne-t-il tout de suite plus sérieux.

— De quoi parles-tu ? je lui demande inquiet.

— Un collègue m’a envoyé le lien d’un article régional, vous allez stocker des déchets nucléaires ? Je te passe les vidéos Youtube de ton intervention, tu as connu mieux comme moment de gloire.


J’imagine très bien la grimace qu’il fait de l’autre côté du téléphone. Elle doit correspondre à la mienne au même instant. Je n’en reviens pas que ça soit déjà sur les réseaux sociaux...


— Hum, c’est compliqué, disons que mon père a encore eu une nouvelle idée.

— Voilà qui ne m’étonne pas.

— Et sinon la troisième raison ? je change de sujet.

— Ton EVG bien entendu ! s’exclame-t-il en riant.

— Mon quoi ?

— Ton enterrement de vie de garçon ! Je te rappelle qu’on est tes témoins, on doit commencer à tout organiser et connaissant ton planning de ministre, je préfère te demander à l’avance tes disponibilités.


Je manque de m’étouffer avec ma salive. Hors de question que je subisse cette tradition stupide et humiliante ! Surtout connaissant l’humour sans limites de Thibault et Marc, si je les laisse faire je finirai en couche-culotte dans la rue !


— Allo, Théo, t’es toujours là ? reprend en riant Thibault.

— Hum oui, je réfléchis, j’ai beau regarder dans mon agenda, je ne vais pas avoir un week-end à moi ces prochains mois, je mens sans aucune honte.

— Ne me dit pas qu’en six mois, tu n’as pas un seul samedi soir de libre pour faire la fête avec tes vieux potes tout de même, je ne te crois pas !

— Le plus simple c’est qu’on en discute quand vous serez-là, on pourra comparer nos plannings comme ça, je lui concède.

— Parfait ! Je t’envoie un message dès qu’on s’est mis d’accord pour les dates de vacances avec Marco.

— Très bien, comme ça j’essaierais de prendre un jour ou deux pour passer du temps avec vous.

— Tu fais bien Marco a une annonce à te faire, et il te faudra au moins quarante-huit heures pour t’en remettre, reprend en riant Thibault.

— Je crains le pire, je ris à mon tour, mais ça me fait penser que j’ai aussi un scoop à vous annoncer, vous n’allez pas me croire, dis-je en pensant à Prudence et ses cheveux roses.

Tu as aimé ce chapitre ?

5 commentaires

Camille Jobert

-

Il y a 6 ans

Un petit +3 de retour des vacances pour encourager Théodore qui va devoir supporter ses amis d'enfance en plus de cette chère prudence !

ManuG

-

Il y a 6 ans

+2 aide déblocage enjoleillé à l'initiative de Plume Jamais (NR)

RomaneB

-

Il y a 6 ans

Hello ! Je suis passée en +2 sur chacun de tes chapitres. J'espère que ça t'aidera le temps que je puisse aller lire tour ca en détail ! Si tu peux, Nouvelle Aube aurait besoin d'aide également :)

Sand Canavaggia

-

Il y a 6 ans

Ok ! Une Prudence dans l'ombre et les jumeaux qui débarquent, cela promet quelques rebondissements, il manquerait plus qu'un des jumeaux annonce un truc fou et voilà un piment de plus pour Théodore… Un régal et mon aide +3 pour me ravir de la suite ;)
Vous êtes hors connexion. Certaines actions sont désactivées.

Cookies

Nous utilisons des cookies d’origine et des cookies tiers. Ces cookies sont destinés à vous offrir une navigation optimisée sur ce site web et de nous donner un aperçu de son utilisation, en vue de l’amélioration des services que nous offrons. En poursuivant votre navigation, nous considérons que vous acceptez l’usage des cookies.