Fyctia
14. Théodore
J’entends presque mes dents grincer entre elles tant mes mâchoires se contractent. Mes doigts se crispent autour des accoudoirs du fauteuil et je sens mes ongles s’incruster dans le cuir. Une étincelle de satisfaction éclaire les iris verts de Prudence et un sourire en coin s’affiche sur ses lèvres alors qu’elle se rassoit avec désinvolture. Nos yeux ne se quittent pas. C’est gamin, mais il est hors de question que je rompe notre contact visuel en premier. Pas moyen qu’elle gagne encore une fois !
Son comportement m’exaspère et sa dernière pique reste coincée au fond de ma gorge. Je ne suis pas le toutou de mon père !
— Qu’est-ce que vous faites ?
Nous sursautons d’un même ensemble. Nos regards se quittent et se dirigent vers la porte du bureau. Cassandre, les poings sur les hanches nous dévisage d’un air sévère. Je relâche les accoudoirs et m’éloigne de quelques pas en passant une main dans mes cheveux pour me donner une contenance. Manquait plus que ma sœur pour parfaire le tableau ! Mal à l’aise, j’évite son regard et baisse les yeux vers ma chemise souillée de café.
— On apprend juste à faire connaissance mon cœur, rien de plus, la rassure Prudence d’une voix mielleuse.
Je me retiens de lever les yeux au ciel ou de froncer les sourcils devant son mensonge. Je suis curieux de savoir jusqu’où Prudence est prête à aller dans ses tromperies. Si elle compte sur mon aide pour la sortir de ce guêpier, elle peut toujours rêver.
Mais je crois halluciner quand je remarque la posture rigide de ma sœur s’alanguir lorsque sa compagne s’approche d’elle avec douceur.
— Ta réunion s’est bien passé mon cœur ?
J’ai le cœur au bord des lèvres devant tant de mièvrerie. Cassandre ne peut pas sérieusement tomber dans son piège ? À ma plus grande stupéfaction, ma sœur adresse un sourire doux à Prudence.
— Pas très bien, les manifestants nous ont pris de court et ça met en péril tout ce pour quoi on a travaillé jusqu’à aujourd’hui. Je vais devoir revoir tout le budget... s’exaspère ma sœur. D’ailleurs Théo tu ne devrais pas être en train de régler le problème ? me demande-t-elle d’un ton sec et accusateur.
Sans ciller, ses yeux me lancent des éclairs coléreux et je comprends que les apparences jouent en ma défaveur. C’est moi qui bloquais Prudence contre le siège, moi qui étais penché vers elle, moi qui l’évite depuis qu’elle nous a surpris. Je me suis désigné tout seul comme coupable. À trop vouloir protéger Cassandre, j’ai la désagréable impression de l’éloigner de plus en plus. Preuve en est, sa réaction ce matin lorsque je lui ai parlé de notre rendez-vous manqué... J’ai la sensation qu’elle me file entre les doigts.
— Les affaires de l’entreprise ne la concernent pas, j’étais juste venu mettre quelque chose au clair avec ta compagne, je lui réponds le plus calmement possible.
— C’est-à-dire ? reprend ma sœur du tac au tac toujours aussi sèche.
— Je m’assure de ses intentions, je lâche dans un souffle.
Éberluée, ma sœur laisse un éclat de rire lui échapper.
— Rien que ça, tu joues le rôle du grand frère protecteur maintenant ? Ce n’est pas de Prudence dont tu dois me protéger, mais des parents, j’aurais préféré que tu te serves de ton attitude de chien de garde hier soir !
Je grince des dents. Qu’est-ce qu’elles ont toutes à me comparer à un chien aujourd’hui ? J’adore ces animaux, mais y être comparé est assez dégradant. Heureusement pour moi, le vibreur de mon portable m’offre une porte de sortie toute trouvée. Avec un regard d’excuse vers ma sœur, je sors mon téléphone de mon pantalon. Je ne peux m’empêcher de pincer les lèvres : Margot.
Je décroche en regrettant d’avance cette décision.
— Oui ma puce, je lance d’un ton faussement enjoué.
Je place ma main sur le microphone, n’écoutant pas la réponse de ma chère et tendre et lance une œillade à ma sœur en me dirigeant vers la porte de son bureau.
— On parle de tout ça plus tard si tu veux bien.
— C’est ça, me répond-elle en levant les yeux au ciel, ne fait surtout pas attendre ta maitresse, allez bon toutou à sa mémère surtout n’oublie pas de remuer la queue quand elle te siffle ! se moque-t-elle.
J’écarquille les yeux et resserre ma prise contre mon téléphone. Pourvu que Margot n’ait pas entendu.
Cassandre et elle se tolèrent pour l’équilibre familial, mais ce genre d’affront déclencherait sans aucun doute une guerre entre elles que je préfèrerai éviter autant que possible. Sans m’attarder plus, je passe le pas de la porte, mais avant que la cloison ne se referme, la voix sensuelle de Prudence résonne dans le couloir.
— C’était un plaisir Théodore !
En réponse, le timbre suraigu de Margot s’échappe du combiné. Elle vocifère tant que sans haut-parleur j’entends avec distinction ses insultes.
— Théodore ! Qui s’est cette-là ? Je ne reconnais pas sa voix ! Pourquoi elle te remercie ? Je te jure que si tu es allé voir ailleurs je n’hésiterai pas à tout raconter à ton père !
Je plisse les yeux, me pince l’arrête du nez et hésite à raccrocher sans plus de cérémonie quand j’aperçois l’ombre de mon père au bout du couloir. Je connais assez ma fiancée pour savoir que si je lui raccroche au nez, elle cherchera à me joindre par tous les moyens possibles. Quitte à appeler ma mère ou mon père et après la confrontation que je viens d’avoir avec mon paternel, hors de question que je lui donne une excuse de plus pour me prendre le bec. Je m’engouffre dans mon bureau avec discrétion.
— Calme-toi, c’est une amie de Cassandre, je la rassure.
— Ta sœur a des amies maintenant ? demande-t-elle sarcastique.
— Ne commence pas veux-tu, j’ai bien assez de problèmes à gérer aujourd’hui, je m’exaspère.
— Ne prend pas ce ton avec moi Théo, je trouve que je suis particulièrement patiente au vu de la situation ! Je te rappelle qu’on se marie dans six mois et que jusqu’à présent tu ne t’es absolument occupé de rien ! Comment veux-tu qu’on ait un mariage réussi si on n’organise rien ?
— Tu peux très bien t’en occuper, tu sais que je te fais absolument confiance, tu le dis toi-même je n’ai aucun goût quand il s’agit de décoration intérieure...
— Ha non je t’arrête tout de suite, on est deux à se marier il est hors de question que j’organise tout toute seule ! Surtout pas avec tous les invités prestigieux que veulent inviter nos familles respectives on n’a pas le droit à l’erreur !
Je ferme les yeux, expire un bon coup et me mords la langue, mais les mots franchissent la barrière de mes lèvres avant que je ne puisse les retenir.
— Si tu veux, je peux te rejoindre ce soir, on en parlera dans le calme et je te promets de faire un effort.
J’ai envie de me cogner la tête contre les murs tant mon attitude me sort par les yeux. Pourquoi est-ce que je continue de jouer la mascarade de la sorte ? J’apprécie Margot, mais rien que l’idée du mariage me file de l’urticaire...
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Sand Canavaggia
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