Manon Kaljar Amertume 11. Théodore

11. Théodore

7h15


Le réveil est aussi difficile que ce à quoi je m’attendais. Je grogne en éteignant la cinquième sonnerie tonitruante de mon portable. J’ai repoussé autant que possible le moment de me lever, mais là si je ne me bouge pas je vais finir par être en retard. Et s’il y a bien un point sur lequel je suis intransigeant, c’est la ponctualité. La vision encore floue, je tâtonne jusqu’à ma salle de bain. Je ne suis pas du matin et le manque de sommeil n’arrange rien. Le jet d’eau tiède termine de me réveiller.


Je ne m’attarde pas dans la pièce, les flashs de mes fantasmes de la nuit encore trop frais dans mon esprit. Je m’habille en vitesse, étouffe un juron lorsque dans la précipitation un de mes orteils cogne contre le pied de mon lit et je rejoins mon salon en sautillant sans prendre la peine de me coiffer ou de vérifier ma tenue. Pas le temps.


J’attrape mon attaché-case sur le canapé, un paquet de gâteaux secs sur le plan de travail de la cuisine et claque la porte de mon appartement derrière moi.


7h50


Mentalement je calcule l’itinéraire le plus court pour rejoindre le café en bas de chez ma sœur. Même en ayant tous les feux au vert et en roulant vite, je serai en retard. Avec un peu de chance, elle sera elle aussi à la bourre. La connaissant, c’est même fort probable.


Sans attendre, je grimpe à bord de ma voiture et m’engage dans la circulation fluide de ce début de journée. Comme un signe de l’univers, je me tape tous les feux rouges et un camion poubelle sur la dernière ligne droite. Je peste en me garant à quelques mètres du bar. Un rapide coup d’œil à ma montre alors que je descends de la voiture me confirme que j’ai sept minutes de retard.


Je marche d’un pas vif jusqu’à la terrasse extérieure, balayant les tables du regard. Mais aucun signe de Cassandre. J’entre nous commander deux cafés et retourne m’installer à une place ensoleillée. J’adore cette saison : les températures clémentes, les longues heures ensoleillées, la nature qui s’épanouit. Même aller travailler est agréable.


Le serveur m’apporte les deux tasses de café alors que je vérifie une énième fois l’heure sur le cadran à mon poignet.


8h17


Toujours pas de signes de Cassandre. Je jette un coup d’œil à son immeuble cinq mètres plus bas, mais rien ne filtre à travers les persiennes. Ma sœur n’est jamais à l’heure, mais là elle est vraiment en retard, surtout sachant qu’on est attendu à l’entreprise pour neuf heures moins le quart. Qu’est-ce qu’elle fait ?


De plus en plus inquiet, je lui envoie un message.


« Cass t’es où ? Je t’attends ! »


Mes doigts pianotent en rythme sur la surface de la table en fer sans que mon regard ne quitte la porte d’entrée de son immeuble. Mon portable reste silencieux.


La colère enfle en moi. Qu’elle soit une fois de plus à la bourre : ok, mais qu’elle ne prenne même pas trente secondes pour me prévenir ça, ça m’énerve ! J’avale cul sec mon expresso serré.


La journée commence décidément très mal !


8h25


J’avale le café destiné à ma sœur, jette de la monnaie sur la table et rejoins ma voiture la mâchoire serrée. Cassandre a intérêt à avoir une très bonne excuse pour m’avoir posé un lapin. J'hésite à aller frapper chez elle, puis je me ravise. Je me retourne une dernière fois, espérant l’apercevoir sortir de chez elle. Mais rien. Pendant un instant j’ai l’impression de voir une ombre derrière les persiennes, mais la seconde qui suit elle a disparu.


J'occulte cette impression d'être espionné et grimpe dans l’habitacle. J’enclenche la première et je me faufile dans la circulation dense. Les minutes s’égrènent sur le tableau de bord alors qu’à l’inverse ma vitesse diminue. Je râle, je peste, tape du plat de la main contre mon volant, mais rien n’y fait, je suis bloqué dans un bouchon !


8h45


Impatient et à bout de nerfs je descends ma vitre dans l’espoir qu’une brise fraiche vienne me détendre. Je prends une grande inspiration et je manque de m’étouffer quand une odeur âcre de fumée mélangée à du fumier me prend à la gorge. Bloquant ma respiration, j’appuie avec frénésie sur le mécanisme de la fenêtre pour la refermer. Mais le mal est fait, dans la voiture l’air devient irrespirable et me donne des hauts le cœur.


La sonnerie de mon téléphone me fait sursauter, je tâtonne pour le sortir de ma veste et fronce les sourcils en lisant le prénom de mon père sur l’écran.


— Théodore où es-tu ? m’apostrophe-t-il dès que je décroche.

— Je suis en route, mais je suis bloqué à quelques kilomètres de l’entreprise ça doit être un accident, j’arrive dès que je peux.

— Ce n’est pas un accident, c’est un barrage ! Il y a un troupeau d’écolos-bobos qui bloque l’entrée du chantier ! s’époumone-t-il. J’ai besoin de toi tout de suite pour régler ça ! Alors peu importe comment, je veux que tu sois ici dans quinze minutes !


Je n’ai pas le temps de lui répondre que déjà il me raccroche au nez. Je déteste quand il me parle sur ce ton et qu’il me prend pour son larbin ! Je n’ai qu’une envie faire demi-tour et rentrer chez moi. Je ne le ferai pas et il le sait très bien, c’est bien pour cela qu’il se permet d’être aussi intransigeant avec son propre fils. Je me pince l’arête du nez, souffle un bon coup et jette un coup d’œil à l’extérieur. Une file de voitures me bloque la vue, des curieux commencent à sortir la tête de leur véhicule. À mon tour, je sors, plaçant un mouchoir en tissu son mon nez et j’avance de quelques pas. Au loin, une colonne de fumée m’indique où se situe la barricade. Impossible d’y accéder par la route.


Il y a bien un autre moyen d’arriver à l’entreprise, mais je ne suis pas vraiment apprêté pour crapahuter dans les champs ce matin...


J’hésite à attendre qu’ils soient délogés par les forces de l’ordre ou à tenter ma chance par l’autre entrée. La sonnerie de mon portable décide pour moi. Message de mon très cher paternel.


« Il te reste dix minutes ou je file le projet à Arthur. »


Sans plus réfléchir, je remonte dans ma voiture, fais un demi-tour sur la route, et prends le chemin de terre quelques mètres plus loin. Ma berline, pas du tout adaptée à ce type de terrain, tressaute sur les cailloux. Je serre les mains autour du volant quand le bas de caisse crisse sous mes pieds. C’est un quad qu’il me faudrait...


L’allée se termine par une petite clairière et un sillon pour les piétons se démarque des herbes folles. Je ne l’ai emprunté qu’une fois, mais je sais qu’il mène jusqu’à l’arrière de l’entreprise. J’attrape mon attaché-case, enlève ma veste, desserre ma cravate et me lance. Mes derbies en cuir italien s’enfoncent dans la terre meuble laissant des traces de terre sur le bas de mon pantalon. Heureusement à cinq cents mètres les bâtiments se détachent des arbres.


8h58


Je passe les portes battantes du hall en sueur, mon costume bon pour un passage au pressing et l’envie folle de commettre un meurtre ! Si j’attrape celui à l’origine de tout ce bordel, je fais un malheur !

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4 commentaires

Sand Canavaggia

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Il y a 6 ans

Il semble que Théodore a aussi un grief face à son père. Son autorité abusive certainement, sa façon de lui donner des impératifs plutôt que des échanges d'avis...etc... Second point commun avec Prudence mais une différence d'intensité, c'est sûr ! Quoi que avec le temps !

Estelle Miccoli

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Il y a 6 ans

On ressenti bien les nerfs à vif de Théodore dans ce chapitre, bravo ! Et cette Cassandre qui fait silence radio... ça m’intrigue 🤔

Manon Kaljar

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Il y a 6 ans

Merci beaucoup ! je prends mon temps mais j'essaie de soigner ce que je vous publie donc ravie si ça te plaît !

Maloria

-

Il y a 6 ans

Ah j'adore la situation ! Super bien décrit ma petite dame, j'y étais, l'odeur en moins, Dieu Merci ;)
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