Manon Kaljar Amertume 2. Théodore

2. Théodore

— C’est-à-dire ? je poursuis mi-intrigué, mi-amusé.

— Si je vous le dis, je serais obligée de vous tuer aussi ! réplique-t-elle avec un air de conspiratrice.

— Je vois que vous avez réfléchis à tout ! je plaisante.

— Vous n’imaginez même pas, ça fait dix ans que je prépare mon coup...


Sa voix baisse d’une octave et j’ai l’impression que son regard se voile, mais l’instant suivant son rire cristallin résonne dans le wagon. Sa joie est communicative et je me détends en m'adossant au dossier derrière moi. Sa nonchalance et son regard pétillant ont quelque chose de rafraichissant.


— Au fait, moi c’est Théodore, si jamais vous avez besoin de m’écrire une épitaphe un de ces jours autant que vous le sachiez.


Elle serre la main que je lui tends au-dessus de la table. Sa paume est chaude et douce et j’ai la sensation de la sentir frémir entre mes doigts. Je n’ai pas le temps de plus y réfléchir que déjà elle rompt le lien et attrape son gobelet.


— Et vous ? je lui demande curieux.

— Prudence, mais tu peux me tutoyer tu sais, je ne mords pas ! Enfin qu’en de rares occasions...

— C’est bon à savoir, je réplique amusé.


Elle affiche un sourire mutin tout en plantant son regard vert dans le mien. Cette femme respire la séduction, l'interdit et la liberté. Elle me donne envie d'envoyer bouler toutes mes responsabilités et de vivre à demi nu sur une île déserte sans même la connaitre.


— Et sinon à part sauver des jeunes femmes en détresse tu fais quoi dans la vie ? interrompt-elle mes pensées.

— Je travaille dans l’entreprise familiale, rien de très intéressant, j’élude, et toi tu es photographe ?

— Comment as-tu deviné ? répond-elle surprise.

— Ton sac.


Je lui désigne son sac photo posé à ses côtés et elle laisse échapper un gloussement en suivant mon doigt des yeux.


— C’est que tu es observateur en plus !

— Ce n’est pas l’avis de ma fiancée, mais merci du compliment, je m’amuse.


C’est faux, mais elle n’a pas besoin de le savoir. L’observation est une part importante de mon métier. Chaque attitude, geste, mimique, intonation est un indice si l’on sait lire le langage corporel. Et justement, Prudence est tout en contradiction. Elle m’intrigue. Son corps n’est que décontraction et tentation, alors que par instant une tension sourde anime ses prunelles, comme si elle cachait des ténèbres tumultueuses en elle.


Je l’observe en silence alors qu’elle repose sa tasse sur la table. Ses doigts frôlent ma main et ses yeux se vissent aux miens. Elle me détaille avec insistance et son œillade brulante ne me laisse pas indifférent. Margot a beau être une chouette fille, jamais un seul de ses regards ne m’a fait cet effet-là.


Je sursaute quand elle se redresse d’un bond.


— On devrait peut-être retourner à nos places si on ne veut pas se faire voler nos affaires, elle glousse.


Imprévisible.


Je mets quelques secondes à analyser sa réflexion, interdit par son changement d’attitude.


— Oui tu as raison, ce serait dommage qu’on trouve ton macchabée si bien dissimulé...


Je lui lance un clin d’œil qui la fait pouffer et la suis dans l’allée en direction de notre wagon. Notre pas est incertain et on tangue dès qu’une secousse nous déstabilise. Alors qu’il ne nous reste plus qu’un sas à passer avant de retrouver nos places elle perd l’équilibre et son corps part en avant. Je n’ai pas le temps de réfléchir que par réflexe je me jette vers elle et passe un bras autour de sa taille pour la retenir contre moi.


— Ça va ? je demande inquiet.

— Oui très bien, plus de peur que de mal, heureusement que tu étais là, glousse-t-elle.

— J’ai une réputation à tenir que veux-tu.


Toujours entre mes bras je l’aide à se stabiliser, et avant que je ne puisse la relâcher elle se tourne vers moi et prend appui sur mon torse, me plaquant contre la porte de ce qui semble être les toilettes. Je n’avais pas réalisé qu’elle était aussi grande, son visage n’est plus qu’à quelques centimètres du mien et son souffle s’écrase sur la peau de mon cou. Je déglutis avec difficulté. Mal à l’aise de cette nouvelle proximité entre nous. De son corps chaud pressé contre le mien. De son parfum qui m’envahit et de ses cheveux qui me chatouillent le nez. Autant j’étais à moitié assommé quand elle s’est écrasée sur moi tout à l’heure, autant je suis en pleine possession de mes capacités intellectuelles à cet instant. Et mon cerveau me hurle le mot danger en grosses lettres rouges !


— Merci, me susurre-t-elle à l’oreille.

— De... de rien, je balbutie.


Je n’ai jamais été le genre de mec à perdre ses moyens devant une femme, enfin ça, c’était avant de rencontrer Prudence ! Séductrice ensorcelante qui se cache derrière un masque de fausse ingénue... Je m’apprête à la repousser quand ses lèvres se collent aux miennes.


Sucrées, douces et pulpeuses.


Délicieuses.


Dans un éclair de lucidité, je grogne en me libérant de son emprise.


— Désolé, tu as l’air d’être une femme très sympa, mais j’ai déjà quelqu’un, je tente de me justifier en me décalant.


Un sourire en coin déforme ses lèvres et elle me lance un clin d’œil.


— Moi aussi j’ai quelqu’un, mais j’ai comme philosophie de profiter de chaque instant. Tu me plais et au vu de ta réaction je ne te laisse pas non plus indifférent alors il n’y a pas de raison de ne pas laisser nos désirs parler pour nous, surtout en sachant que les probabilités qu’on se revoit un jour sont très minces.


J’ouvre la bouche, prêt à rétorquer, sauf qu’aucun son n’en sort. Je n’ai absolument rien à répliquer. L’aplomb dont elle fait preuve me déconcerte.


— Savoir que tu as trompé la personne avec qui tu partages ta vie ne te fait ni chaud ni froid ? je ne peux m’empêcher de lui demander interloqué par son discours.

— S’il n’y a pas de sentiments je n’appelle pas ça tromper, et puis après tout nous n’avons pas été créés pour être des êtres monogames, c’est la religion qui a transformé notre vision des relations charnelles. Regarde les peuples antiques, ils avaient une sexualité libérée et assumée et ils ne se portaient pas plus mal que nous !


Pour la seconde fois, elle plaque ses lèvres contre les miennes et se recule quelques secondes plus tard. Me laissant un goût amer de frustration et de culpabilité sur la langue.


— Enfin si tu fais partie de ces puritains bien-pensants je le respecte aussi. Essaie juste de ne pas trop le regretter…


Avec un clin d’œil, elle se recule et parcourt les quelques mètres qui nous séparent de notre wagon. Disparaissant par la porte vitrée, je l’observe s’installer à sa place. Je me masse la nuque encore tendue après cet échange irréel. Qu’est-ce que j’ai failli faire ?


Je suis bon pour aller droit en enfer si ça se sait !

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11 commentaires

Sand Canavaggia

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Il y a 6 ans

Suite à ma lecture, la première pensée est que c'est un premier descriptif d'un baiser qui a cette langueur en étant pris plus que donné, il émerge une véritable douceur sans aucun aspect vulgaire et là c'est le déclenchement d'un grand élan romantique qui m'assaille. Et visiblement les personnages avec, comme quoi j'ai connecté à leur histoire ce qui me semble normal avec un premier chapitre qui avait assuré la mise en bouche…

EmilyChain

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Il y a 6 ans

Ton passage sur l’île déserte ! J’adore !

Kriss F Gardaz

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Il y a 6 ans

Sacrée phénomène cette Prudence! :)

Manon Kaljar

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Il y a 6 ans

Merci beaucoup pour cette remarque tout à fait vrai ! Je vais modifier ça ! Ravie que ce début t'intrigue et te plaise !

alexia340

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Il y a 6 ans

J aime bcp ce début et cm je rien à dire je vais quand même titiller. Quand il dit qu il trouve rien à rétorquer puis qu il parle quand même cela sonne étrange. Peut être ajouter après quelques secondes je finis par reprendre aplomb et lui demande :...

Estelle Miccoli

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Il y a 6 ans

Très belles retranscriptions des émotions !

Manon Kaljar

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Il y a 6 ans

*-* Merci ma belle ! je n'attend plus que toi ; p

Myjanyy

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Il y a 6 ans

.....

Myjanyy

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Il y a 6 ans

OMG ça commence fort !!! J'admire tjrs autant ta plume. Heureuse de te retrouver ici ma belle !

Manon Kaljar

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Il y a 6 ans

Ahah et encore vous n'avez rien vu ... vous n'êtes pas prêt pour Prudence je pense ^^
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