Marie Andree Harmonie Adverse 21-Le jour d'après (3/3)

21-Le jour d'après (3/3)

— Je viens d'avoir vingt-et-un ans, Gales, et je peux prouver que je vis avec Troy et suis impliquée dans sa vie depuis plus de deux ans.


Gales prend sa main dans la sienne et continue de son ton docte et irritant.


— Prends le temps de réfléchir un peu, affirme-t-il. Peut-être le petit serait-il mieux dans une famille avec d’autres enfants et des parents qui ne sortent pas toutes les nuits pour lutter contre les forces du mal ? Ils te laisseraient sûrement le voir souvent.


Son estomac s’entortille sur lui-même à l’idée de ne plus partager le quotidien de Troy, et une vague de nausée la submerge.


— Je refuse de parler de ça maintenant, dit-elle en arrachant sa main de la sienne et en se levant. Je rentre pour essayer de réconforter un petit garçon qui vient de perdre saon Nummy.


— Ok, Althea, soupire-t-il. Appelle-moi si tu as besoin de quoique ce soit. Je dois rester un peu ici pour continuer ma discussion avec le médecin-en-chef.


Elle opine de la tête et sort du bâtiment après avoir pris soin de ne pas repasser devant le bureau des guérisseuxes.


Sur le trajet vers chez elle, le soleil et les passants, toujours aussi enjoués, l’irritent encore plus. Elle checke son highphone et regrette vite : il déborde de holo-messages de Kit, John, Rebecca et Valerie - elle n’a toutefois pas la force de les consulter et encore moins de leur répondre.


Un seul objectif la fait avancer : retrouver Troy.


***


Quelques heures plus tard, Althea se tient à l’entrée de la chambre, à la fois fascinée et révoltée par le spectacle de l'enfant qui dort comme un bienheureux.


Comment peut-il dormir ?


Saon Nummy est morte la nuit dernière !


Il est orphelin depuis vingt heures et quarante-et-une minutes - elle a compté - et il s’est endormi aussi facilement que les autres jours ! Il lui a raconté sa journée et il a mangé comme si de rien n’était, ou presque...


Il n’est pas orphelin”, souffle une petite voix à l’intérieur de sa tête, “C’est pour cela qu’il dort sans crainte : il sait que tu seras toujours là pour lui”.


Et c’est bien pour cela que son sommeil à elle ne sera plus jamais serein.


Si elle l'adopte, un petit être dépendra entièrement d’elle pour au moins les dix prochaines années.


Le buzz de l’interphone interrompt le triste flot de ses pensées, et elle grimace, persuadée que le petit garçon va se réveiller. Mais non, il dort toujours aussi paisiblement, l’insolent !


Le visage inquiet de Jamie s’affiche sur l’écran du moniteur, et son cœur se serre, et sa gorge se noue.


Elle ne voulait voir personne ce soir, elle a refusé de voir Kit, John et Rebecca, elle ne voulait pas pleurer. Face à Troy, elle doit être forte, et le reste du temps, si elle reste seule, sans parler d’Ysé, elle peut se convaincre que ce n’était qu’un mauvais rêve.


Sa main bouge avant son cerveau et elle appuie sur le bouton pour faire entrer son ami, qu'elle entend monter quatre à quatre les trois étages. Elle ouvre la porte et attend là, droite et bien campée sur ses jambes, comme si elle se tenait devant une vague sur le point de casser et de tout emporter sur son passage.


— Althea ! dit-il, haletant, j’ai croisé Kit pendant ma ronde et il m’a appris la nouvelle, tu ne répondais pas à mes messages alors je suis venu.


— Jamie…


Le mot n’est qu’un coassement, et soudain deux bras puissants l’entourent, et elle va tomber, et il la rattrape, il la rattrapera toujours.


C’est ce qu’il essaie de lui dire d’ailleurs, par-dessus ses sanglots.


— Je suis là, Althea, vas-y, lâche tout, petite puce, moi je ne te lâcherai jamais.


Elle s’agrippe à sa veste en cuir de ses deux mains, et il caresse ses cheveux, et son dos, et il murmure une litanie de mots qu’elle comprend à peine mais qui lui font du bien.


Elle ne saurait dire combien de temps ils restent comme ça, debout près de la porte d’entrée, cependant la marée de ses sanglots finit par refluer, et elle se retrouve, reniflante et vidée, dans les bras de cette créature qui, contre toute attente, est devenue son ami en l’espace de quelques mois.


— Jamie… Merci d’être venu…


— Bien sûr. Tu sais que je serai toujours là pour toi, non ?


Il l’embrasse sur le front sans cesser de caresser ses cheveux. Elle hoche simplement la tête avant de reprendre la parole, la voix tremblante.


— Je ne comprends pas ce qu'il s'est passé, j'avais même oublié que l'on pouvait mourir de cause naturelle. C'est si ironique. Je me bats chaque soir pour protéger les miens des démons, et iel meurt dans mes bras d'une rupture d’anévrisme ! Une putain de rupture d'anévrisme, Jamie !


— Je sais, puce, c’est un tour bien cruel que la vie te joue là.


Son visage se tord à nouveau de chagrin et des larmes fraîches recommencent à couler.


— Je ne sais pas ce que je vais devenir sans Ysé. Et Troy, c’est… c’est trop, je ne peux pas m’occuper de lui, je suis si jeune, et il a besoin de saon Nummy. Nous ne sommes rien sans ellui.


— Foutaises ! s’énerve-t-il soudain, les yeux presque noirs tellement ses pupilles se dilatent. Je ne peux pas te laisser dire ça ! Tu es la personne la plus forte que je connaisse, Troy a une chance folle de t’avoir.


— Une chance folle ? Il n’a que cinq ans ! Le seul parent qu’il ait connu vient de mourir !


— Ysé n’était pas son seul parent, déclare-t-il avec force.


Il met les trois doigts de sa main droite sous son menton pour plonger ses yeux violets dans les siens, comme s’il cherchait à l’envouter pour la convaincre. Elle réalise que ça pourrait presque marcher.


— Je n’ai que vingt-et-un ans, je ne sais pas si je peux assurer. En tout cas, Gales ne m’en pense pas capable, dit-elle sur un ton amer.


— Alors, désolé, je l’aime de moins en moins, ton Gales. Tu m’as dit quand on s’est rencontré que tu as aimé Troy dès le début. Tu l’élèves depuis deux ans déjà.


— Je sors toutes les nuits combattre des créatures sanguinaires, Jamie. Je risque ma vie chaque jour. C’est moi qui étais censée mourir d’ailleurs, pas Ysé !


Elle le sent se raidir contre elle à la pensée de sa mort éventuelle.


— Tu ne vas pas mourir, affirme-t-il en détachant chaque mot. Pas après une belle et longue vie pendant laquelle tu vas voir grandir ton fils adoré. D’accord ?


Elle sourit à travers ses larmes, et pose à nouveau sa tête contre sa poitrine, ses bras passés autour de sa taille.


— Merci d’être venu, Jamie, répète-t-elle ensuite dans un murmure, j’ai failli ne pas t’ouvrir.


— J’aurais défoncé le portail de toute façon.


Son rire reste coincé dans sa gorge.


— Je sais.


Elle soupire et se serre encore un peu plus dans ses bras.


— Je peux rester aussi longtemps que tu le désires.


— Tu peux rester un petit moment, mais tu devras partir avant le réveil de Troy, je veux que les choses apparaissent les plus normales pour lui.


— Bien sûr, Althea, comme tu veux.


Ils s’installent sur le canapé, et elle se love dans ses bras, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde.


Pendant les heures qui suivent, ils se regardent beaucoup, pleurent un peu et parlent à peine.

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70

70 commentaires

Narélia L

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Il y a un an

J’aime beaucoup jaime. C’est important qu’elle est quelqu’un qui l’épaule.

Marie Andree

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Il y a un an

Oui, je l'aime bien aussi. ;-)

MysticRose

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Il y a un an

Décidément, Jamie est un ami en or. Et il a l’air assez lucide à propos de Gales.

Marie Andree

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Il y a un an

Tout à fait...

cedemro

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Il y a un an

Superbe arrivée de Jamie. Je sens que Troy va quémander sa présence sous peu...

Marie Andree

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Il y a un an

C'est possible. ;-)

Gottesmann Pascal

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Il y a un an

Althéa a vraiment besoin de Jamie pour surmonter cette épreuve. Quant à Troy, on ne sait pas ce qui se passe dans sa tête mais, une chose est sûre, saon Nummy lui manque.

Marie Andree

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Il y a un an

Ce doit être tellement dur à cet âge-là... :-(

WildFlower

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Il y a un an

Une scène vraiment touchante, Jamie permet à Althea de libérer enfin complètement ses émotions, et on sent leur attachement mutuel !

Marie Andree

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Il y a un an

Merci, je suis contente que cette scène te plaise...
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