Fyctia
20-Le jour d'après (2/3)
— Et Nummy n’a pas besoin de manger pendant son très long sommeil ? demande ensuite Troy, sa cuillère de yaourt en l’air.
— Non, chou, répond Althea, le cœur broyé. Ne t’inquiète pas pour ellui. Iel a tout ce qu’il faut au pays du très-long-sommeil.
— Et on peut pas aller læ voir ?
— Non, il ne faut pas troubler le sommeil des gens qui dorment là-bas.
Elle grimace devant sa bêtise : ne devrait-elle pas utiliser les vrais mots ? Elle soupçonne néanmoins que le petit garçon ne les comprendrait pas plus. Elle se souvient de la mort de ses parents, lors de laquelle personne n'avait enrobé les choses ainsi, mais elle avait quinze ans, pas cinq.
— Tu es sûre que rien ne pourra læ réveiller ? Peut-être si je l’embrasse, un peu comme dans la Belle au Bois dormant ?
Ses questions font à nouveau imploser son cœur en mille morceaux.
“Y a-t-il un nombre limité de morceaux ? A partir de quel nombre nos cœurs ne se remettent jamais tout à fait ?”
— Je suis sûre, mon chéri, répond-elle d’une voix tremblante. Je suis désolée.
— Ou toi ? Tu as essayé ? Tu étais son amoureuse, continue-t-il, impitoyable. Oh, je sais ! Jamie peut essayer ! Il ressemble un peu à un prince. Bon, il a une veste et des boots en cuir, et une hache, mais avec ses cheveux et ses yeux, je trouve qu’il ressemble à un prince.
L’enfant, une expression satisfaite sur le visage suite à son brillant raisonnement, reporte son attention sur son yaourt, et Althea, l’espace d’un instant, pense qu’elle va éclater de rire. Bien que sa bouche s’entrouvre et que sa poitrine commence à se soulever, elle n’arrive à produire qu’un son étranglé.
— Je ne crois pas que Jamie soit un prince, Troy, réussit-elle à dire, et même s’il l’était, son baiser ne réveillerait pas Nummy.
— Oh, ok.
Les lèvres roses du garçonnet commencent à trembloter de nouveau et il se jette dans les bras de la jeune femme, agenouillée à côté de lui.
— Je t’aime, Troy, dit-elle à travers ses propres larmes.
— Je t’aime aussi, Althea.
Là, au milieu de leur salon baigné de la lumière du matin, à quelques centimètres de l’endroit où Ysé s’est effondré·e il y a quelques heures, elle essaie de diminuer son chagrin dans l’étreinte toute douce de son petit garçon.
***
Sa visite au dispensaire de Liverpool Street, plus tard dans la matinée, se passe dans un brouillard.
Leur voisine Caroline, après un moment difficile à l’annonce de la nouvelle, est restée auprès de Troy, qui n’avait pas école ce jour-là. Althea ne saurait d’ailleurs décider si c’est une chance ou pas - passer la journée avec ses copains à l’école aurait été sûrement mieux que se morfondre à la maison, toutefois Caroline lui a promis de l’emmener au parc.
Le surréalisme du drame s’est néanmoins poursuivi pour la jeune chasseuse, même lorsqu’elle a dû prononcer à nouveau à voix haute les quelques mots “Ysé est mort·e cette nuit” lors de ses appels à sa patronne Valerie, pour excuser son absence au café, puis à Kit, John, Rebecca et Gales. Au milieu des “oh mon dieu” répétés à un rythme effréné, la première lui a affirmé à maintes reprises qu’elle pouvait prendre tout son temps avant de revenir travailler. Son illustre père adoptif, quant à lui, a indiqué essayer de la rejoindre dès que possible au dispensaire.
En chemin, déjà énervée par le soleil insolent, elle ne comprend pas que les londoniens qu’elle croise, tous concentrés sur leurs objectifs de la journée, puissent continuer le cours normal de leur vie comme si de rien n’était. Comment le monde peut-il tourner sans Ysé ?
Son cœur se serre dans sa poitrine jusqu’à l’empêcher de respirer quand la clinique, abritée dans un vieux bâtiment de briques rouges et agrémentée d’une aile ultra-moderne tout en verre dépoli, se dévoile au détour d’une rue.
Elle ne respire vraiment plus quand, quelques minutes plus tard, près du bureau des guérisseuxes, les collègues d’Ysé la prennent tour à tour dans leurs bras en se lamentant et en lui posant moult questions auxquelles elle ne peut répondre.
Un raclement de gorge la sauve : c’est le médecin qui vient la chercher pour leur rendez-vous. Dans une petite pièce à la décoration-qui-se-veut-chaleureuse-mais-qui-n’adoucira-jamais-les-nouvelles-délivrées-ici, il lui confirme que d'après son analyse, Ysé a succombé à une rupture d’anévrisme.
— Est-ce que..., commence-t-elle d’une voix étranglée, puis, après une nouvelle respiration : j'ai essayé d'appliquer ce que j'ai appris dans mes formations en premiers secours dispensés par l'Ordre, mais peut-être je n'ai pas fait ce qu'il fallait ? J'aurais du appeler les secours ?
— Non, ils seraient arrivés trop tard, répond le médecin d’une voix ferme. Je ne dis pas ça pour que tu te sentes mieux, c’est la simple vérité : vu son âge et son état de santé parfait en dehors de ça, son anévrisme était probablement dû à une malformation vasculaire congénitale, et rien n’aurait pu éviter ni la rupture, ni l'issue fatale.
— Ok, je vois, merci. Iel avait un petit garçon de cinq ans par contre, est-ce que je dois m'inquiéter pour lui ?
— Non, ce serait vraiment jouer de malchance si ce défaut lui avait été transmis, la rassure-t-il. Nous ferons des examens plus tard, d’accord ?
Elle le remercie à nouveau, et quand elle ressort de la pièce honnie, le Grand Général se tient dans le couloir et discute avec un autre médecin. De la fumée semble être sur le point de lui sortir par les oreilles, et elle entend les mots “molécule, prometteuse pourtant, insister”, néanmoins, incapable d’être polie ou curieuse en cet instant, elle se jette dans ses bras sans attendre la fin de leur conversation.
— Oh, Althea ! s’écrie-t-il en titubant presque, je suis désolé.
— Merci d’être venu, Gales.
— C’est bien normal. Je sais qu’iel comptait beaucoup pour toi.
Elle ne peut qu’acquiescer à travers ses larmes, et ils s’assoient sur des chaises inconfortables dans le couloir beigeasse.
— J’ai l’impression de me retrouver cinq ans en arrière, le jour de la mort de mes parents, dit-elle après lui avoir succinctement raconté les événements de la nuit passée. Tu étais là, avec moi.
— Oui, ma chère petite, je n’oublierai jamais ce jour terrible, moi non plus.
Elle hoche la tête et prend une grande inspiration pour se ressaisir.
— Je vais rentrer, j’ai envie de retrouver Troy.
— Qu’est-ce que tu vas faire de lui, au fait ?
Elle recule un peu devant sa question, qui semble plus concerner un chien un peu vieux qu’il vaudrait mieux piquer.
— Eh bien, je vais l’adopter, Gales, c’est évident, répond-elle, le menton levé. Ysé n’avait plus de famille, et la famille du père de Troy n’avait jamais accepté leur union. Il n’a personne à part moi.
— Tu es bien jeune pour porter cette responsabilité, Althea.
— Tu m’as adoptée, toi, dans les mêmes circonstances, ou presque.
— C’était différent, ma fille, tu avais quinze ans, et j’en avais quarante-cinq, pas vingt.
La petite fille en elle se recroqueville dans un coin, déçue que son père ne croit pas assez en ses capacités.
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Jakae chappinj
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RitaMartins
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