Fyctia
19-Le jour d'après (1/3)
Pendant un laps de temps indéfini, Althea alterne les moments où elle tente de réanimer Ysé et ceux où elle reste prostrée à côté de son corps.
Si elle ne fait rien de plus, elle peut toujours se convaincre que saon amoureuxe est simplement endormi·e, et qu’iel va bientôt se réveiller et prendre le petit-déjeuner avec Troy et elle.
“Troy !”
C’est de penser au petit garçon, endormi dans sa chambre, qui la pousse enfin à bouger. Il faut éviter à tout prix qu’il se lève et découvre saon Nummy ainsi. Une nouvelle vague de chagrin emporte alors Althea : que va-t-il devenir ?
Elle se ressaisit vite et se lève sur des jambes tremblantes, après avoir posé un dernier baiser sur le front d’Ysé.
“Sa peau est déjà moins chaude, non ?“
Elle repousse cette pensée loin, très loin, et s’empare de son highphone pour appeler le dispensaire. Saisie par une froide détermination - il ne reste que quelques heures avant le réveil de Troy - elle explique la situation et on lui assure qu’un groupe de nettoyeurs va être dépêché sur place aussi vite que possible. Elle grimace d'abord devant l’emploi du terme “nettoyeur”, et réalise qu'il est somme toute normal d'utiliser le même terme que celui utilisé pour ramasser dans les rues les démons morts de sa main et celle de ses frères d’armes pendant la nuit.
Une fois l’appel terminé, elle s’allonge auprès d’Ysé et pose une main sur son ventre, dépourvu à jamais de tout mouvement. Son visage, dans les dernières secondes, s’était heureusement relâché malgré la douleur, et iel semble à présent en paix, éclairé·e par les bougies qu’iel aimait tant.
— Comment as-tu pu me faire ça, Ysé ? murmure son amante. Qui meurt à vingt-cinq ans, de manière aussi brutale ? C’était toi læ guérisseuxe, pourtant je soupçonne une rupture d’anévrisme, avec les maux de tête et les vomissements. T’en penses quoi, j’ai bon ?
Elle ricane tristement, et essuie quelques larmes isolées d’un mouvement rageur.
— Je sais qu’on n’était pas du genre à se faire des déclarations grandiloquentes, mais on était censé élever Troy ensemble, non ? Je croyais que c’était le plan. Je devrais te détester pour ça.
Le buzz de l’interphone la fait sursauter, et elle se lève d’un bond en priant un dieu auquel elle n’a jamais cru pour que Troy ne se réveille pas. Elle appuie sur le bouton d’entrée et voit sur l’écran, soulagée, qu’elle ne connaît pas les deux nettoyeurs. Elle n’aurait pas supporté la sollicitude creuse qu’on pourrait lui offrir en cet instant - elle sait déjà qu’elle ne la supportera de la part de personne dans les jours qui viennent.
Les deux hommes, vêtus de la traditionnelle blouse bleue marine au col orange, pénètrent dans l’appartement et avisent immédiatement le corps d’Ysé près de la table à manger.
— Bonsoir Mademoiselle, que s’est-il passé ?
Althea leur fournit un compte-rendu des évènements sur un ton froid et clinique, et ils semblent corroborer sa thèse de la rupture d’anévrisme, tout en indiquant que cela sera confirmé ou infirmé par le médecin.
— Nous allons emporter le corps, à présent, Mademoiselle, dit le plus petit des deux d’une voix douce. Vous pourrez ensuite passer au dispensaire dans la matinée pour organiser la suite.
Son ventre se serre encore plus et son sang tambourine à ses tempes.
“La suite ? Quelle suite ? Non, non, non. C’était un rêve et je vais me réveiller maintenant”.
— Oui, bien sûr.
Elle avise alors le grand sac que tient à la main le deuxième nettoyeur, et sent de la bile remonter dans sa gorge. Elle aimerait hurler, les frapper, leur arracher les yeux ; elle reste figée sur place, ne pense même pas à embrasser Ysé une dernière fois, les regarde faire sans vraiment les voir et n’enregistre pas leurs au revoir.
C’est le bruit de la porte d’entrée qui se referme derrière eux qui la fait réagir.
Les premières lueurs de l’aube pointent à travers la large fenêtre derrière elle, et elle réalise que la pire journée de sa vie ne fait que commencer.
***
Elle somnole sur le canapé quand une petite voix la tire d’un sommeil sans rêve.
— Eh, Althea, salut ! Pourquoi tu dors ici ? Où est Nummy ?
Elle fait bouger sa nuque raide, et pendant une fraction de seconde, l’horreur de la veille n’existe plus, pourtant, très vite, la réalité implacable s’écrase sur elle et l’écrabouille à nouveau. Elle ferme les yeux, l’espace d’un instant, et prend une grande inspiration.
— Oh, Troy, mon cœur, il s’est passé quelque chose cette nuit, commence-t-elle en prenant ses mains dans les siennes. Tu sais, taon Nummy était très fatigué·e hier, et quand je suis rentrée de ma ronde, iel s’est endormi·e pour un très long sommeil. Des messieurs sont venus læ chercher pour qu’iel se repose tout à fait.
— Ok, et iel revient quand ?
Le corps tout entier d’Althea se raidit, et un combat avec elle-même commence pour empêcher ses larmes de couler et pour affermir sa voix.
— Jamais, petit cœur, iel avait besoin d’un repos éternel, d’un repos pour toujours.
— Je comprends pas, dit le garçonnet, les sourcils froncés. Comme la Belle au Bois dormant ?
“Moi non plus, je ne comprends pas”.
— Un peu comme ça, oui, par contre aucun baiser ne pourra læ réveiller. Rien ne pourra læ réveiller.
— Je comprends pas, Althea, répète-t-il avant d’éclater en sanglots, je comprends pas, je veux maon Nummy.
Elle l’attire à elle, caresse ses cheveux, murmure des paroles rassurantes et le berce longtemps, jusqu’à ce qu’il se calme. Par un miracle quelconque, ses propres yeux sont restés secs, et elle les plonge alors dans ceux du petit garçon.
— Je suis là, moi, par contre, Troy. Je ne peux pas remplacer taon Nummy, mais je suis là, ok ? On parlera d’ellui et on continuera à faire tout ce qu’on faisait ensemble, avant. Ok ?
Son estomac se contracte quand elle réalise qu’elle s’avance peut-être un peu : que va-t-il advenir du garçonnet maintenant qu’Ysé est mort·e ? Elle n’est pas officiellement l’un de ses parents. Voilà un problème de plus à régler, tout à l’heure, plus tard…
Le visage rond de Troy s’éclaire d’un ton et il prend une grande inspiration.
— Ok, Althea. J’ai une copine à l’école qui n’a que sa maman, et elle rigole tout le temps.
Althea se réjouit de la facilité de réflexion des enfants, qui les aide quand ils sont confrontés à des drames terribles, et quelque chose en elle se révolte, aussi : ne pourrait-elle pas se voir offrir une consolation de ce genre également ?
Elle prend à nouveau Troy dans ses bras, et le serre, peut-être un peu trop fort, contre son cœur meurtri.
— Althea ? J’ai faim..., finit-il par dire d’une voix étouffée, au milieu de ses reniflements.
— Oh ! Oui, bien sûr.
“Comment est-ce qu’une chose aussi banale que le petit déjeuner peut encore exister en un jour pareil ?”
Elle trouve dans les placards et le frigo un reste de granola et des yaourts, et les sert au garçonnet, tout en notant d’aller faire des courses dès que possible.
“Comment est-ce que je peux penser à aller faire des courses à cet instant précis ?”
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Jakae chappinj
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Marie Andree
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Laurie Lecler
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