Fyctia
18-Danger (3/3)
Les deux amies se font toujours face, chacune d’un côté du comptoir en bois. L’estomac d’Althea fait des nœuds sur lui-même à cause de ce qu’implique la libraire.
— J’ai rencontré l'auteur, la semaine dernière, reprend cette dernière. On a organisé une séance de dédicaces à la librairie. Il n’avait pas l’air d’un addict du tout, d’ailleurs.
— Une séance de dédicaces ? Chez Fallen and Daughters ? Je savais pas !
— Non, tu ne regardes jamais nos affiches, remarque Rebecca avec un petit sourire, avant de retrouver son expression sérieuse.
— Je ne serais pas venue dans tous les cas, je fais toujours partie de l’Ordre...
— Je sais bien... Et je ne veux pas me disputer avec toi, Althea. Je tiens beaucoup à toi, j’espère que tu le sais, et pas seulement parce que tu fais un excellent latte macchiato.
Son amie rougit et baisse la tête, toujours mal à l’aise avec les déclarations d’affection, alors que la jeune libraire lui fait un clin d'œil et prend justement une gorgée de sa boisson.
— Oui, Rebecca, je sais, admet la barista. C’est réciproque, et pas seulement parce que tu laisses de bons pourboires.
— Ok, dit la jeune femme blonde dans un petit rire. Et je sais que c’est compliqué pour toi car Gales est ton père adoptif et que tu as grandi selon les préceptes de l’Ordre, néanmoins je pense qu’il faut être conscient de ses failles. Peut-être que la nouvelle génération, c’est à dire toi, Kit, John, pourrait faire en sorte d’améliorer les choses, non ?
— Tu as raison, bien sûr. D’ailleurs, je suis devenue amie avec un démon ces derniers temps.
La libraire recule d’un pas et place une main sur sa joue, comme si la chasseuse l’avait giflée.
— Hum, pardon ? Tu as dû mettre un hallucinogène dans ma boisson, ou alors vous tournez un revival de cette super vieille émission “Caméra cachée”, j’ai cru entendre un truc encore plus bizarre que “l’Ordre a mis en place un régime totalitaire qui contrôle le monde entier”...
— Chut, Rebecca ! Tu ne devrais pas dire des choses comme ça à haute voix dans un lieu public !
— Pourquoi ? demande-t-elle, ses grands yeux bleus réduits à deux fentes étroites. C’est la vérité et vous allez m’assassiner aussi, comme l’auteur du livre ?
— Non ! Qu’est-ce que tu as, aujourd’hui ? s’écrie Althea en se prenant la tête dans les mains. Argh, j’ai l’impression que le monde devient fou, et moi avec, depuis quelque temps.
— Ce doit être vrai, si tu es amie avec un démon…
La jeune guerrière soupire en pensant à Jamie et au trouble qu’elle ressent, parfois, face à lui. La nuit dernière, alors qu’elle peinait à trouver le sommeil, elle a contemplé Ysé, endormi·e à côté d’elle, a fait le point avec elle-même et a conclu qu’elle était fascinée par le démon aux yeux violets. Fascinée par son humanité, tout simplement, et par la rapidité et la facilité avec lesquelles ils se sont rapprochés, malgré leurs différences. Après tout, à cause de lui, elle doit remettre en cause tout ce qu'elle a appris. Il y a de quoi être troublée !
— Jamie est différent, essaie-t-elle alors d’expliquer à son amie. C’est un démon pacifiste, il m’aide pendant mes rondes et veut contribuer à établir une paix durable entre humains et non-humains.
— C’est du délire, Althea. Et, Jamie ? C’est quoi, ce nom ? Sa mère a lu “James et la grosse pêche” quand elle était enceinte et a craqué pour le prénom ?
— C’est mot pour mot ce que je lui ai dit la première fois qu’il m’a parlé…, dit-elle dans un soupir. Écoute, je sais que ça semble surréaliste, j’étais la première surprise, je t’assure, mais c’est comme ça.
— C’est juste que je croyais que les non-humains étaient tous des monstres, remarque Rebecca d’une petite voix. Un vampire a tué ma sœur… Il l’a mordue à plusieurs endroits, elle s’est complètement vidée de son sang…
Ses yeux bleus se remplissent de larmes et la main qui tient sa tasse se met à trembler. Althea place sa propre main sur celle de son amie et serre fort.
— Je sais. Je suis désolée. C’est pour éviter ce genre de drames que je sors toutes les nuits, pour essayer de rendre Londres plus sûre, pour Troy, pour tout le monde. Et Jamie veut la même chose que moi.
— Ok, Althea, je fais confiance en ton jugement. Et je suis désolée pour tout ce que j’ai dit sur l’Ordre aujourd’hui. Je retourne travailler, on se voit bientôt, ok ?
Althea acquiesce avec un sourire bien que son estomac se contracte à nouveau à l’évocation des accusations de Rebecca. Elle essaie cependant de les repousser loin dans son cerveau, et décide de n'en parler ni à Ysé, ni à Gales, ni à Jamie.
***
QUELQUES JOURS PLUS TARD
— Salut Jamie !
— Salut, puce !
Althea tourne au coin de sa rue après un dernier geste d’au revoir en direction de son ami. Leur ronde a été calme ce soir-là - presque trop. Elle est néanmoins rassurée de voir qu’aucune gêne n’a subsisté entre eux après son anniversaire, et que la simple camaraderie est à nouveau au rendez-vous.
Elle pénètre dans son appartement, éclairé seulement par quelques bougies, retire sa veste et son armure, et libère ses longs cheveux de leur prison créée par une pince en écaille.
— Hey, baby, ça va mieux ? demande-t-elle.
— Moyen, répond Ysé depuis le canapé, je me suis encore senti·e patraque toute la soirée, j’ai vraiment dû choper un virus au dispensaire. Plus de nausées ni de vomissements, mais j’ai encore mal à la tête, et la moindre lumière et le moindre son m’agressent.
— Oh, désolée, maon pauvre. Je n’aurais pas dû sortir ce soir.
— Bah, ne t’inquiète pas, j’en ai vu d’autres, dit-iel dans un haussement d’épaules. Mets-toi à l’aise, je vais préparer une tisane.
Iel se lève et se dirige vers le coin cuisine. Althea la suit des yeux, un sourire aux lèvres - Ysé et sa passion pour les tisanes - puis voit sa silhouette trembloter, comme si un rideau de fumée se dressait entre iels deux.
Il n’y a pourtant pas de fumée dans la pièce, et iel s’effondre au sol.
— Ysé !
Le cœur battant, elle bondit hors du canapé, s’agenouille à côté d’ellui et remarque son visage rond tout crispé.
— Oh, ma tête. Je me sens bizarre, je vois plus rien…
— Ysé ! Attends, je vais appeler les secours, s’écrie-t-elle en commençant à se relever pour attraper son téléphone.
— Non, Althea, je me sens vraiment bizarre... arrive-t-iel à prononcer dans un murmure étranglé, puis, d’une voix plus ferme : écoute-moi, si c'est vraiment ce que je pense, prend soin de Troy, il va avoir besoin de sa maman. Oui, promets-moi ces deux choses : tu seras heureuse, et Troy pourra compter sur toi…
— Mais, Ysé, qu’est-ce que tu racontes, je ne vais rien promettre du tout, ce n’est qu’un petit malaise. Ysé ? Ysé ? Non, c’est pas possible... Ysé ? Ysé !
Sa voix frôle l’hystérie et ses yeux se remplissent de larmes brûlantes tandis qu’elle secoue le corps de læ guérisseuxe et caresse ses cheveux courts en même temps.
Elle éclate finalement en sanglots quand elle réalise que l’impensable vient de se produire.
— Je te le promets, Ysé, chuchote-t-elle, bien plus tard.
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Eva Boh
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