Fyctia
1-Présence
Il ne cesse de pleuvoir depuis l’avant-veille. Les rues sombres de Londres sont détrempées et désertes - les humains ont appris il y a bien longtemps qu’il ne faut pas traîner dehors après le coucher du soleil, mais qui aurait cru que les monstres n’aimaient pas la pluie ?
Althea devrait rentrer chez elle, néanmoins elle a détecté ce soir-là sur sa montre-hologramme, comme depuis quelques nuits, une présence qui la suit à distance lors de sa ronde nocturne. La jeune guerrière s’arrête un instant dans la ruelle qu’elle vient d’emprunter, dans l'espoir que le maigre auvent sous lequel elle s’abrite la protégera des gouttes froides et implacables. Sur le qui-vive, sa main droite posée sur le pommeau de son arme, elle vérifie à nouveau sa montre et essaie de resserrer sa parka noire autour de son corps frigorifié.
Il n’y a pas de doute : on s’est arrêté aussi, quelques mètres derrière elle.
Le cœur battant, elle fait mine de faire demi-tour pour retourner d’où elle vient, et entend alors des bruits de pas précipités qui s’enfuient. Elle laisse échapper un soupir de frustration, et prend enfin le chemin de son appartement, en s’appliquant bien à perdre cet individu mystérieux dans le dédale de ruelles de Shoreditch, au cas où il ne serait pas allé bien loin.
Une fois arrivée devant son immeuble, elle se place à l’endroit idoine pour que le système biométrique reconnaisse sa pupille et déverrouille le portail blindé. Elle expire profondément et s’ébroue comme un chien avant de rentrer dans son deux-pièces, situé au troisième étage. Saon partenaire, Ysé, bouilloire à la main, grimace quand iel découvre l’état pitoyable de ses longs cheveux auburn et de ses habits.
— Oh, pauvre chérie ! Je t’avais bien dit de ne pas sortir ce soir ! L’Ordre aurait pu t’accorder ta soirée, ou plutôt, tu aurais pu te l’accorder à toi-même.
— Tu sais bien que je ne peux pas faire ça, Ysé, répond son amante sur un ton las.
— Oui, je sais…
Iel n’ajoute rien de plus, et laisse Althea enlever son armure avec exosquelette intégré et se diriger vers leur salle d’eau. Ysé sait en effet que ce débat incessant, source de tension dans leur couple solide, est inutile. Althea a été très claire quand iels se sont rencontré·e·s, il y deux ans, au dispensaire où Ysé, guérisseuxe et jeune parent de vingt-cinq ans, travaille : elle voue toute sa vie, ou presque, à l’Ordre, qui tente de combattre les créatures non-humaines depuis des décennies.
Elle n’était pourtant pas née quand toutes sortes de monstres ont décidé de profiter aussi de leur part du gâteau après avoir vécu en marge de la société humaine pendant des siècles, cachés dans des régions reculées. Leur origine n'est même pas établie : certains parlent de portails multidimensionnels qui se seraient ouverts il y a des siècles de cela, reliant notre monde à d'autres réalités dépourvues de soleils et peuplées de créatures surnaturelles ; d'autres parlent de mages ou sorcières qui avaient pour habitude de se venger de leurs ennemis en les transformant en créatures de tout poil ou de toute écaille, condamnées à ne plus jamais pouvoir se tenir sous le soleil, et qui se sont reproduites par la suite.
Elles vivent à présent dans les recoins les plus sombres des grandes villes, sèment la terreur parmi les habitants, et commencent à s'organiser en bandes pour essayer de grappiller de plus en plus de pouvoir.
Les humains, une fois passée une longue période de déni, ont pris des mesures pour se protéger, et l’Ordre, une organisation internationale de chasseurs de démons, est né. Leur mission est de défendre les humains contre les démons et de maintenir l'équilibre entre les deux mondes.
Les parents d'Althea en faisaient partie, et ont été tués par des démons Gelbharion il y a cinq hivers. Depuis, la jeune femme, qui n'avait que quinze ans, sort chaque nuit, après avoir suivi un entrainement intensif au combat, pour essayer de faire baisser le nombre de créatures maléfiques, même si elle sait que cela ne pèse pas plus lourd qu’une goutte d’eau dans la Manche.
La douche à la température idéale, qui s'adapte à la température ambiante et à celle de son corps au centième de degré près, l’aide à se détendre un peu, et, une fois vêtue d'une longue robe en coton, elle attire Ysé vers elle pour un long baiser afin de se faire pardonner son manque de chaleur de tout à l'heure.
— Désolée, baby, j’étais frustrée car j’ai à nouveau détecté cette présence derrière moi.
— Ah oui, c’est vraiment curieux, ça. Ami ou ennemi ?
— Un ami se manifesterait, et un ennemi essaierait de me tuer. Donc, ni l’un ni l’autre ?
Ysé hoche la tête, la mine grave, et lui sert une tasse de thé.
— Troy est allé au lit sans problème ?
À la mention de son fils de cinq ans, tout le visage de læ guérisseuxe s'illumine.
— Oui, tout à fait, enfin si tu considères que lire cinq histoires à la suite correspond à "aller au lit sans problème", répond-iel dans un rire sincère.
— Ah oui, je vois. Impossible de lui résister, dit Althea avec le même rire, avant de reprendre son sérieux. Je suis navrée, je ne suis pas souvent là pour le coucher.
— Tu es présente à de nombreux autres moments, y a pas de souci, la rassure saon amoureuxe.
Althea acquiesce mais sent tout de même la pointe de culpabilité qui titille son cœur et qui la lâche rarement quand elle pense au garçonnet. Elle n'est pas la mère biologique de Troy, pourtant elle l'a rapidement aimé comme une mère aime son fils - avec douceur et férocité. Elle l'accompagne à l'école le matin, avant de rejoindre son travail au Electric Coffee, un café du quartier, et mange avec eux le soir puis part faire sa ronde.
Elle trouve toutefois que ce n'est pas assez, même si ce n'est pas la source des dissensions entre les deux jeunes gens. Ysé, en effet, apprécie son implication auprès de son fils, et reproche seulement à Althea sa trop grande implication auprès de l'Ordre, et la dangerosité de sa mission.
À cette pensée, son estomac se serre et elle se lève d’un coup d’un seul pour se rendre à pas de loup dans la chambre de Troy. L'enfant dort comme un bienheureux, sur le dos, les deux bras de chaque côté de son visage. À la clarté de sa diode-veilleuse, ses cheveux noirs, aussi courts que ceux d’Ysé, forment un halo sur l'oreiller. Son cœur de maman se soulève dans sa poitrine, et elle caresse doucement sa joue.
Lorsqu'elle retourne dans le salon, Ysé l'accueille avec un petit sourire ému et lui ouvre ses bras ronds. Althea s'allonge à côté d’ellui sur leur canapé moelleux et chante les louanges du petit garçon, tandis que la guérisseuxe passe ses doigts dans ses longs cheveux.
Un peu plus tard, sur leur lit dans l'alcôve toute mauve, les caresses se sont transformées en une longue étreinte passionnée.
Cependant, une fois n'est pas coutume, la jeune chasseuse de démons n’arrive pas à se laisser aller tout à fait, l'esprit encore tourné vers la mystérieuse présence.
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Bienvenue sur ma nouvelle histoire ! Merci, à très vite, Marie.
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AnnaK
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Il y a un an
Marie Andree
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Zebuline
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LostHeaven
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Cécile Marsan
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