Fyctia

- On évite l’extravagance ce soir. Un verre de vin rouge vous t’irait ?

J’échange un sourire complice avec Julie.

Le barman revient avec nos boissons quelques minutes plus tard, et on trinque ensemble, un simple geste qui semble marquer un tournant dans notre dynamique.

Je porte le verre à mes lèvres.

– À un Noël un peu particulier, non ?

– À un Noël particulier… et à des gens qui font de leur mieux pour avancer.

– Alors, le marketing, hein ? C’est un domaine qui m’a toujours intrigué… J’imagine que tu dois avoir

plein d’histoires à raconter sur les tendances à suivre et comment convaincre les gens d’acheter tout et n’importe quoi.

– Oh, tu sais, c’est un peu plus complexe que ça. Ce n’est pas juste "convaincre les gens de dépenser". C’est plus subtil, plus psychologique… Parfois, on essaie de comprendre pourquoi les gens font ce qu’ils font, ce qu’ils ressentent. Je te propose un défi. Essaye de me convaincre que Noël c'est la meilleure fête de l'année, même meilleure que mon anniversaire !

Je prends un air sérieux en la fixant du regard.

- Fêter son anniversaire c'est bien, c'est sûr, mais Noël, c’est magique. Il y a quelque chose d’universel dans cette fête, quelque chose de plus grand. C’est une occasion où tout le monde se réunit, où l’on partage des moments, des cadeaux… Et c’est aussi la seule période où il fait vraiment bon de rester à la maison, de profiter de la chaleur de l’intérieur et des gens qu’on aime.

– Je ne peux pas nier que tu as raison sur certains points… mais tu es sérieusement en train de me dire que Noël surpasse mon anniversaire ? Je veux dire… c’est quand même un jour rien qu’à moi, tu vois ?

– Ah, l’anniversaire, c’est personnel, je sais. Mais Noël, tout le monde se sent impliqué, tout le monde a cette même magie dans les yeux, et peu importe d’où tu viens, on se rassemble autour de la même idée : célébrer, donner, et recevoir de l’amour.

– Ok, tu es un véritable défenseur de Noël, je vois. Mais que penses-tu de l’aspect "fête de famille" ? Parce que, entre nous, parfois la famille, c’est un peu… un challenge, non ?

J’aurais aimé que ce soit plus un challenge qu'une réelle absence depuis des années. Elle n'a pas dû prendre en compte que je suis orphelin. J'essaie de ne pas me perdre dans des pensées négatives.

– Haha, je vois ce que tu veux dire. Mais justement, Noël, c’est l’occasion de renforcer les liens familiaux, même quand il y a des tensions. Il y a cette notion de pardon, de partage… C’est un peu comme une grande réconciliation annuelle. Les gens se mettent de côté pour passer un bon moment ensemble, pour célébrer l’essentiel. Ça n’arrive pas toujours à l’anniversaire, où tout est un peu centré sur la personne…

– D’accord, d’accord. C’est bien défendu. Mais tu sais, Noël, c’est aussi souvent synonyme de stress : les préparations, les repas à organiser, les cadeaux à trouver… c’est un vrai casse-tête parfois ! Et puis, il y a tout cet aspect consumériste, non ?

- Je ne vais pas te mentir, il y a toujours un petit côté "course contre la montre" dans les préparatifs, c’est vrai. C’est l’effort qui en vaut la peine. Ce n’est pas juste une journée comme une autre, tu vois ? C’est une occasion où tout le monde essaie de faire un peu plus que d’habitude, d’être un peu plus généreux, un peu plus attentionné. Oui, il y a la pression des cadeaux, des repas, mais au final, tout ça est une manière de dire : "Tu es important pour moi." Et ça, c’est précieux.

– Tu deviens philosophe sur Noël, là. Mais je dois avouer que tu as un point. J’aime bien cette idée de partage et de générosité, même si parfois ça peut devenir un peu… too much.

– Je savais que tu finirais par comprendre ! Et si Noël a cette dimension "familiale" et "universelle", ton anniversaire, c’est un moment plus personnel, plus intime, et c’est aussi merveilleux. Mais pour moi, Noël, c’est l’occasion de renouer avec la magie de l’enfance. C’est une fête qui dépasse tout ça, et ça en fait un moment spécial, plus qu’un simple jour de naissance.

– Bon, tu as définitivement gagné. Mais je t’avertis, Noël c’est bien… mais mon anniversaire, tu peux pas faire mieux. Rien n’atteint le niveau de mon jour spécial.

- J'ai hâte d'y être invité alors.

On éclate tous les deux de rire, comme si, dans cette conversation légère, un terrain d’entente s’était trouvé, même si chacun demeure un peu sur sa position. Mais dans le fond, on se rend bien compte que notre échange a fait plus que simplement débattre sur une fête.

La soirée avance, et nos conversations se font plus tranquilles, un peu moins animées, mais toujours pleines de cette complicité nouvelle. On a ri, discuté, partagé des moments agréables et nos regards échangés montrent clairement qu'on s'est rapprochés. Le moment de la séparation approche, et Julie jette un œil à sa montre.

– Bon, je crois qu’il est temps pour moi de rentrer… Tu sais, demain je travaille, et je ne vais pas pouvoir me lever à midi comme un vrai week-end…

– Ah, c’est vrai… Le travail et ses contraintes.

– Je n’ai pas envie de me transformer en zombie au bureau demain. Mais… tu sais, j’ai passé une super soirée, vraiment. C’était agréable de discuter, de te connaître un peu plus…

On échange un énième sourire complice avant de se lever et sortir du bar vers ma voiture. La brise fraîche de la nuit nous caresse le visage.

J'ouvre la porte à Julie qui entre dans la voiture. Je démarre.

– Merci pour la soirée, Charles. C’était vraiment cool de sortir un peu et de parler d’autre chose.

– Avec plaisir. Si ça te dit, on pourrait faire ça plus souvent. Peut-être autour d'un plat la prochaine fois ?

– Oui, je suis d’accord. Ça serait sympa de se revoir.

La voiture roule silencieusement. On arrive devant l’immeuble de Julie. On s’arrête devant l’entrée, mais on ne semble pas pressé de sortir. Elle tourne la tête et me regarde. Un regard qui en dit long sur ce qu’elle ressent, mais elle hésite.

– Bon… c’est là que je m’arrête, je suppose. Mais c’était vraiment chouette Charles… Envoie moi un message quand tu veux.

– Avec plaisir.

Tout semble indiquer qu’un petit geste pourrait briser ce moment délicat, un geste simple, un baiser. Mais on reste tous les deux là, à hésiter, à se demander si c’est le bon moment. Nos visages se rapprochent. Puis je décide de me reculer.

- Je crois qu’on devrait garder ça pour une autre fois. Le moment n’est pas tout à fait là, je pense.

– Oui, tu as raison. Ce n’est pas le bon moment… Bon, eh bien… Merci encore, Charles. Vraiment. C’était une super soirée.

– Merci à toi, Julie. Passe une bonne nuit et bon courage pour demain.

Julie descend de la voiture et ferme doucement la porte. Elle m'adresse un dernier regard, puis elle s’éloigne vers l’entrée de son immeuble. Je reste là, dans ma voiture, observant sa silhouette s’éloigner.