Fyctia

Nous passons la nuit à attendre, nous endormant à tour de rôle sur nos chaises.

Le changement de garde à lieu aux alentours de 8h30.

Une infirmière entre dans la pièce, portant un uniforme bleu et un masque.

- Bonjour, vous êtes bien la famille d'Albane ? Je suis l’infirmière en charge d’elle pour le moment. Son état est stable pour l’instant. Si vous souhaitez la voir, c’est le moment, mais je vous demande de garder à l’esprit qu’elle ne pourra pas vous répondre.

Elisabeth se lève encore la première.

- Elle... elle est toujours dans le coma, n’est-ce pas ?

- Oui, elle est toujours dans le coma, mais son état est sous contrôle. Seuls les proches immédiats peuvent m'accompagner. Elle doit rester dans un environnement calme, il faut éviter de la surcharger. Vous pouvez lui parler, lui tenir la main si vous le souhaitez, mais il est important que vous soyez calmes et que vous ne restiez pas trop longtemps dans la chambre.

Edouard et Nicolas se lèvent à leur tour. Ce dernier s’adresse à nous, d'un ton rassurant.

- On va être avec elle, on va lui parler, elle doit savoir qu’on est là.

- Très bien. Venez, je vais vous accompagner.

Ils suivent l’infirmière. Julie, Aaron et moi devons rester ici, impuissants.

- Vous voulez un café ?

- Je veux bien un chocolat chaud s'il-te-plaît, merci beaucoup, Charles…

- Non merci, je vais fumer.

Aaron sort. Je vais de ce pas chercher mon café et le chocolat chaud pour Julie. Nous sommes désormais le 25 décembre. Joyeux Noël...

Le seul avantage à tout ça, c'est qu'aujourd'hui est un jour férié, nous n'avons donc aucune obligation ailleurs.

La pièce est décorée sobrement avec quelques guirlandes et un petit sapin de Noël. Julie et moi sommes assis côte à côte, trouvant un peu de réconfort dans la présence de l’autre.

Elle souffle pour refroidir son chocolat, les mains serrées autour de sa tasse, avant de briser le silence.

- Noël… C’est... c’est vraiment pas ce qu’on avait imaginé, hein ?

- Quoi qu’il arrive, elle ne sera jamais seule. On est sa famille. Et la famille ça reste unie, même dans les pires moments. Surtout à Noël. C’est sa fête préférée.

- C’est… c'est la première fois que Noël n’a aucun sens. D’habitude, c’est la fête. On se réunit, on s’amuse, on mange trop, on rit trop. Mais là, c’est … tout l’inverse. C’est difficile.

- On peut quand même essayer de tenir le coup, non ? C’est ce qu’on doit faire pour elle. Elle aimerait sûrement que nous gardions espoir.

Je la regarde avec un sourire malgré la fatigue.

- D’ailleurs, je sais que tu connais pas mal de choses sur moi, mais moi j'en sais très peu sur toi. Tu la connais depuis combien de temps Albane ?

Elle a l'air surprise par ma question. Elle relève les yeux, un petit sourire se dessine sur ses lèvres.

- Oh, on se connaît depuis l’université. On était pas dans la même promo, moi j'étudiais le marketing. C'est grâce à Aaron, qui nous a fait nous rencontrer un midi à la cantine du campus et ça a été un vrai coup de foudre amical entre nous. C’est étrange, non ? Comment certaines personnes entrent dans ta vie sans que tu t’en rendes vraiment compte. Et puis, un jour, elles deviennent… essentielles. Elle est devenue la sœur que j'ai jamais eue, et inversement…

- Ça se voit que tu tiens beaucoup à elle. C’est beau, cette amitié. J'ai un peu la même avec Nicolas. Mais même avec lui, j'ai toujours ressenti cette peur que les gens que j’aime finissent par me quitter. Je sais que c’est un peu idiot, mais c’est comme ça, alors, je me retiens parfois, pour ne pas trop souffrir si tout ça finit mal.

- C’est pas idiot, Charles. On a tous des peurs. Mais… je pense qu’on ne peut pas se protéger de la vie en restant à l’écart. Ça ne sert à rien. Peut-être qu’au contraire, c’est quand on s’ouvre aux autres qu’on trouve ces liens vraiment solides. Je veux dire… regarde Albane. Elle, elle donne tout. Même quand elle est fatiguée, elle s’investit à fond. Elle croit en ça. Peut-être qu’on devrait aussi.

Les paroles de Julie prennent tout leur sens. Je ne m'étais pas rendu compte avant ce soir d'à quel point j'avais développé des liens avec Albane. J'ai sûrement voulu encore me protéger.

- Tu as une vision du monde plutôt positive, je dois dire. C’est agréable d’en discuter avec toi, ça… ça me fait du bien.

Notre conversation se poursuit doucement, avec des rires timides et des silences plus apaisants.

- Je voulais te poser une question. Et je ne veux pas que tu prennes ça mal, mais… j’ai l’impression que tu n’apprécies pas vraiment Aaron.

C'est vrai qu'il existe lui. D'ailleurs il n'est toujours pas revenu, ça fait longtemps qu'il est sorti fumé.

Je reste silencieux pendant quelques secondes mais Julie me relance.

- J’ai l’impression qu’il y a quelque chose qui ne passe pas entre vous deux. Comme une sorte de distance. Est-ce que je me trompe ?

- Non… non, tu ne te trompes pas. C’est juste que… je suppose que j’ai du mal avec lui. Mais c’est pas ce que tu crois. Je crois que je me sens juste légèrement protecteur envers Albane, et parfois j'ai l'impression qu'il ne fait pas vraiment attention à elle.

Cette discussion me tend.

- Je crois qu’en réalité, vous n’êtes pas si différents. Vous tenez tous les deux énormément à elle, et c’est ça qui rend les choses délicates. Peut-être que, quelque part, vous vous sentez tous les deux en compétition. Mais au fond il est juste maladroit, tout ce qu'il veut c'est rendre heureuse Albane.

C'est vrai que j'ai le ressenti d'être en compétition avec lui. Je ne le veux pas mais je ne peux pas m'en empêcher.

- Tu as raison. Je vais essayer de moins être sur mes gardes.

On s'échange un sourire.

- Je suis contente qu’on puisse enfin discuter un peu. Albane m'a beaucoup parlé de toi.

- Et alors, Julie, que penses-tu de moi après cette première impression ?

Je souris légèrement d'un air malicieux.

- Oh, je pense que tu es un peu plus complexe que ce que j'avais imaginé. Mais j'aime ça. Malgré la cause qui nous ramène ici, c'est peut-être la magie de Noël qui nous permet de nous découvrir l'un l'autre.

- Peut-être que c’est la magie de Noël qui crée ça en effet… ou peut-être que c’est toi.

Je la regarde dans les yeux, elle ne détourne pas le regard. On rentre dans un jeu dangereux.

On sent tous les deux l’attraction subtile qui s’installe, et on est un peu amusés par la situation.

- Tu me fais presque oublier que nous sommes dans un hôpital et que ma meilleure amie est en réanimation, Charles.

Elle me regarde avec un regard coquin.

Nous nous regardons intensément avant d'entendre des pas se diriger vers nous.

Elisabeth, Edouard et Nicolas sont de retour.