Fyctia
À petits pas ou le grand saut
Je reste scotchée face aux mots. Il est clairvoyant ou quoi ?
En toute transparence, je sais bien que je vis une crise existentielle. Oui, à 28 ans. C'est déjà la fin d'un cycle ou une envie de me quitter, de libérer une autre partie de moi, tapie dans l'ombre depuis trop longtemps.
Mais combien même, partir sur un coup de tête, tout jeter aux orties en moins de temps qu'il ne le faut pour le dire... C'est un pari fou bien au-dessus de mon assurance ! Toutefois, je pourrais prendre des congés ou télétravailler au vert, histoire d'essayer en douceur.
La brochette d'hommes surveille ma réaction. Michel hoche sa tête pour m'encourager, Jean-Marie impatient tapote la table avec ses doigts et enfin Simon souffle devant mon hésitation. Mais si l'envie d'ailleurs n'était qu'un fantasme ?
— Je ne voudrais pas déranger, chuchoté-je comme une excuse.
— Arrête ton char ! Jean-Marie possède des gîtes qui prennent la poussière, tu serais tranquille !
— ça ne gênerait pas votre famille ? demandé-je à l'intéressé.
Simon ouvre la bouche, mais Jean-Marie pose sa main calleuse précautionneusement sur son bras pour le stopper. Dans la douleur, sa bonne humeur tombe de son visage et ses yeux s'embrument. Je comprends alors que mes paroles ont dévoilé une plaie béante : la perte d'un être aimé. Je culpabilise. De le faire souffrir sans le vouloir, d'imaginer cette absence, de laisser ce sentiment que je connais si bien me submerger à nouveau.
Maintenant, il se tait. Un silence au milieu du brouhaha du salon. Un pèlerinage à la mémoire de son épouse. Je rapproche mon poussin contre mon cœur meurtri, sa douceur m'apaise. Cette jolie bête frotte sa tête contre moi, compatissante.
— ta présence amènerait un peu de vie à la ferme, souffle Jean-Marie. Mon fils est trop souvent absent.
Ces paroles brisent le malaise et révèlent son lot de difficultés.
— Il fait des photos, chuchote Simon. Enfin, il fait tomber le haut comme dirait son père et ça le met en rogne.
— C'est un point de vue, mais le mannequinat reste un art.
— Que nenni, intervient Jean-Marie. Il s'amuse à me provoquer en posant pour le calendrier "les dieux de l'agriculture et il a choisi mon mois de naissance par-dessus le marché !
— C'est une façon de rajeunir l'image des fermiers, ça ne me choque pas moi, réplique Michel
— Ah, c'est sûr toi avec ta candidature pour "l'amour est dans le pré", on est au summum du marketing paysan !
— Bah oui, j'assume ! Je suis déjà un vieux gars qui habite avec sa sœur, j'aimerais bien connaître l'amour avec un grand A, comme tu l'as vécu mon Jean-Marie.
Cette dernière phrase met tout le monde d'accord et l'emportement général retombe comme un soufflé, laissant place à la bonne humeur et à la suite du casse-croute. Les garçons sortent une autre bouteille pour fêter mon futur périple à leur côté. Apparemment, je ne peux plus reculer. Et ça me va bien !
Simon m'enlève mon poussin, le nourrit et le pose dans l'enclos près de nous.
Je le surveille du coin de l’œil. Va-t-il oser se joindre aux autres ? Vont-ils l'accepter ? Mon compère lève souvent la tête vers moi, je me demande alors si mes inquiétudes sont réciproques ?
— Maintenant que votre route reste la même, tu devrais lui donner un prénom, propose Michel en m'observant. C'est l'année des S.
— Je n'ai pas d'idée, avoué-je. J'aimerai quelque chose de fort, de différent.
— Eh bien, j'ai peut-être une suggestion. Tu réfléchis trop et tu cherches une autre philosophie, alors je verrais bien "Socrate".
C'est parfait, une évidence pour ce petit être exceptionnel !
— J'adore ! C'est magistral, m'exclamé-je.
— Eh oui, on en a dans le crâne à la campagne !
Les heures se sont écoulées et des centaines de personnes sont passées devant nous, sans retenir mon attention, ne serait-ce qu'une minute. J'ai vécu cet après-midi comme une parenthèse que je ne referme pas, pour mon plus grand bonheur.
Je m'approche de Socrate rassasié pour lui dire au revoir. Mais contre toutes attentes, Jean-Marie place le poussin dans une boîte de transport et me la tend.
— C'est pour être certain que tu reviennes demain, dit-il avec malice. Le salon ferme à 18 heures, on installe tout ce petit monde et on prend la route. Je compte... on compte sur toi !
Je réponds avec un grand oui ferme, balayant le moindre doute à l'assaut de ma raison. Je salue mes camarades et emprunte les allées presque vides, avec un poids en moins. Celui du quotidien et celui de mon escarpin coincé dans le tapis.
— Attention, tu vas de casser la margoulette, s'écrit Michel hilare.
— Il y a un stand de bottes sur ton chemin. Enfin, j’dis ça, j’dis rien ! enchérit Michel.
Je me retourne vers eux, rouge comme une pivoine, mais avec mon plus beau sourire. Car, peu importe si je suis maladroite les jours prochains, je sais que mon élan sera le bon pour cette nouvelle aventure !
3 commentaires
danielle35
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Il y a 4 ans
shane
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Il y a 4 ans
Lyaminh
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Il y a 4 ans