Fyctia
Clichés authentiques
Me voici donc devant la plus grande ferme éphémère de France. Ma mère qualifierait plutôt cet évènement de vaste mascarade, une vraie vitrine pour l'agro-industrie.
Au contraire, j'y vois un moyen de ramener la campagne dans nos villes, de partager un savoir-faire essentiel pour répondre à nos besoins primaires.
Bon d'accord, je ne pense ça qu'à 60 %. Comment réussir à respirer l'air des pâturages dans des halles surpeuplées, avec des visiteurs accros aux dégustations en tous genres et aux cadeaux publicitaires. Mais, au milieu de cette foule, je suis certaine de trouver un peu d'authenticité. Juste la meilleure partie, celle qui sera généreuse et bonne avec mon petit compagnon.
Avant de me dégonfler complètement, je décide de m'approcher de l'un des agents de sécurité. La vision de sa stature imposante dans son uniforme réduit un peu plus mon intrépidité. Comment pourrais-je passer gratuitement en contournant la foule pour ne pas effrayer mon poussin ? Mon plan me semble maintenant légèrement irréfléchi, voire foireux.
J'estime mon taux de réussite à la hauteur des pâquerettes, autant implorer le dieu de l'agriculture pour qu'il me vienne en aide. Saturne, je crois.
— Oh ! Voilà sûrement l'origine du prénom saturnin bien connu chez les tiens, chuchoté-je au-dessus du carton. Je devrais peut-être te nommer ainsi ? Non, c'est trop commun !
Qu'est-ce qui me prend ? Moi qui suis avare de mon amour au point de m'interdire un attachement quel qui soit, je suis soudain prête à attribuer un nom à cette créature ? Ce n'est pas possible !
Je fuis subitement ce sujet. Je me le suis promis, les larmes ne couleront plus ! Le regard dirigé vers cette boule de bonheur capable de fêler mon armure, je hâte le pas.
— Bonjour ! Vous allez sans doute pouvoir m'aider ! Ce poussin a été déposé dans mon entreprise par erreur et nous avons pensé que ce salon serait le meilleur endroit pour trouver quelqu'un pour l'accueillir sans attendre.
Peu fière de ma technique pour impliquer ce monsieur, je souris intérieurement. Soit, j'ai omis quelques détails, mais le principal est de mettre toutes les chances de mon côté. Enfin de notre côté !
L'homme se penche vers mon acolyte et celui-ci le gratifie d'un piaillement. l'expression sévère de mon interlocuteur change en un clin d’œil et révèle une grande douceur et un altruisme certain.
— Il est tellement mignon ! s'exclame-t-il. Vous avez raison la jungle urbaine n'est pas pour lui. Je connais la personne qu'il vous faut ! Grimpez dans la voiturette, dit-il en poussant la barrière de sécurité. Je vais vous conduire au Hall 4 où se trouve la basse-cour. Vous demanderez Jean-Marie !
Mon chauffeur au grand cœur, me remet un badge et s'engage à l'arrière du bâtiment. Nous slalomons entre les camions et les dizaines de personnes qui s'activent dans l'ombre jour et nuit pour le confort des animaux et du public.
En seulement quelques minutes, nous arrivons à destination et j'en sais déjà plus sur le vigile. Il s'appelle Didier, il vit en banlieue avec sa femme et ses enfants. Son plus grand rêve serait de s'installer dans un village, mais il ne peut pas se permettre de perdre son travail et se demande bien ce qu'il pourrait faire d'autre.
Nous voici donc coincés dans la même bulle, à regarder nos envies d'ailleurs ou d'autre chose s'éloigner. Je le quitte en lui souhaitant de vivre ses envies. Et moi les miennes...
Toujours dans mes pensées, je pénètre à l'intérieur, avec la maison de fortune dans les bras. Luttant contre la marée humaine, je m'approche des exposants à la recherche de ladite personne. Une chance ! Tout le monde connaît Jean-Marie ! Il se trouve à quelques mètres avec un chandail rouge.
L'homme d'une soixantaine d'années est installé à une petite table avec des amis, non loin des animaux. Je me plante devant eux et m'apprête à répéter ma phrase bien rodée sur le sauvetage de mon poussin. Mais le regard de Jean-Marie s'ancre dans le mien, la bonté qui émane de lui me fait vaciller. Il existe une dualité troublante sur son visage et dans ses expressions : des traits marqués avec une certaine tendresse et un mélange de joie et de tristesse.
Incapable de lui mentir ou de broder mon récit, je me livre sur mon aventure avec mon petit compagnon jaune. Il me regarde intensément. Toute la tablée est silencieuse et moi je retiens ma respiration.
— Dis donc, elle n'est pas piquée des hannetons ton histoire, s'écrit-il. Allez, viens t'asseoir avec nous et montre-nous cet animal !
Soulagée, je le sors de sa boîte et une nouvelle fois, il se blottit dans ma main.
— Il t'aime bien ce petit gars ! Tu lui as donné un nom ? intervient une autre personne.
— Non... En fait, je pense que c'est une mauvaise idée puisque je dois l'aband...
Le reste du mot est alors emprisonné derrière mon larynx, incapable d'être prononcé.
— Laisse la donc tranquille Michel ! lance Jean-Marie en me servant une rasade d'eau-de-vie.
J'avale une gorgée pour balayer mes douleurs enfouies et manque de m'étouffer avec tous ces degrés.
— Encore une Parisienne qui découvre la goutte ! rempile Michel. Mais tu verras, c'est comme la cigarette, on tousse la première fois et on en redemande !
Je jette un regard semi-noir au bavard et finis par sourire, car je sais pertinemment qu'il me taquine. Pour la peine, je lui tends mon verre. Mes joues chauffent et je me livre un peu sur ma vie. Le temps passe vite et bien à leur côté et je me prends rapidement à leur jeu de la répartie et des stéréotypes.
— C'est de bonne guerre les clichés entre les ruraux et les Parigots, non ? intervient le troisième homme. Tiens regarde toi tu viens ici habillée sur ton 31. C'est pas la "vache mone week" !
— Vous voulez dire la "fashion week", articulé-je.
— Oh, mais tu ne vas pas me vouvoyer, on est pas dans les salons parisiens ! Je sais bien que c'est la fashion week, mais c'est la Mone qui l'a rebaptisée ainsi.
— La Mone ?
— Ah oui, encore une nouveauté pour toi, nous on met un le ou un la devant les prénoms !
— Donc je suis la Emma. C'est votre particule à vous !
— Une particule pour la noblesse de la terre, nous les agriculteurs ! C'est beau ça, je t'aime bien toi ! et la Mone, c'est la Monique, ma sœur. Elle est restée à la ferme.
— Vous venez tous du même endroit ? demandé-je
— Oui, du Jura, annonce fièrement Jean-Marie.
— J'ai vu un reportage, ça semble magnifique.
— Pff, un reportage ! Vous les gens de la capitale vous regardez plus de choses derrière vos écrans qu'en vrai !
— Si je pouvais...
— Pouvoir, c'est votre mot préféré, dans tous les sens ! Viens c'est tout !
— Pour mes prochaines vacances, pourquoi pas...
— C'est maintenant ou jamais, sinon tu ne franchiras jamais le pas, s'exclame Jean-Marie. Je n'ai pas l'habitude de mâcher mes mots, alors je vais te dire le fond de ma pensée. Je ne te connais pas assez, mais je crois que tu te sens à l'étroit dans cette grande ville et je me demande si tu cherches une issue de secours pour le poussin ou pour toi !
4 commentaires
danielle35
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Il y a 4 ans
shane
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Il y a 4 ans
Lyaminh
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Il y a 4 ans
Senefiance
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Il y a 4 ans