Senefiance Adopte un poussin Folies Fermières

Folies Fermières

"Araignée du matin : chagrin, ai-je songé à sept heures en regardant une petite boule aux pattes déployées, lutter contre le volet rabattu par ma main."


En toute honnêteté, je ne pense pas que le chagrin me concerne. Par contre, la mélancolie sans nul doute, accompagnée d’une impatience face à un quotidien figé.


J’ai fait un premier pas le mois dernier, en virant mon amant et son rendez-vous hebdomadaire. Lui bénéficiait d’une certaine liberté réconfortante, mais pour moi la régularité et le manque de spontanéité avaient pris des allures de prison dorée. Dorénavant, je veux m’autoriser à rêver et à sortir de cette zone paisible sans folie.


Toutefois, face au carton posé sur mon bureau, je trouve le destin très joueur ! Ainsi, un autre dicton s’invite dans ma tête : Poussin de l’après-midi, non merci !


— C’est quoi ça ? demandé-je avec appréhension à Lila.


La fillette me regarde déconcertée par ma réaction. Du haut de ses 9 ans, ses petites mains sur les hanches, elle me fixe avec une certaine autorité donnant le sourire aux lèvres.


— Bah, c’est le poussin que tu as adopté ! répond-elle comme une évidence. Tu as oublié de venir le chercher. Alors maman m’a emmenée pour que je te le porte.

— Hein !? C’est quoi cette histoire ? Je n’ai adopté personne ! Sans te vexer, précisé-je en m’inclinant vers la petite boule jaune !


L’oisillon peu impressionné et charmeur lève sa tête vers moi et la penche sur le côté. Déstabilisée par ce condensé de douceur sur patte, j’avance vers mon bureau tant bien que mal. Le ticket de tombola acheté quelques jours plutôt est rangé dans mon vide-poche qui n’en porte que le nom. En effet, je suis forcée d’admettre que chaque objet est à sa place, parfaitement aligné.


Cette rigueur révèle-t-elle un côté obsessionnel ? Une lutte intérieure inconsciente ? Je préfère parier sur le perfectionnisme ! J’attrape quelques post-its de couleurs différentes et les dispose en pagaille sur mon plan de travail. Un vrai pied de nez à ma manie de l’ordre !


Après cette nano révolution, je me concentre sur le morceau de papier. Je relis deux fois, lentement, très lentement. Quelle imbécile je suis ! J’étais au téléphone lorsque Lila a fait irruption dans mon bureau la semaine dernière et j’ai lu les lignes en diagonale, en retenant simplement le nom de l’école.


— Et tu ne t’es pas demandé pourquoi je t’ai laissé de l’argent contre ton billet ? questionné-je l’enfant sur un ton culpabilisateur.

— Je croyais que c’était un don !


Elle lève ses yeux gris au ciel avant de sortir et s’engouffrer dans le bureau mitoyen au mien. Elle revient tirant son père, mon collègue Marc, par la main. Il observe l’animal quelques secondes et éclate de rire.


— Mais dans quoi tu t’es embarqué Emma ?

— Non, mais quelle idée de proposer l’adoption d’une bête dans des bureaux en plein cœur de Paris ? grogné-je. C’est tout de même une belle initiative, ajouté-je en caressant la chevelure de Lila pour ne pas la blesser.

— Ma maison est à la campagne et on est à côté de Paris ! Et à l’étage du dessus, ils ont tous dit oui, annonce-t-elle fièrement.

— Je n’en doute pas ! Ces gens-là sont des actionnaires et ils tous une deuxième résidence au vert, pas moi ! Tu dois le ramener, je ne peux pas le garder dans mon petit appartement.


La vision assez paradoxale de l’aspect sanitaire, du cadre non approprié et d’un potentiel attachement bouscule mes pensées.


— La ferme est vide maintenant, il faut trouver une autre solution, intervient Marc le front plissé, en guettant la réaction de sa fille.

— Tu peux m’aider ? supplié-je.

— Ah non, je pars pour Taïwan dans 3 heures, j’ai un rendez-vous avec des fournisseurs pour la nouvelle collection et j’accompagne Lila à son cours de danse juste avant.


J’ai tant d’admiration pour cet homme et surtout pour cet équilibre qu’il a trouvé entre son travail et sa famille. Il est toujours entre deux avions avec son poste à l’international, et malgré tout, sa femme et sa fille restent sa priorité. Je crois même qu’il arrive à s’octroyer un peu de temps pour lui.


Alors que moi, je m’applique à rentrer dans les cases façonnées par l’entreprise avec un investissement sans faille, voire complètement exclusif. Je m’accroche et m’adapte comme un rubik's cube mal mené. Mais que me reste-t-il sans mon job ? Pas grand-chose... mon amie qui vit trop loin, ma mère avec ses avis tranchés et ses jugements ou mes sympathiques collègues qui me rappellent perpétuellement le travail.


Sécuritaire, je suis littéralement enfermée dans la boucle infernale de ma routine et je suis coupable de cette situation. Le déclic ne viendra pas seul, je dois agir !


Dépitée, je m’aperçois que je fais la même moue que Lila.


— Bon j’ai besoin de prendre l’air pour réfléchir. Et toi aussi ! complété-je en saisissant la maison de fortune du petit être.


Une fois à l’extérieur, je m’attarde sur le trottoir. Les badauds défilent et j’imagine leur journée pendant quelques secondes, la vivant parfois par procuration. Je progresse entre les immeubles de bureaux et l’odeur particulière de la capitale. Enfin, je repère un square désert. Je franchis le portail et sors délicatement le poussin de la boîte. Je me dirige vers un banc et mon acolyte, pas plus haut que les talons de mes escarpins, me suit à travers les brins d’herbe.


— Ne me dit pas que tu t’es déjà attaché à moi, le sondé-je en espérant avoir une réponse subliminale.


Il piaille et semble attendre une réaction de ma part. J’hésite... Et puis mince, il a bien le droit à un peu de réconfort ! Je le pose au creux de ma main et mon petit compagnon paraît apprécier cet écrin à sa taille.


Un chien en laisse passe à proximité du grillage et lâche ses aboiements sur nous. Mes bras adoptent un mouvement de recul, protecteur je crois. Contre toutes attentes, le poussinet se dresse et bombe son minuscule torse. Après la grenouille et le bœuf, voici le poussin qui voulait se faire aussi gros que le caniche !


Le maître tire la corde et éloigne le roquet. Je sens un léger tremblement entre mes doigts, comme si l’adrénaline quittait le corps de cette petite créature. Je lui chuchote alors ma fierté devant ses quelques centimètres de bravoure. Je prends conscience que je viens peut-être de trouver un mentor à poils jaunes, capable de faire preuve de l’audace qui me manque parfois !


Le courageux s’endort dans ma paume, au cœur de cette cité peu adaptée à ses besoins. Mes yeux à l’affût d’un signe scrutent un panneau urbain. La publicité pour le nouveau spectacle des folies bergères défile.


— Les folies fermières seraient plus indiquées ! plaisanté-je pour moi-même.


Les publications sans intérêt s’enchaînent, me soutirant un bâillement interminable. Soudain, la révélation tant attendue ! Le salon de l’agriculture !


Le visuel se fige quelques secondes, comme un appel. J’installe mon compagnon dans l’emballage et attrape mon sac en toute hâte.


— Allez petit gars, on y va ! Quelque chose me dit que le bonheur commence là-bas.


Tu as aimé ce chapitre ?

6 commentaires

danielle35

-

Il y a 4 ans

Super une petite boule de poil jaune la tire de son quotidien malgré la surprise j espère seulement qu elle ne va pas s en séparer attention Emma

Lyaminh

-

Il y a 4 ans

Oh non, elle ne va pas le refiler à un agriculteur ! Pauvre petit poussin 🐤🐤🐤 😁

Senefiance

-

Il y a 4 ans

Mais non, il est trop mignon! La question est de savoir qui adopte qui ...

Sabrina A. Jia

-

Il y a 4 ans

très original :)

Senefiance

-

Il y a 4 ans

Merci :)

shane

-

Il y a 4 ans

Une écriture toujours aussi riche et rythmée. On s'attache à ce petit bout de poils jaune au travers des réflexions de notre héroïne. vite la suite !!
Vous êtes hors connexion. Certaines actions sont désactivées.

Cookies

Nous utilisons des cookies d’origine et des cookies tiers. Ces cookies sont destinés à vous offrir une navigation optimisée sur ce site web et de nous donner un aperçu de son utilisation, en vue de l’amélioration des services que nous offrons. En poursuivant votre navigation, nous considérons que vous acceptez l’usage des cookies.