Mad May Adieu les étoiles Effraction

Effraction

Quelque chose tapa contre le hublot de la salle de l'Amirauté.


« Un oiseau ? Si loin des îles ? » dit Davi.


Aucun des vice-amiraux ne prit la peine de répondre. La réunion s'éternisait, mais ils ne partiraient pas avant d'avoir tranché l'épineuse question qui les rassemblait.

La proposition de Davi.


Ils étaient vingt-neuf, autour d'une majestueuse table ronde décorée de nacre. La salle comptait trente siège à plaques nominatives. Le siège vide était celui de Benvolia, assassinée la veille. La nouvelle tragique avait pris l'Amirauté de court. La nervosité déformait les visages, accentuée par les lanternes rouge corail. Une tension palpable régnait dans cette salle où se faisaient et se défaisaient toutes les décisions de l'armada.


Debout, Davi s'appuyait sur le plat de la table, dans une tentative d'asseoir son autorité. Il n'avait jamais impressionné les vice-amiraux, peut-être parce qu'il n'avait pas vécu la guerre comme eux. Ces vétérans exhibaient leurs vieilles cicatrices au moindre prétexte. Untel avait la gueule cassée, un autre était manchot. À un troisième, il manquait un bras ou une jambe. Les manches étaient roulées, les prothèses bien en évidence. Des médailles de chair brillaient sous les lampes, et dans les miroirs qui ornaient les murs. Elles étaient censées traduire une sagesse de vie, l'expérience des vétérans.


Tous les vice-amiraux partageaient la perte de leur intégrité physique dans le conflit contre la Dame.


Tous, sauf Davi.


Il était plus jeune que Benvolia au début du conflit. Contrairement à elle, il n'avait joué aucun rôle dans sa résolution. Il savait seulement gérer un navire.

Avec le recul, il aurait tué pour avoir la chance de participer à cette guerre.


« Alors ? dit-il à la cantonade. Que pensez-vous de ma proposition ? »


L'Amirauté se mura dans un silence de mort. Davi s'agrippa à la table, gagné par la colère. Ils refusaient de l'entendre. Ils n'écoutaient que les héros comme Benvolia. Ironiquement, c'était elle qui lui avait fait franchir la porte de cette salle. Ce paradoxe le rendait malade.


La doyenne des vice-amiraux prit la parole :


« L'idée d'exploiter les tensions politiques d'En-haut n'est pas mauvaise. Mais nous convertir au culte des étoiles ?

— Considérez-le comme un échange. En-haut nous promet de partager la rose-étoile. Cela signifie retrouver le contrôle des mers, loin des calamités de la guerre. C'est davantage que les acquis négociés par Benvolia en quinze ans, et moyennant quoi ? Une simple conversion religieuse. Avouez que ce n'est pas cher payé.

— La guerre ne s'oublie pas. Tu fourres des inepties dans la tête de nos soldats. L'immortalité !

— À long terme, ce sera le cas. Aujourd'hui, notre espérance de vie ne fait que décroître. Grâce à cet accord, nous vivrons plus longtemps et aurons plus d'enfants.

— En nous couchant devant En-haut ?

— En évoluant pour survivre. Benvolia a déjà épousé l'Empereur.

— Elle a d'abord gagné la guerre !


Davi se tut, frémissant de rage.

Les vice-amiraux se concertèrent avant de tomber d'accord à l'unanimité :


« Davi, l'Amirauté rejette ta proposition, résuma la doyenne.

— Vous rejetez l'avenir ?

— Pas l'avenir, la servitude. Benvolia te faisait confiance pour ton efficacité. Pas pour tes principes. »


Accrochée à sa béquille, elle se leva et asséna le coup de grâce :


« Tu ne seras pas le prochain Amiral. Rien de personnel, Davi. Mais tu n'es pas celui qu'il nous faut. »




Face à l'Amirauté close, Aster s'était introduit sur le cuirassé par un autre hublot. Pour une fois, la chance était de son côté. Il reprit apparence humaine dans une cabine fermée à double tour. Ses dimensions laissaient penser qu'elle logeait quelqu'un d'influent. Elle contenait un lit deux-places, des casques à micro, un bureau et un nécessaire d'écriture, ainsi que les clés d'une motomarine. Une veste d'uniforme était pliée sur le lit. Aster en reconnut les galons.


Il avait tiré le gros lot. Les quartiers de Davi.


Il tira au hasard les compartiments du bureau. Que cherchait-il, au juste ? Un plan de conversion d'En-bas ? À supposer qu'un tel document existe, Davi l'aurait caché quelque part. Il fouilla la corbeille à papiers en quête d'un indice écrit, de n'importe quelle mention des diodes. Sa main tomba sur des coupons en papier cartonné. Il les retira de la poubelle sans grand espoir, mais s'étrangla en les voyant.


Aster venait de trouver ce qu'il ne cherchait pas : les cartes noires, dans des enveloppes timbrées d'En-haut.


Soudain, du bruit agita la serrure.


La panique envahit Aster. Sur le bureau, il s'empara de la clé de la motomarine, au moment où Davi entrait, furieux de sa réunion.





Sur le porte-dirigeables, la veillée atteignait le point critique. Les chants se turent. Une clameur enfla sur le pont. On allait enfin connaître le sort de la Dame, la meurtrière de l'Amiral.


Victoria flottait toujours sur sa bouée, à deux pas du bâtiment. Un vent de nuit maussade se levait. Les vagues clapotaient de plus en plus fort sur les canots à moteur. L'un des esquifs s'approcha, cognant la bouée. Les autres rentrèrent s'amarrer. Il était temps.


« Je peux me rincer les mains ? » dit Victoria au soldat qui la détachait.


L'homme lui décocha une gifle retentissante, qui faillit l'envoyer à l'eau. Quand elle se redressa, sa lèvre avait doublé de volume. Elle la tamponna en se brûlant au contact du sel.


« Espèce de rustre, » grimaça-t-elle.


Le soldat la poussa. Elle tomba à plat ventre, en travers du rebord dur. Tandis que le moteur démarrait, pour rejoindre les autres, elle trempa ses mains dans l'eau. Le sel attaqua ses poignets sciés par les chaînes. Soudain, ce qu'elle attendait arriva, et se lova dans sa main. Ses écailles froides lui caressèrent la paume. Comme prévu.


«Qu'est-ce que tu fiches ? aboya le soldat.

— Oh, rien.

— T'aurais jamais dû t'en prendre à l'Amiral. Ce soir, tu vas couler avec un boulet aux pieds.

— Nous verrons. Vous savez, le secret de la victoire, c'est de veiller à ce que quelqu'un ait toujours besoin de vous.

— Quoi ?

— Derrière, crétin. »


Le soldat se retourna.


Un intrus était monté à bord. Son treillis l'avait fait passer pour l'un des leurs.

Il lui balança une giclée d'eau de mer au visage, puis un pied dans le ventre, qui le projeta par-dessus bord. Ses camarades le virent crever la surface avec stupéfaction. Avant qu'ils puissent réagir, l'intrus les assomma. Malgré son treillis, il n'était pas des leurs. Des griffes artificielles lui prolongeaient les doigts.


Il fit basculer ses victimes à l'eau et considéra la Dame.


Victoria ne broncha pas face à cet effrayant sauveur. Elle ôta ses mains de l'eau, avec sa prise, et s'assit au fond du canot. Du sang coulait de sa lèvre sur son invariable sourire.

Sur ses genoux frétillait un gros poisson mécanique. Deux rangements hermétiques saillaient de ses flancs, comme des boîtes postales. Elle en sortit une liasse de lettres enluminées.


« Bonsoir, petit frère, dit-elle. Tu en as mis du temps. »

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2 commentaires

M.B.Auzil

-

Il y a 8 mois

Soutien 😉

Amphitrite

-

Il y a 8 mois

Coucou. Je n’ai pas eu le temps de lire ton histoire en détail pendant le concours mais les bribes que j’ai lues m’ont beaucoup plu. C’est vraiment bien écrit et tout à fait mon style d’histoire.
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