Mad May Adieu les étoiles Harpie féroce

Harpie féroce

« C'est insensé. Pourquoi l'Amiral Davi ferait-il baptiser toute l'armada ? »


Mara haussa les épaules en signe d'ignorance.


« Quelle est votre étoile ? insista Fiodor.

— On est censé en avoir une ?

— C'est dans le nom, sans vouloir vous froisser.

— Pas au courant. On m'a posé la diode pendant une visite médicale. Je me suis endormie, et au réveil, elle était là. D'autres capitaines m'ont raconté la même chose.

— Et Davi vous a fait miroiter l'immortalité ?

— C'est stupide, hein ? On pense qu'il a pété un fusible. On évite d'en parler entre nous. »


Fiodor opina, l'un air sombre. Il comprenait le tabou d'être manipulé à son insu. Toutefois, l'affaire piquait sa curiosité au vif.


« Davi vous ment, évidemment. Dans le culte des étoiles, l'immortalité est une métaphore. Il doit vous faire baptiser pour une autre raison, et vous allez m'aider à trouver laquelle.

— Ça devait rester un secret !

— Il n'y aura pas de représailles, je vous en fais le serment. J'ai une question pour vous : pourquoi l'armada obéit-elle à un chef si difficile à cerner ?

— La hiérarchie prévaut sur tout. Et puis, l'Amiral lui faisait confiance. C'est un bon meneur d'hommes. »


Fiodor glissa les épaules par l'écoutille. Personne dans le couloir. Des bribes de chœur marin leur parvenaient de la surface.


« Où est-il en ce moment ? dit-il à mi-voix.

— D'après la rumeur, il devait rencontrer l'Amirauté aujourd'hui, sur le cuirassé, avant la veillée. C'est peut-être déjà terminé.

— Prêtez-moi votre treillis.

— Pardon ?

— Nous faisons presque la même taille et nos corpulences sont proches. Votre tenue me fera passer inaperçu. Ainsi, m'infiltrer sera un jeu d'enfant.

— Par effraction ? Sur le cuirassé amiral ? On vous a soufflé la lanterne, à vous aussi ?

— Allons, c'est votre jour de chance. Je vous fais l'honneur de vous confier mon superbe manteau.

— Qu'est ce qui ne tourne pas rond chez vous ? »


Malgré ses protestations, Mara finit par céder. Ils échangèrent la partie visible de leurs vêtements dans un coin de la cabine. Intérieurement, Fiodor s'excusa auprès de son épouse.


Désolé, ma chère. Je ne serai pas long.

Il est hors de question que je vous abandonne ici.


« Ne laissez personne toucher au caisson avant mon retour, dit-il en scratchant le treillis.

— L'équipage va venir. Ils emporteront sa dépouille pour la rendre à la mer.

— Alors gagnez du temps. »


Mara accepta. Dans le manteau de deuil, elle osa enfin regarder l'Amiral, et l'embrassa longuement des yeux. Fiodor sut qu'il pouvait compter sur elle.


Peu après, un homme élancé, aux cheveux blancs, parcourut les couloirs du porte-dirigeables en esquivant les autres soldats. Quand on le saluait, il répondait en miroir. Il monta sur le pont par un escalier en acier. Parvenu sur le tarmac, il disparut dans la foule des officiers de l'armada.





Aster avait le mal de mer.


Le public le compressait, comme une sardine en boîte. Des milliers d'uniformes obstruaient son champ de vision. Dans son dos, la présence de l'armada lui donnait des frissons. Cependant, sur le pont, la veillée se poursuivait. Les boules diffusaient une lumière jaune d'or, comme des soleils en modèles réduits. On tira une deuxième salve au canon. Les chants s'achevèrent sur un lever de pavillon noir, hissé au préalable par les autres navires.


Cette cérémonie glauque rendait hommage à Benvolia. Pourtant, rien de ce qu'Aster voyait ne lui ressemblait. Il se rappelait surtout son obstination à vivre, matérialisée par son respirateur.


Aster cherchait son air, quand un grand officier le heurta. Il trébucha sur lui et se confondit en excuses :


« Pardon, je ne me sens pas bien, je- »


L'officier lui prit le menton.


Aster étouffa un cri en le reconnaissant.


« Chut, dit Fiodor. Faites comme si de rien n'était.

— Vous êtes fou ? Qu'est-ce qui vous prend ? L'équipage s'apprête à remonter le caisson, Davi sera là d'une minute à l'autre !

— Suivez-moi. »


Ils fendirent la foule en jouant des coudes, jusqu'à l'extrémité ouest du porte-dirigeables. Dépourvue de bastingage, elle permettait aux zeppelins d'atterrir dans une relative sécurité. Un trou rectangulaire se découpait devant eux, dans le tarmac. Les soldats s'en tenaient à bonne distance, sans quoi une rafale de vent pouvait les précipiter à la mer.


Au-dessous s'étalait l'étage des hangars. Une plateforme mobile s'y trouvait, à l'arrêt, totalement vide. Un monte-munitions. L'endroit rêvé pour poursuivre leur conversation. Ils n'eurent qu'à sauter du pont d'envol sur la plateforme, quelques mètres en contrebas. Ils atterrirent sans encombre, en roulant sur le béton du monte-charge. Rien à déplorer hormis quelques hématomes. De plus, personne ne les avait remarqués. La nuit était trop pleine d'effervescence.


Sitôt remis de ses émotions, Aster s'emporta :


« Qu'est-ce que ça signifie ? On veille l'Impératrice, pour l'amour du ciel !

— Davi manigance quelque chose. Je veux découvrir quoi.

— Pourquoi menez-vous encore l'enquête ? Qu'est-ce qui vous excite autant ? Vous croyez que cela va vous ramener votre épouse ?

— Il fait baptiser ses soldats en douce, en leur promettant l'immortalité. »


La révélation éclata au visage du jeune homme. Les mots du Grand prêtre lui revinrent, ainsi que ses pensées parasites.


« Il les convertit au culte des étoiles ? Mais pourquoi ?

— C'est que là que les choses m'échappent. Tout ce qu'il fait, c'est leur greffer les diodes. Autrement dit, il se fiche des étoiles en tant que symbole. »


Aster nageait en plein chaos. Existait-il une communauté de fidèles, En-bas et d'infidèles En-haut ? Non, c'était trop compliqué.

Il passait à côté de quelque chose. Restait à savoir quoi.


« Voici ce que nous allons faire, dit Fiodor. Mara protègera ma femme. Pendant ce temps, je me transformerai en oiseau à l'aide de ma bague, pour monter à bord du cuirassé. Quant à vous, j'aimerais que vous interrogiez la Dame.

— Moi ? Seul avec cette dégénérée ?

— Elle sait dont des choses que nous ignorons. Pour se transformer, il suffit de tourner l'anneau, n'est-ce pas ?

— Oui, mais- »


Fiodor tourna la bague, déclenchant l'hologramme.


Une image de harpie féroce se matérialisa sur lui. Très vite, elle apparut défectueuse. Ses plumes clignotaient, son bec se pixellisait, elle se brouillait au moindre geste. Surtout, elle mesurait la taille d'un humain, bien trop grande pour passer inaperçu.


Bouger était un défi. S'envoler impensable.


Fiodor finit par abandonner. L'image se dissipa et il refit surface, les yeux exorbités.


« Je ne comprends pas, marmonna-t-il. Ça ne me transforme pas ? C'est juste un camouflage ?

— C'est votre première tentative. Peut-être que-

— Essayez pour voir ? »


Aster enfila la bague.


Aussitôt, il se changea en une harpie plus vraie que nature, qui décolla vers le cuirassé. Il survola l'eau noire à tire-d'aile. La sensation était vertigineuse.


Fiodor, ébahi, demeura sur le monte-missiles, assigné à la mission qu'il lui avait fixée. Interroger la Dame.

Tu as aimé ce chapitre ?

4

4 commentaires

Dixy

-

Il y a 8 mois

Pluie de likes de soutien et merci pour ton aide ! ❤️

Sarah Pegurie

-

Il y a 8 mois

Je suis à jour 🍓

Frédérique FATIER

-

Il y a 8 mois

🙏🏽

Amphitrite

-

Il y a 8 mois

J’adore ton titre !
Vous êtes hors connexion. Certaines actions sont désactivées.

Cookies

Nous utilisons des cookies d’origine et des cookies tiers. Ces cookies sont destinés à vous offrir une navigation optimisée sur ce site web et de nous donner un aperçu de son utilisation, en vue de l’amélioration des services que nous offrons. En poursuivant votre navigation, nous considérons que vous acceptez l’usage des cookies.