Fyctia
La mine
Se préparer pour l'Île aux œufs pouvait prendre des semaines. Benvolia réduisit ce délai à deux jours. Elle embarqua à l’aube du troisième, avec une lourde escorte. Durée du vol ? Imprévisible. Les Îles pouvaient dériver de centaines de kilomètres dans le ciel. Par chance, les ingénieurs de bord calculèrent vite son emplacement, presque inchangé. Le vaisseau trouva l'Île et atterrit en évitant un dangereux nuage de quartz, sous une pluie de félicitations.
Avant de quitter l'appareil, Benvolia relut la lettre pliée dans sa poche. Celle de Davi d'En-bas. Après le marché aux fleurs, elle lui avait écrit pour lui poser une question, une seule :
Comment déjouer un complot ?
Comme d'habitude, son bras droit avait répondu dans un style télégraphique :
ÉTONNÉ DE LA QUESTION. SÛRE QUE COURRIER CONFIDENTIEL ?
SI BESOIN SUIVRE PROTOCOLE LENZITES.
POUVONS AIDER.
DAVI
Pas un mot de trop. C'était tout lui.
Les lenzites auxquelles il faisait allusion étaient le pire fléau d'En-bas. Ces champignons se nourrissaient du bois des navires, et développaient depuis peu un goût pour certains métaux. Leur élimination requérait un protocole strict : il fallait nettoyer les parasites, puis consolider la structure touchée. Exactement ce que Benvolia avait l'intention de faire En-haut. Davi avait raison de l'inciter au sang-froid. La panique, c'était pour les autres, peu importe le terrifiant compte à rebours de la maladie.
Benvolia eut le cœur gros d'y penser.
En débarquant, elle chercha à reporter son attention quelque part. Une harpie féroce passa. Surprenant, dans ce lieu inhospitalier.
Le nom de l'Île aux œufs n'avait rien à voir avec les oiseaux ou les aliments. C'était le principal complexe minier de l'Empire, producteur de gemmes merveilleuses. À cause de l'activité d'extraction, rien ne survivait à la surface. L'air était saturé de poussière. Pour descendre dans la mine, il y avait un escalier souterrain que Benvolia emprunta sans hésiter. Elle s'habitua vite à l'obscurité. Elle se sentait bien dans les ténèbres, comme en mer. L'escorte, en revanche, était nerveuse.
« Du nerf, les pressa-t-elle. On ne va pas y passer la nuit. »
Ils se hâtèrent. Deux d'entre eux portaient les poignées d'un coffre-fort, si gros qu'il traînait par terre.
D'abord, consolider le pouvoir impérial.
Le nettoyage des ennemis viendrait plus tard.
Au terme d’une descente qui brouilla leur notion du temps, Benvolia et l’escorte atteignirent le fond de la mine. C’était une immense caverne traversée de tunnels et de rails. Des silos stockaient les richesses terrestres : diamants, rubis, béryls, mais aussi de l’or et du platine, rivalisant d’éclat. Les mineurs travaillaient sur des échafaudages. Couverts de suie, ils bougeaient en tremblant comme des ombres.
Un ascenseur se présenta non loin. Il ne s'agissait pas d'un ascenseur classique, mais horizontal, à même la paroi, qui faisait des allers-retours dans la profondeur de la roche. Il se stabilisa. Sa porte en grillage coulissa, révélant le premier ministre d’En-haut.
C’était un monsieur élégant accompagné d’une canne. Il n’en avait pas besoin, mais il trouvait cela tellement esthétique. Sa moustache était taillée et pommadée, son costume repassé à la perfection. Difficile de deviner qu’il fêtait ses quatre-vingt-dix ans.
« Mes respects, dit-il à Benvolia d’une voix douce. Vous avez l'air en forme.
— Azénor, vieille chouette, contente de vous voir ! Je finissais par croire que vous aviez pris votre retraite. Qui vous a parlé de ma visite ?
— Personne. C'est mon métier d'être au courant.
— Rassurez-moi, vous n'avez pas averti Victor d'Antarès ?
— Le gouverneur de la mine ? Non, ce n'est pas exactement un homme sympathique. Dois-je l'envoyer chercher ?
— Surtout pas. Rassem-- kof kof ! »
Une forte toux la secoua. Elle dut s'appuyer sur ses genoux pour retrouver son souffle. Quand le ministre s'enquit de sa santé, elle dit que c'était juste la poussière, et reprit d'une voix rauque :
« Rassemblez les mineurs. Je veux qu'ils m'écoutent tous. »
On sonna dans une corne de ralliement "aussi antique que fiable" d’après le ministre. Les mineurs se regroupèrent devant le silo à diamants. Peu à peu, le bruit des machines céda la place au brouhaha humain.
Benvolia avait prévu de s'adresser à la foule. Elle gravit le silo par une petite échelle. Arrivée en haut, elle avança sur le rebord. Le silence se fit. Elle jeta un coup d’œil au sol avant de commencer son discours : l’escorte s’était rangée devant les mineurs, le coffre-fort bien en vue. Derrière elle, le silo brillait d'une mer de diamants multicolores.
Elle fit un pas supplémentaire et dit :
« Il y a deux types de problèmes ici-bas : les graves, et sans mauvais jeu de mots, les mineurs. Un problème mineur se présente parfois par le rire. Comme un pamphlet. »
Elle marqua une pause. Elle lisait, chez les travailleurs, une attitude détestable : de la connivence. Étaient-ils tous de mèche ? Non, Benvolia, c’était parano.
« D’un côté, il y a les pamphlets, répéta-t-elle. De l’autre, il y a les attentats. La rumeur a déjà dû circuler : un mineur a posé un corbombe en pleine salle du trône. Pour l'instant, nous ignorons s’il agissait seul. Je rendrai riche celui qui m’en dira plus. »
Elle claqua des doigts. Le coffre-fort se déverrouilla d'un coup sec, révélant des lingots d’or d’une grosseur absurde. Pourtant, nul ne réagit. Un malaise plomba la caverne.
Benvolia échangea avec Azénor un regard incrédule : comprennent-ils qu’un seul de ces lingots les met à l’abri du besoin toute leur vie ? Dans le public, le ministre lui signifia : c'est culturel. Ils ont l’impression que vous les poussez à la délation.
Benvolia en resta perplexe. Etaient-ils tous idiots ?
En-haut représentait souvent un mystère pour elle.
Alors qu'elle cherchait meilleur argument, quelque chose la fouetta.
Ça vola autour d'elle en cercles concentriques. Une petite créature volante, rapide, dure et froide. Qui lâchait des croassements de métal.
Ça redoubla ses assauts.
Benvolia recula sur le bord du silo, en se protégeant de ses bras. Des serres la griffèrent, emportant des lambeaux de son uniforme.
« Majesté ? entendit-elle en contrebas.
— Majesté, qu'est-ce que-
— Majesté ! »
Le brouhaha monta, gonflé par l'écho de la mine. Les cris devinrent une peur à l'unisson. Benvolia se boucha les oreilles. Dix, vingt, trente corbombes l'attaquaient en même temps, issus d'un nid invisible.
Quand glissa-t-elle du rebord ? Vers l'arrière, dans le silo ?
L'espace de quelques secondes, son cerveau fonctionna très vite. La mer de diamants l'avalait, vorace et coupante, moins belle que vue d'en-haut. Elle se noyait. Il fallait sortir de l'eau. Grimper au mât. Comme avec Davi, enfant, quand l'Amiral les mettait en compétition. Mais ce n'était pas de l'eau, les diamants la blessaient, et les consignes de sauvetage d'Azénor ne lui parvenaient pas.
Au moment de sombrer, elle vit une harpie féroce qui survolait les corbombes.
Ensuite, elle étouffa.
32 commentaires
Tonie Mat N’zo
-
Il y a 9 mois
camillep
-
Il y a 10 mois
Mad May
-
Il y a 10 mois
Nina Fenice
-
Il y a 10 mois
Mad May
-
Il y a 10 mois
LZLZLZ
-
Il y a 10 mois
Mad May
-
Il y a 10 mois
Manon Graulier
-
Il y a un an
Mad May
-
Il y a un an
mariecolley
-
Il y a un an