Fyctia
Le culte des étoiles
La messe touchait à sa fin. Le silence régnait dans l’église, sous la voûte en croisée d'ogives. Les étoiles en or du plafond dansaient devant les vitraux. Elles tombaient à différentes hauteurs, accrochées à des chaînes, parfois jusqu'aux fidèles en train de se recueillir. C’était le culte des étoiles d'En-haut.
À la naissance, chaque personne recevait un astre qu’elle priait toute sa vie. Les prêtres se chargeaient du baptême en fonction des astres "disponibles". Il était très difficile d'influencer leur jugement. Toutefois, il y avait des exceptions. Benvolia d’En-bas, promise à l’Empereur, avait eu le privilège de décider de son étoile au moment de se convertir. Elle avait choisi Sirius, l’étoile blanche, la plus brillante du ciel.
Derrière l’autel, le Grand prêtre attendait la fin du recueillement. L’avantage ? Pas besoin de réfléchir. Alors qu’il détaillait une étoile, un défaut de la peinture, ou une jolie fidèle, ses yeux rencontrèrent la silhouette.
Une femme encapuchonnée qui le regardait fixement.
« Par le ciel, » murmura-t-il.
Sans le moindre tact, il frappa dans ses mains pour faire comprendre à ses ouailles qu'il était l'heure de partir. L’église se désemplit, trop lentement à son goût.
La femme resta debout dans l’allée centrale.
« Qu’est-ce qui vous prend ? dit-il à mi-voix en la rejoignant. Vous n’auriez pas dû venir. Encore moins en plein jour.
— Il fut un temps où j’étais chez moi partout. L’auriez-vous oublié ? »
— Allons ailleurs, c’est plus sage. »
Il emmena la femme dans la sacristie qu'il ferma à double tour.
La pièce était simple mais chaleureuse. Elle avait pour seul ornement une tapisserie, l’œuvre d’art officielle du palais, qui racontait une histoire romancée d’En-haut. On y retrouvait la légende de la Harpie Féroce, dont les œufs avaient engendré la lignée impériale ; des batailles qui traversaient le textile pour n’en former plus qu’une ; et plus récemment, la déchéance de la Dame, condamnée à être jetée d’En-haut.
La femme se perdit dans la contemplation de ce dernier épisode.
« Ah, cette histoire, soupira-t-elle. Comme je la hais.
— La tapisserie est obligatoire dans tous les lieux publics. L'Empereur croit bon de rappeler à quel point il est puissant.
— Fiodor, puissant ? Ce n’est qu’un enfant qui se croit le maître. Il prend le monde entier pour un jouet. Et que font les enfants à leurs jouets, Arthus ? Ils les cassent. »
Dans un rire désagréable, elle laissa glisser son manteau sur le carrelage, se montrant tout entière.
Son corps était une ruine. Elle n’avait plus de colonne vertébrale. C’étaient des plaques de tôle, visibles par-dessus sa robe, qui maintenaient son dos en place. Du nylon et des clous rafistolaient ce qui lui restait de visage. Sans parler de ses mains recousues à la fibre. Dès qu’il entendait le bruit de boulon qui l'accompagnait partout, le Grand prêtre éprouvait un malaise.
« Je ne m’y habituerai jamais, dit-il faiblement.
— Alors mettez-vous à ma place. Pensez à la douleur, la chute et la trahison.
— Pourquoi êtes-vous venue ?
— Parce qu’il s’est passé quelque chose cette nuit. Quelque chose de divin, de formidable. »
Elle s’approcha, un peu trop près. Son haleine de métal était envahissante.
« Mon étoile m’a parlé, dit-elle.
— Comment ça ?
— Mon étoile Spica, « l’épi de la vierge ». Celle que j’ai reçue à la naissance et que vous faites semblant de vénérer dans votre église.
— Sauf votre respect, les étoiles ne parlent pas. C’est une tournure de langage, une métaphore.
— Je sais très bien ce qu’est une métaphore. Et je reconnais le chant d’une étoile à mon oreille ! »
Le Grand prêtre baissa les yeux.
Embarrassant.
« Mon étoile m’a dit de me dépêcher, continua-t-elle. Fini de jouer à terrifier Fiodor et Benvolia, ils doivent mourir, et vite. Le prochain corbombe sera le dernier.
— Ce n'est pas ce qui était prévu. Ils devaient d'abord abdiquer.
— Benvolia n'a plus que trois mois à vivre ! Je refuse qu'elle meure autrement que par ma main ! »
La surprise se peignit sur les traits d'Arthus.
« Vous êtes au courant pour son mal ? Depuis quand ?
— Mon pauvre Arthus, les dons de la famille impériale vous dépassent. Ils dépassent tout ce que vous pouvez imaginer.
— Je crains que ce ne soit pas prudent. Benvolia mènera sa dernière bataille jusqu'au bout. Elle cherchera un coupable, en croyant défendre l'Empire.
— Nous lui en donnerons un. Ou cent, ou mille, qu'importe, nous avons nos alliés pour cela. À propos de coupable... »
Elle donna une pichenette contre la tapisserie.
« Où est notre brebis égarée ? »
Le Grand prêtre arracha le tissu de ses crochets. En tombant, la tapisserie révéla une cachette, une cellule à barreaux de fibre creusée dans le mur.
Le captif du palais se terrait à l'intérieur. La cellule était trop petite pour qu'il tienne debout. Sa main, tremblante, serrait sa dent-détonateur tombée de sa gencive.
La femme prit l'air doucereux.
« Là, tout va bien. En déclenchant le corbombe, tu as fait ce qui était juste et bon.
— Ils me tueront, bredouilla l'homme. Ils me jetteront d'En-haut et je dégringolerai dans le ciel... Mort pour toujours...
— Mort de peur, oui, dit le Grand prêtre d'un ton méprisant. C'est moi qui ai recueilli sa confession. Heureusement, car cet idiot aurait tout avoué.
— Là. C'est fini. »
La femme passa une main filiforme derrière les barreaux. Ses doigts froids touchèrent la joue du captif.
« Tu ne tomberas pas d'En-haut, chuchota-t-elle. Sais-tu pourquoi ? »
Un espoir s'éveilla en l'homme.
L’instant d’après, les doigts froids lui crevèrent un œil.
Il bondit en hurlant, se débattant, cognant les barreaux de la cellule, s'assommant à moitié. La femme insista. Ses doigts froids rentrèrent dans l'orbite, s'agrippèrent où ils purent, et elle se mit à gratter. Elle tâtonna à la recherche des parties molles du crâne. Du sang coula sur son poignet, et d'autres choses visqueuses, inidentifiables.
Un temps infini s'écoula avant que l'homme s'effondre, mort.
La femme se redressa comme si de rien n'était.
« Celui-là était de trop. Mieux valait que je le fasse taire. Je veux être la seule à parler aux étoiles, vous comprenez ? »
Le Grand prêtre ne dit mot.
Il était trop occupé à vomir dans un coin de la sacristie.
« Ah, vous êtes trop sensible. Mais rappelez-vous, Arthus. Si vous éprouvez de la pitié envers Fiodor, et surtout Benvolia... »
Ses doigts froids, maintenant tièdes, lui saisirent le menton.
« Je vous ferai taire aussi. Ou je ne suis plus la Dame. »
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Tonie Mat N’zo
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Il y a 9 mois
camillep
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Il y a 10 mois
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Camille Jobert
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mariecolley
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Il y a un an