Fyctia

Décembre 2010…

Le serveur apporte nos verres avant de se retourner vers une autre table. Anna est souriante. Je me sens à l’aise et calme. Mon cerveau semble s’être mis en veille.

-Tu bosses ici depuis longtemps ?

Même si je fais en sorte de me contrôler au maximum je ne peux cesser de la regarder. J’essaie de mettre de côté toutes mes pensées immorales pour laisser place au simple fait d’être avec elle. Seulement avec elle. Laissant de côté ma personnalité perverse et honteuse.

-J’ai obtenu ma Maîtrise de Droit en juin dernier. Je suis en stage chez Martin & Jones Associés depuis le début de mes études, et si tout se passe bien je ferai partie du Cabinet d’ici deux ans. En tant qu’avocat.

Son regard est rivé au mien. Son attitude laisse à penser qu’elle s’intéresse vraiment à ce que je fais. Pourtant si elle savait ça ferait déjà longtemps qu’elle serait partie. Me laissant seul avec mon esprit tordu et mon corps enchaîné.

-Et toi ? Qu’est-ce que tu fais maintenant ?

Je la regarde prendre son verre et boire une gorgée de vin. Ses lèvres se déposant doucement sur le bord du verre. Je suis hypnotisé par la beauté de cette fille. Quand je pense que je l’ai connue comme ma petite sœur. Sauf qu’aujourd’hui Anna a bel et bien l’allure et le corps d’une femme. D’une femme que je n’arrive pas à me sortir de la tête depuis quelques années. Me contentant de son image dans ma tête pour me soulager.

-Je travaille dans un journal local juste à côté. Pour l’instant je fais quelques piges mais j’ai travaillé sur un article important le mois dernier du coup on m’a attribué une rubrique plus distrayante.

Son sourire s’épanouit à mesure qu’elle me parle. Elle semble heureuse et comblée. Je sais que je devrais m’en contenter sauf que je me suis promis de ne pas laisser passer ma chance une deuxième fois.

-C’est super ! J’aimerais beaucoup pouvoir lire un de tes articles.

Anna semble surprise mais je suis sincère, ce qu’elle fait m’intéresse.

-C’est vrai ?

J’acquiesce en souriant. Cette soirée est tellement apaisante et reposante pour moi que je me sens déstabilisé. Désorienté. Je me sens trop calme, trop serein.

On continue de discuter de nos objectifs professionnels et de nos études pendant un long moment. Le bar se vide au compte-goutte alors que notre troisième verre arrive sur la table. Je bois très peu d’alcool en général et je sens déjà les effets du vin agir sur moi. Je m’efforce donc de faire attention. A mes mots. A mes gestes.

Pourtant la voir et l’observer face à moi m’enivre.

-Et sinon tu as rencontré quelqu’un depuis tout ce temps ? Si tu as caché ça à Max je ne peux pas te promettre de ne pas lui dire…

Son rire envahit la salle pendant un court instant alors que mon cœur en enregistre toutes les nuances. Sa beauté naturelle s’étale sous mes yeux.

Pourtant sa question me serre le cœur.

Comment lui expliquer qu’il n’y a jamais eu personne ? Que je n’ai éprouvé ce genre de sentiments que pour elle. Que ma vie est vide de sens.

Comment lui dire que je ne survis qu’avec du sexe ? Peu importe le partenaire. Peu importe avec quel moyen. Et même peu importe l’endroit. Du moment que j’ai ma dose.

Je ne peux pas lui dire. Elle ne doit jamais connaître cette partie de moi. Je la perdrais c’est certain. Et cette fois je ne m’en relèverais pas.

-Non je… Je travaille beaucoup donc… Je n’ai pas vraiment le temps de chercher quelqu’un.

La moue triste que forment ses lèvres attire mon regard. Ravivant le feu qui crépite doucement au fond de moi.

-Et toi ?

Je sais que je prends un risque avec ma question mais je dois savoir. Si je veux mettre toutes les chances de mon côté. Même si la réponse doit me briser un peu plus.

Un léger rire sarcastique lui échappe. Ses yeux se tournent vers la fenêtre avant qu’elle revienne vers moi en baissant la tête.

-Moi ! Et bien disons que… Jusqu’à hier j’étais fiancée…

Un poids m’alourdit le cœur instantanément. Je peine à respirer alors que mon cerveau s’embrouille. Fiancée ?

Merde !

-Mais maintenant c’est terminé !

Je l’écoute mais mon esprit ne veut pas imprimer. Je me fous que ce soit fini ou non. Je me sens en colère contre moi. Comment j’ai pu laisser passer ça ? Comment j’ai pu me persuader que la laisser tranquille lui rendrait service ? Sans penser que ça la pousserait forcément dans les bras d’un autre. Un pauvre connard qui ne verrait pas à quel point elle est parfaite. Putain !

J’essaie de me reprendre mais mon sang bout dans mes veines. Malgré tout je veux savoir.

-Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

Ses yeux retrouvent les miens. Je m’attendais à y voir de la tristesse comme n’importe quelle personne après une rupture, sauf que tout ce que je vois c’est de l’amertume et de la colère.

-Je l’ai surpris avec une autre.

J’ai de la peine pour elle. Je réalise qu’en voulant la protéger de moi je ne l’ai pas protégée des autres.

-Ce n’est pas très original hein ?

Ses lèvres esquissent un sourire factice. Comme pour garder la face.

-Faut croire que j’attire les connards.

Mon cœur se comprime. Je me dis qu’elle ne peut pas être plus dans le vrai. Moi aussi j’en suis un. Et visiblement je devrais me persuader de faire machine arrière. Je la blesserais encore plus.

Mais ma raison me pousse à continuer. J’attrape sa main posée sur la table et la caresse de mon pouce tout en la regardant.

-Je suis sûr que non. Ce n’était pas le bon c’est tout.

Je prends conscience qu’en lui disant ça je ne le suis pas non plus. Mais j’ai envie d’essayer. J’ai attendu trop longtemps pour reculer maintenant. J’ai des doutes sur la proposition que je m’apprête à lui faire mais si je ne le fais pas maintenant je ne sais pas quand arrivera la prochaine occasion.

-Ça te dit qu’on poursuive cette conversation chez moi ? Ce bar est très sympa mais je dois t’avouer que je n’ai pas encore mangé.

-Mais oui bien sûr ! Pourquoi tu ne me l’as pas dit avant ?

Elle se lève aussitôt pour passer son écharpe et sa veste pendant que je laisse de l’argent sur la table pour nos verres avant de sortir. Nous retrouvons le froid glacial de la nuit pendant que nous marchons tranquillement jusqu’au Métro qui nous amènera chez moi.

Inutile de préciser que mon corps est tendu comme un arc. Je ne sais pas ce que je fais. Je ne sais pas où la soirée va nous mener mais je n’ai qu’une seule envie…

L’avoir avec moi.