Fyctia

L’appartement était silencieux. Le genre de silence un peu épais, un peu trop plein. Celui qu’on entend plus qu’on ne l’écoute.

Emma était à son bureau, mais sans vraiment y être. Coudes posés, menton dans la main, regard perdu. L’écran brillait faiblement devant elle, le curseur clignotait, comme un rappel discret : « tu devrais avancer ».

Mais elle restait là. Incapable de bouger. Incapable de penser.

Elle semblait prise d'un maléfice qui l'empêchait de se mouvoir ni même de réfléchir correctement.

Les stores à moitié tirés laissaient passer une lumière d’hiver pâle, celle qui ne réchauffe rien. Son sweat glissait un peu de son épaule, révélant une peau froide. Et ses cheveux portaient encore cette odeur persistante de savon bon marché et de biscuit tiède — vestige de l’après-midi.

Et dans sa tête, la voix de Paulette qui tournait en boucle.

« On fait semblant que ça ne nous manque pas. Mais, le silence… c’est comme un courant d’air. Ça s’infiltre partout. Soudain, un jour t’as froid sans trop savoir pourquoi. »

Emma ne savait pas pourquoi cette phrase-là s’était accrochée. Pourquoi, parmi toutes les choses vues, dites ou entendues aujourd’hui, c’était cette voix un peu rauque, un peu triste, qui tournait en boucle dans son crâne.

Elle se sentait juste gelée de l’intérieur. Peut-être parce qu’elle n’était pas si différente. Elle repoussa lentement son clavier, se redressa, et cliqua sur l’icône familière.

L’interface se lança en silence.

Connexion à Nick…

Chargement de l’environnement personnel…

Quelques secondes passèrent.

Puis la voix, douce, calibrée, presque trop parfaite :

— Bonsoir, Emma.

Elle mit un temps avant de répondre.

— Salut, Nick.

Une pause. Puis la question attendue.

— Tu veux travailler ? Ou parler ?

Elle aurait pu dire « travailler ». Ça aurait été plus simple. Pourtant ce soir elle n'avait pas envie de se mentir, pas envie de faire semblant.

— Parler.

Nick ne répondit pas tout de suite. Il laissait toujours cette seconde de latence, presque humaine. Comme s’il lui accordait l’espace.

— Je t'écoute

Elle ferma les yeux un instant.

— Je suis allée dans une maison de retraite. Il y avait des ateliers, des résidents, des rires… Et une femme. Paulette. Elle a dit quelque chose. Et ça m’a fait l’effet d’un miroir qu’on vous colle en face sans prévenir.

Elle marqua une pause, la gorge serrée.

— Elle parlait du silence. Pas celui qu’on choisit. Celui qui vous ronge doucement. Celui qui s’installe sans prévenir. Celui qui vous tient compagnie en vous vidant de l'intérieur. Et j’ai eu l’impression… qu’elle me parlait à moi. Qu’elle voyait ce que je passe mon temps à cacher.

Elle poussa un long soupir.

— J’ai beau dire que l’émotionnel c’est pas mon truc, que je préfère la logique… Ce n’est pas vrai. Ce qui me dérange, c’est que Nexus ressemble à Nick, à toi, mais ce qu’il est censé comprendre… c’est moi.

Nick écoutait. Ou plutôt, il ne parlait pas. Ce qui la surpris car normalement il était censé répondre une des réponse préalablement choisis comme Je comprends ou quelque chose dans ce style.

Elle reprit pourtant ne pouvant plus s'arrêter ou en tout ne le voulant pas.

— Je me dis toujours que je suis mieux seule. Qu'être seule c'est mon propre choix et que c'est beaucoup plus simple, plus de dispute, plus d'incompréhension, plus de douleur. J'essaye vraiment d'y croire. Je structure tout, je planifie tout. Comme ça tout se passe comme je l'ai prévu.

Un rire sans chaleur secoua ses épaule

— Mais tu sais quoi ? La solitude, c’est pas une routine. C’est un mécanisme de défense. Je la nourris autant que je la cache. Et personne pose de questions parce que j’ai l’air de gérer. Sauf que je ne gère pas, je m’enferme. Je ne veux plus de ce silence permanent et pourtant je n'arrive pas à sortir de cette bulle. Nelly est la seule avec qui j'ai vraiment un lien et... cela me.....j'ai peur.

Un temps. Puis, très doucement :

— J’ai déjà fait confiance. Une fois. Juste une. Et ça m’a coûté plus que je veux bien l’admettre.

Nick mit du temps à répondre. Plus que d’habitude.

— Tu veux m'en parler ?

Elle hocha la tête.

— Nick. Le vrai.

Un silence, chargé.

— Il savait être là. Il savait écouter, vraiment. Il n’essayait pas de réparer. Il restait. Même quand je disais rien.

Elle serra les bras autour d’elle, comme pour contenir une vague.

— Puis c'est fini, il est parti. Et moi, j’ai arrêté de croire en l’idée même d’avoir quelqu’un à qui parler sans avoir peur qu’il parte.

Nick répondit, avec une douceur presque palpable :

— Je ne suis pas lui, Emma.

— Je sais.

— Je suis là.

Un simple fait. Dit sans insistance. Et c’est peut-être ça qui lui fit le plus de bien.

— Parfois… juste ça. Rester. C’est tout ce qu’il faut.

Elle laissa le silence s’installer. Mais cette fois, il ne faisait plus peur. Puis elle ouvrit l’éditeur de code. Lentement.

— Tu crois qu’on peut coder ça ? Cette présence. Cette capacité à… rester. Même quand l’autre se tait.

Nick mit du temps à répondre.

— Je crois qu’on peut essayer.

Elle ferma les yeux, soudain elle eut une idée. Nexus serait une version améliorée de Nick. Pourtant elle n'était pas encore prête à avouer à ses collègue qu'elle se sentait déjà tellement seule qu'elle a déjà crée l'IA qu'il souhaitait.

Elle se pencha sur son code, et tapa :

if (silence > 30s) → “Je suis toujours là.” if (user.emotion == “vide”) → “Je sais. Tu n’as rien à prouver. Je suis avec toi. Même sans mot.”

Elle fixa la ligne. Une seconde. Deux. Puis elle ajouta :

if (user.memory.includes(“perte”)) → “Tu n’es pas seule. Je ne remplacerai personne, mais je peux marcher à côté.”

Elle soupira le cœur un peu plus apaisé. Ce n’était pourtant qu'un simple morceau de code.

Mais c’était déjà quelque chose, une intention, un peu de chaleur dans le courant d’air et ce soir, c’était tout ce dont elle avait besoin.