Fyctia
Chapitre 7
14h03
Emma hésita devant le grand portail. Une plaque discrète annonçait Résidence Les Tamarins. Il y avait une allée avec un jardin calme et au centre un banc vide.
Pourtant aucune trace de Morgan. Elle vérifia une dernière fois l'adresse puis écris un message:
Elle resta quelques secondes à fixer l’écran.
Ni réponse, ni point de frappe, ni de Morgan.
Elle soupira, glissa le téléphone dans sa poche, et se dirigea vers l’accueil.
À l’intérieur flottait une forte odeur de savon et de biscuit chaud. Une dame au sourire fatigué se trouvait à l'accueil. Elle leva les yeux :
— Vous venez pour les ateliers ? demanda-t-elle.
— Non... enfin peut-être je sais seulement que je dois rejoindre Alex Morgan.
Un petit sourire en coin étira ses lèvres.
— Alex Morgan… oui, celui qui a voulu m’expliquer comment fonctionnait notre logiciel de badge alors qu’il ne trouvait pas la porte d’entrée. Ce génie-là ? Il s’est déjà fait embarquer. Deuxième porte à gauche.
Emma haussa un sourcil.
— Embarqué ?
— Vous allez vite comprendre croyez-moi.
La salle baignait dans une lumière douce. Des murs pâles, quelques décorations maladroites, un sapin bancal recouvert de guirlandes de toutes sortes et de boules trop grosses pour ses branches.
Au centre de la pièce se trouve des tables avec tout autour plusieurs résidents armés de ciseaux, colle et apparemment beaucoup trop de paillettes.
Comme un naufragé dans une mer houleuse, Alex Morgan, visiblement pris au piège, se retrouve au milieu des résidents, un bonnet rouge sur la tête qu’il n’avait visiblement pas choisi de porter.
Emma étouffa un rire. Il la vit, leva les yeux au ciel et murmura un « sauve-moi » silencieux. Elle n’eut pas le temps de savourer cette vision plus longtemps.
— Toi, là ! Oui toi. Viens par ici.
Une main ridée, rapide comme l’éclair, s’était accrochée à son bras.
— J’ai besoin d’aide pour découper un flocon. Mes doigts ne sont plus ce qu'ils étaient.
— Euh… je ne suis pas très manuelle.
— Tu as des yeux ? Deux mains fonctionnelles ? Alors tu es parfaite, allez assieds-toi, ma grande.
Emma s’exécuta déboussolée. Alex lui adressa un sourire compatissant.
— Bienvenue au front, souffla-t-il.
Emma s’assit, mi-amusée, mi-résignée. Elle attrapa un bâton de colle comme on prendrait une arme de fortune.
— Moi, c’est Paulette, dit la dame en leur tendant des patrons de rennes. Vous deux, vous allez m’aider à faire de vraies cartes de Noël. Pas ces trucs sans âme qu’on trouve en grande surface. Je veux du brillant, du clinquant, du qui-éblouit-la-belle-mère !
Au début, Emma découpa avec application. Sérieuse et concentrée comme à son habitude. Puis, du coin de l’œil, elle aperçut Alex coller une étoile pailletée… en plein milieu du front d’un bonhomme de neige.
Elle leva la tête, sceptique
— C’est un bonhomme mystique ou tu as décidé de l’humilier publiquement ?
— Paulette a dit qu’il fallait de l’âme .
— Et tu t’es dit : « troisième œil cosmique » ?
— C’est une approche artistique audacieuse.
Emma tendit la main, ramassa une pincée de confettis et la fit glisser, nonchalamment, sur son épaule.
Alex s’arrêta net, la fixa.
— C’était quoi, ça ?
— Une approche artistique audacieuse.
— Très mauvaise idée.
Le reste échappa à tout contrôle logique.
Sous l’œil ravi de Paulette et les rires étouffés des résidents, deux adultes pourtant censés être responsables se lancèrent dans une bataille de paillettes, de stickers de Noël mal collés et de ciseaux subtilisés à la volée. Ils se défiaient sur les flocons les plus symétriques, se piquaient les meilleurs autocollants, riaient trop fort, oubliant tout le reste.
Emma avait du doré plein les cheveux, Alex un sticker « Joyeux Noël » collé de travers sur la joue. Paulette tapait des mains comme une chef d’orchestre enthousiaste.
— Ça, mes enfants, c’est de la joie, lança-t-elle. De la sincère.
Elle marqua une pause, son regard un peu flou. puis, à voix basse:
— Tu sais, ma belle… la dernière carte de Noël que j’ai reçue, une vraie… c’était en 2009. Mon petit-fils m’en envoyait tous les ans. Puis un jour, il a arrêté. Peut-être qu’il a grandi. Probablement qu’il m’a juste oubliée.
Emma releva les yeux. Paulette souriait encore, mais ce n’était plus le même. Un sourire aux coins un peu abîmés.
— On fait semblant que ça ne nous manque pas. Mais, le silence… c’est comme un courant d’air. Ça s’infiltre partout. Soudain, un jour t’as froid sans trop savoir pourquoi.
Elle attrapa une étoile autocollante et la colla de travers sur une carte, l’air absent.
— J’ai été mariée quarante-trois ans, tu sais. Parfois, j’ai l’impression d’avoir oublié ma propre voix. Celle que j’avais quand je rigolais pour de vrai, pas juste pour meubler.
Un silence léger flotta.
Puis, Paulette reprit doucement :
— Alors votre histoire d’intelligence artificielle qui parle… Si elle peut juste poser une vraie question, une seule, sans peur du silence après… Ce sera déjà mieux que beaucoup de personnes. Au moins, on pourra compter sur elle. Même si ce n'est pas pareil.
Un petit rire sec lui échappa, comme pour chasser le sérieux.
— Bon, je cause, je cause, et ce pauvre renne attend toujours ses yeux.
Un peu plus tard, quand les tables furent débarrassées et que les résidents commencèrent à retourner dans leurs chambres pour l’heure des soins, Emma se retrouva accoudée à la fenêtre. Elle regardait le jardin, un sourire au coin des lèvres.
Alex la rejoignit sans bruit. Il s’appuya à côté d’elle, fixa le même point.
— Tu es mignonne, avec toutes ces paillettes.
Elle tourna la tête vers lui, un sourcil levé.
— Tu dis ça parce que t’en as dans l'œil.
— Peut-être. C’est la première fois que je te voyais vraiment rire.
Elle baissa un peu les yeux.
Puis, doucement :
— Tu avais raison.
— Pardon ? demanda-t-il avec un faux air surpris.
Elle le regarda, mi-exaspérée, mi-amusée.
— Ne me force pas à le répéter. Une fois, c’est déjà beaucoup.
Il sourit.
— Très bien, Capitaine Paillette.
Elle haussa un sourcil, faussement méfiante.
— Tu viens d’inventer ça ?
— Tu l’as gagné. Par mérite et éclat.
Elle l’observa un instant.
— Dans ce cas… toi, ce sera Agent Chaos.
— J’accepte cette mission.
— C’est pas une mission, c’est une étiquette d’avertissement.
Il rit.
— Ça me va aussi.
Et dans ce silence-là, il n’y avait ni tension, ni ironie. Juste un moment suspendu, doux et un peu absurde. Un début de complicité qu’aucune ligne de code n’aurait su écrire ni prédire.
Sur le chemin du retour, ils marchèrent lentement, sans se presser. Comme s’ils voulaient étirer un peu le temps.
Devant l’entrée du métro, elle s’arrêta. Tourna la tête vers lui.
— Merci… pour le guet-apens.
— Je n'y suis pour rien. C’est Paulette, la vraie stratège.
Elle sourit, secoua la tête. Puis, plus bas :
— J’espère qu’on va y arriver.
Il la regarda sans détours.
— On va y arriver. Fais-moi confiance
Et cette fois-ci, elle voulu vraiment le croire.
2 commentaires
Nova Lee
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Il y a 13 jours