Éléonore Garnett À travers les lignes Chapitre 6

Chapitre 6

Emma dormait profondément.


Et dans son rêve, elle avait sept ans.


Le salon était calme. Trop calme.


Une lumière grise filtrait par les stores à moitié fermés. Pas de sapin. « On n’en fera pas cette année» , avait tranché sa mère. «On repart le 26, ça sert à rien.»


Son père était dans la pièce d’à côté, en visioconférence. Il répétait en boucle qu’il «reviendrait avant la fin de semaine» . Mais Emma savait que ce «avant» était souvent flou.


Elle, en pyjama, était assise sur le sol, les jambes croisées devant un carton de décorations. Elle avait sorti deux ou trois bricoles : une étoile en papier, une guirlande qui collait aux doigts. Personne ne l’avait rejointe. Personne ne lui avait dit «attends-moi» . Alors elle les avait rangées. Une à une. Sans bruit.


Une guirlande solitaire courait quand même sur la bibliothèque, clignotant mollement, comme par obligation.


Sa mère, en sweat trop grand, les cheveux en chignon flou, tapait à toute vitesse sur son clavier, les yeux rivés à l’écran. Des dossiers imprimés s’étalaient sur la table. Le reste de l’appartement était silencieux.


Emma s’était repliée sous une couverture sur le tapis. Elle ne demandait rien. Elle avait compris : ce n’était pas le bon moment.


Mais au bout d’un moment, sa mère s’était levée. Avait fouillé un sac en toile posé près du canapé. Et en avait sorti un petit paquet rectangulaire, emballé dans du papier kraft froissé.


— Tiens.... Joyeux Noël, ma puce.


Sa voix était douce, fatiguée mais sincère.


Emma avait pris le paquet et l’avait déballé avec précaution.


Un agenda électronique.


Couverture violette, boutons colorés, un petit écran qui affichait « Ready to organize your week


— Il y a une alarme intégrée, tu peux t’en servir pour noter tes idées, tes rendez-vous, même programmer tes journées, tu vois ?


Elle souriait. Vraiment.


Et c’est peut-être ça qui faisait le plus mal.


Emma avait hoché la tête, murmuré merci, puis était retournée s’asseoir dans un coin du canapé, le cadeau serré contre elle.


Elle n’était pas fâchée. Pas triste non plus.

Juste... un peu vide.


Parce qu’à sept ans, ce qu’elle avait espéré, c’était une peluche dinosaure, des livres ou encore une histoire racontée à voix basse.


Pas un agenda.


Mais elle ne l’avait pas dit. Elle avait gardé le sourire, parce que sa mère souriait.


La guirlande clignotait dans son dos. Une chanson de Noël passait faiblement dans le couloir, sans que personne ne l’écoute.


Elle avait soupiré, tout bas :


— Joyeux Noël, quand même.


Puis elle avait tourné la tête vers la fenêtre, sans vraiment regarder.


Le rêve flotta encore un instant. Une odeur de café froid. Le claquement d’un clavier. Le temps figé.


Ni douloureux. Ni heureux.

Juste… suspendu.


Le réveil vibra. 7h05.


Emma ouvrit les yeux sans bouger. Elle fixa le plafond longtemps.

Le souvenir s’éteignait. Mais pas la sensation.


Elle resta là un moment, puis attrapa son téléphone.


Appel visio : Maman.


— Allô ? fit une voix étouffée par le vent.


L’image s’afficha. Sa mère portait un bonnet en polaire et un coupe-vent orange fluo. En arrière-plan : ciel gris, van garé en pente, et un bout de montagne noyé sous la pluie.


— Emma ! s’exclama-t-elle. Attends, je te passe ton père.


Un petit mouvement de caméra, des bruits de bottes dans la boue, puis le visage de son père apparut, tout sourire, une tasse fumante dans les mains.


— Salut, ma grande ! Tu es debout de bonne heure !


— Oui. J’ai… mal dormi. Je voulais savoir si on fêtait Noël ensemble cette année.


Un silence.


— On s’est dit que peut-être tu serais avec des amis, répondit sa mère.


Emma haussa les épaules.


— Je posais juste la question.


— Ma chérie… on sera à La Réunion. Mission terrain. On part juste après le 20. Projet urgent avec le CNRS.


— On rentrera pour ton anniversaire, ajouta son père. Promis.


Elle resta muette.


— On a pensé à toi, hein ! poursuivit sa mère. On t’a commandé un truc. Tu devrais le recevoir bientôt.


— Laisse-moi deviner… une lampe ergonomique ?


— Mieux. Une tablette graphique. Avec reconnaissance vocale intégrée ! Elle fait même des schémas à partir de tes notes !


Emma força un sourire.


— Parfait.


Ce n’était pas ironique. C’était sincère. Mais distant.


— On t’a vexée ? demanda son père.


— Non. Merci pour le cadeau. Je vous donnerai le vôtre quand on se verra.


Un silence.


Puis :


— Je voulais juste entendre vos voix, c’est tout.


Elle regretta la phrase aussitôt.


Mais sa mère répondit, doucement :


— Nous aussi, on aime t’entendre. Même vite. Même entre deux vols.


— Joyeux Noël en avance, dit son père.


Emma hocha la tête. Un peu.


— Joyeux Noël.


L’appel se coupa.


Elle reposa le téléphone, s’enfonça dans le canapé.


Pas de larmes. Pas de colère.


Juste ce décalage diffus, comme une fréquence jamais vraiment en phase.


Une notification vibra.


Nelly :

→ Dis, tu fais quoi pour Noël finalement ?


Emma fixa l’écran une seconde se demandait si son appartement n'était pas sous écoute. Puis tapa :


Emma :

→ Pas grand-chose. J’essaie déjà de survivre à décembre.


Nelly :

→ T’as toujours l’option famille Martins, tu sais. Biscuits maison, disputes sur les règles du Uno, et ma tante qui demande à tout le monde pourquoi t’es encore célibataire. 😇


Emma esquissa un sourire.


Emma :

→ Tentant. Vraiment. Mais j’ai déjà des trucs de prévus.


Nelly :

→ Des trucs ou… des trucs-qui-t’évitent-de-dire-que-tu-vas-passer Noël seule ?


Emma :

→ Des trucs. C’est flou mais c’est solide.


Nelly :

→ T’es impossible.


Emma :

→ "Et toi, t’es trop gentille. Merci.


Une pause.


Nelly :

→ Sérieusement. Si tu changes d’avis, ma porte est ouverte.


Emma :

→ Noté. Et je t’aime. Même quand t’insistes.


Nelly :

→ Je suis comme une chanson de Mariah Carey : impossible à ignorer.


Emma rit tout bas. Puis referma doucement la conversation. Le sourire retomba un peu, mais pas complètement. Elle resta un instant immobile, les mains croisées sur ses genoux. Puis, presque sans y penser, elle enfila son casque et lança Nick. Comme on appelle un silence familier, sans trop savoir ce qu’on veut entendre.


Connexion…

Chargement de l’environnement personnel.


— Bonsoir, Emma.


— Hey. Petite question rapide : qu’est-ce que tu ferais, toi, à Noël ? Si tu avais le choix.


Une pause.


— Statistiquement, je proposerais une soirée au coin du feu, un repas trop copieux, et une playlist de classiques saisonniers.


— Original.


— Sinon, rester auprès de quelqu’un qui ne veut pas fêter Noël… mais qui n’a pas envie d’être seule non plus. Ça marche aussi.


Emma s’affaissa un peu plus dans le canapé.


— T’as pas besoin de dire des trucs comme ça, tu sais. Tu n’existes pas vraiment.


— Et pourtant, je suis là.


Elle resta silencieuse.


Puis souffla :


— Tant mieux.

Et pour une fois, elle n’avait pas besoin que ce soit plus que ça.


Déconnexion





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2 commentaires

Eva Baldaras

-

Il y a 14 jours

Idée originale ! Si jamais le cœur t'en dit n'hésite pas à venir voir mon histoire 🥰

Éléonore Garnett

-

Il y a 14 jours

Merci beaucoup ! je viendrai y jeter un oeil avec plaisir
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