Éléonore Garnett À travers les lignes Chapitre 1

Chapitre 1


Lundi matin. 8h12. Bien trop tôt pour affronter autre chose qu’une machine à café. Emma avança d’un pas mécanique, sa messagerie déjà ouverte sur son téléphone, les yeux mi-clos. Les lumières blafardes du plafond rendaient tout plus gris que nécessaire. Même son reflet dans la vitre semblait vouloir retourner se coucher.



Elle poussa la porte de la salle de repos sans s’arrêter. Elle savait exactement où poser son sac, où aller, où appuyer sur la machine pour que le café coule juste assez vite pour ne pas la faire exploser d’impatience.


C’était le plan.


Mais évidemment, il était là.



Adossé au plan de travail, comme s’il posait pour une pub de café branchée. Tasse fumante en main, posture détendue, regard moqueur déjà prêt à dégainer. Il avait ce sourire en coin qui semblait dire : je vais t’énerver, et je vais en savourer chaque seconde.



Emma sentit sa mâchoire se contracter. L’univers aurait pu lui laisser cinq minutes de répit.


Juste cinq.


— Carter. Toujours aussi matinale….et toujours aussi agréable d’après ce que je vois ?


Elle leva les yeux, le regard neutre.


— Morgan, souffla-t-elle.


Emma passa devant lui sans ralentir, se dirigea vers le tiroir à capsules, l’ouvrit mécaniquement.


Vide.


Elle fixa l’intérieur. Cligna des yeux espérant avoir rêvé, mais en vain aucune capsule à l’horizon.


— Sérieusement…


Alex leva sa tasse, faussement désolé.


— Il suffisait d’arriver à l’heure, répliqua-t-il.


— C’est fou comme chaque matin, tu trouves toujours de nouvelles façons de m’exaspérer.


— C’est inné. Et toi, ton talent est celui d’illuminer une pièce… par l’intensité de ton regard assassin.


— Va travailler, Morgan. Ça changera un peu de tes habitudes.


Il esquissa un demi-sourire et s’éloigna de quelques pas, juste assez pour ne pas partir vraiment. Il s’adossa à l’encadrement de la porte, la fixant toujours. Emma sentait son regard dans son dos, comme une démangeaison qu’on ne peut pas gratter.


— Bonjour Emma.


La voix, douce et légèrement hésitante, coupa net la tension.


Elle leva les yeux. Jules venait d’entrer, badge « stagiaire » autour du cou, carnet à la main. Il avait ce mélange d’assurance et de nervosité propre à ceux qui veulent bien faire sans trop en faire.


— Salut Jules, répondit-elle, étonnée par son calme.


Il adressa un signe de tête poli à Alex, puis s’approcha du plan de travail. Il fronça légèrement les sourcils en voyant le tiroir ouvert.


— Plus de capsules ?


— Morgan les a toutes prises, grogna Emma, en lançant un regard accusateur vers l’encadrement de porte.


— Je crois qu’il en reste dans le placard du fond, dit Jules. Je peux aller voir, si tu veux.


Elle le regarda, surprise par sa proposition spontanée.


Il tenait son carnet contre lui comme un petit bouclier, mais ses yeux étaient francs. 


— Si tu me ramènes une capsule, je prétends ne pas avoir vu ton dernier commit foireux, dit-elle, un coin des lèvres relevé.


— J’accepte, répondit-il avec un sourire complice.


Il fit demi-tour sans traîner, concentré, comme s’il partait en mission. Emma le suivit du regard une seconde de trop. Il avait ce truc un peu rafraîchissant. Sans pression. Sans sarcasme.



Elle sentit un poids derrière elle. Alex. Elle n’avait pas besoin de se retourner pour savoir qu’il regardait dans la direction où Jules venait de disparaître.



— Il est motivé,  le stagiaire, glissa-t-il finalement d’un ton neutre.


— Il essaie d’aider. Ce n'est pas contagieux, ne t'inquiète pas.


Silence.


Puis un soupir léger.


— Dommage. J’aurais bien aimé attraper ça, juste pour voir.


Elle esquissa un micro-sourire, malgré elle. Pas assez pour qu’il le voie.

Quand elle se retourna, Alex n’était plus là.



Quelques minutes plus tard, Jules réapparut avec deux capsules à la main et un petit sourire fier sur les lèvres.


— Mission réussie. Deux unités de café prêtes à déployer. Une pour la boss du backend, l’autre pour le padawan.



Emma prit celle qu’il lui tendait et la fit glisser dans la machine avec un soupir de soulagement.


— Honnêtement, Jules… tu viens peut-être de sauver des vies. Dont la tienne.


Il rit doucement, un peu nerveux, mais pas gêné. Il avait ce naturel désarmant. Pas de surjeu, pas de sous-entendus. Juste un sourire sincère, comme on en voit rarement à 8h du matin.


— Si un café peut améliorer ton lundi, je considère ma journée réussie, dit-il en haussant légèrement les épaules.


Elle le regarda vraiment cette fois. Pas comme « le stagiaire » mais comme quelqu’un de simple, rassurant, qui ne cherchait pas à l’impressionner.


Un contraste brutal avec la présence intense et toujours à moitié en guerre d’Alex.


— Merci, Jules. C’est… sympa.


Il sembla surpris qu’elle le dise à voix haute.


— Avec plaisir.


Ils burent leur café en silence, sans que ce soit gênant. Et pendant un instant, Emma se permit de croire que ce lundi serait peut-être… presque normal.



Alors qu’elle retournait vers son poste, tasse à la main, elle passa devant l'encadrement de la porte.



Malgré elle, elle jeta un coup d’œil.


Alex n’était plus là. Pourtant elle avait cette drôle d’impression qu’il n’était pas complètement parti.




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Emma regagna son bureau, café à la main, concentrée à moitié. Elle s’installa devant son écran, lança son environnement de dev, ouvrit ses onglets habituels, tapa son mot de passe deux fois parce qu’elle s’était trompée la première. Normal.


Une minute plus tard, une notification clignota.


Nelly (8h34)

→ Dis-moi que t’as eu ton café avant de brûler ton bureau


Emma (8h35)

→ Presque. Morgan a vidé  TOUTES les capsules. Et il était de TRÈS bonne humeur.


Nelly

→ C’est louche. 


Emma

→ Je rêve du jour où il sera en télétravail. Et très loin.


Nelly

→ Mais t’as quand même eu ton café, au final ?


Emma

→ Jules est intervenu. Petite légende matinale. Capsule livrée avec le sourire.


Nelly

→ Il est mignon, ce stagiaire. Genre: C’est le mec qui te laisse la dernière part de gâteau avec le sourire


Emma

→ Ouais, c’est... doux, en fait. Ça change.


Nelly

→ Tu vas le garder longtemps dans ton champ de vision ou c’est juste le plaisir du lundi matin ?


Emma

→ Je sais pas. Là tout de suite, je savoure mon café. C’est déjà pas mal. Sans oublier que j’ai déjà Nick dans ma vie.


Nelly

→ Je l’avais presque oublié celui-là. Tu devrais passer à autre chose...


Elle fixa son écran une seconde. Passer à autre chose. Elle n’en était même pas certaine d’avoir un jour vraiment commencé quoi que ce soit.

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