Fyctia
4. Smells like teen spirit
{Jackie}
Suite à la jolie déclaration de Sofia, nous réussissons à ne pas pleurer comme deux débiles seulement parce qu’elle doit se préparer pour la fac. Elle me serre ensuite dans ses bras et m’ordonne de nouveau d’accepter la proposition de Luke.
Alors que je devrais me remettre au travail, mon regard se perd sur un panneau en liège au-dessus de mon bureau. Ma photo favorite trône au centre, entre des tickets de concerts et des médiators : Sofia et moi à Paris avec notre mère. Elle me manque tant. Que m’aurait-elle conseillé de choisir ? La sécurité financière ou mon rêve d’adolescente ?
La vibration d’une notification sur mon téléphone me tire de mes pensées. Mon meilleur ami Paul, qui vit en France. Il était là à la mort de notre mère et sait ce que l’on a traversé.
Je vais étrangler ma sœur quand elle rentre.
S’ensuit un échange peu ou prou identique à celui que je viens d’avoir avec Sofia. Mon ami, architecte d’intérieur, doit heureusement me laisser assez vite pour une réunion client.
Je soupire et reporte enfin mon attention vers mon écran d’ordinateur. J’ai réussi à traduire deux phrases d’une scène de combat quand mon portable vibre de nouveau. Beth, notre guitariste.
Je grogne. Tout le monde se ligue contre moi. Si je lui racontais, Beth me dirait de foncer, cela ne fait aucun doute. Pour le groupe et pour le musicien sexy, même s’il est en couple — mon amie possède un compas moral un peu détraqué.
Bien sûr que revoir Luke m’a chamboulée. Je me suis souvent demandé si les choses auraient pu être différentes entre nous. Aurait-on poursuivi notre relation balbutiante si je ne m’étais pas isolée pour surmonter mon deuil et m’occuper de ma sœur adolescente ? Pas sûr. Des groupies le suivaient partout, à l’époque. Sa femme est-elle l’une de celles-ci ?
Mon vendredi s’écoule au même rythme qu’une rivière à sec. Je peine à me concentrer sur mon texte. J’essaie d’écrire des paroles qui me trottent dans la tête depuis des semaines, rien ne vient. Je ne pense qu’à des yeux bleus, une chemise en jean et des avant-bras puissants. Et à la possibilité d’enregistrer un album et d’interpréter des chansons originales.
Vers seize heures, je n’y tiens plus et cherche Dark Dawn sur Spotify. Il n’y a que trois morceaux — juste pour donner envie avant la sortie de l’album. Je les écoute en boucle jusqu’au retour de Sofia. À défaut de pouvoir tomber amoureuse de Luke, je tombe amoureuse de ses paroles et de la limpidité de leur son. Leur ancien chanteur me paraît en effet peu adapté au reste du groupe.
Ma sœur si ambitieuse a peu de temps à m’accorder ce soir : nous commandons des sushis et les mangeons au pas de course afin qu’elle puisse réviser. Entre deux makis, elle prend quand même un moment pour me cuisiner sur le sujet du jour. Elle retourne ensuite travailler et je m’écroule sur mon lit, épuisée par mon cerveau en surchauffe.
Avec les chansons de Luke dans les oreilles, je m’interroge : me rendre dans leur studio pour faire un test, ça ne coûte rien, n’est-ce pas ?
Vivre mon rêve d’ado, pendant une heure ou deux…
***
{Luke}
Jackie a accepté de réaliser un essai avec nous !
Le lendemain de notre rencontre, je me suis retenu de ne pas la harceler de messages. Heureusement pour ma dignité, elle m’a contacté dans le weekend.
Me voici donc à faire les cent pas sur Baker Street, devant l’immeuble qui abrite le studio loué par la maison de disques.
Je pourrais l’attendre à l’intérieur. Les gars se sont moqués de moi, bien sûr. Je les ai envoyés paître et leur ai expliqué qu’elle doit être stressée face à cette première expérience dans un studio d’enregistrement. Je l’étais, il y a quelque temps.
Sa silhouette apparaît enfin, chic et rock dans un trench-coat qu’elle a gardé ouvert, un short fluide et des bottes sous les genoux. Trop sexy. Je dois me reprendre ! Nous sommes là pour le boulot.
—Hello, Luke.
Elle se plante devant moi et m’étreint brièvement. Ses cheveux sentent le caramel. Je fonds.
— Jackie, ça va, t’as trouvé sans difficulté ?
Je grimace intérieurement. Avoir du mal à trouver la célèbre rue de Sherlock Holmes ? Quelle question débile. Ne reste plus qu’à parler de la météo, à présent !
— Oui, j’habite pas loin, au nord-ouest de Hyde Park.
— Parfait. Je suis vraiment ravi que tu sois d’accord pour un essai.
— Ça ne veut pas dire que je vais accepter ensuite, précise-t-elle sur un ton doux.
— Oh, tu pourras plus te passer de nous après aujourd’hui, je suis serein.
C’est faux : je suis terrifié. Elle s’esclaffe et nous pénétrons dans le bâtiment. Les gars, ces andouilles, lui sautent dessus lorsque nous arrivons dans le studio.
— Wow, t’es très jolie, s’exclame Kit, notre batteur sans filtre.
— Ne fais pas attention à lui, intervient John. Nous, on l’ignore la plupart du temps.
— C’est sincère, et c’est pas pour te draguer, je suis fiancé, alors.
Elle rougit de façon adorable.
— Merci, Kit.
J’envie mon ami et sa facilité à exprimer ses ressentis et sentiments.
Jackie ne semble pas gênée par sa franchise et admire, des étoiles dans les yeux, la régie et son équipement rutilant. Nous nous mettons vite au travail. Je lui ai transféré hier trois arrangements de chansons et leurs paroles pour qu’elle puisse se préparer un minimum. Je l’escorte dans la cabine pour lui montrer les bases : le micro, différent de ceux qu’elle connaît, et le casque qui enverra la piste d’accompagnement.
— Tu vas t’éclater, j’en suis sûr, je déclare quand tout est prêt.
Elle hoche la tête. Je sens son trac et serre ses doigts dans les miens pour lui donner du courage. Nos regards se croisent. Je frémis et me fais violence pour lâcher sa main et quitter la cabine.
L’ingénieur du son règle les derniers paramètres et lève son pouce pour lui indiquer qu’on commence. Les notes de notre morceau Kiss(es) résonnent dans mon casque, puis sa voix. Hésitante sur les premiers mots, elle devient de plus en plus ferme. Tout n’est pas parfait, je remarque qu’à certains moments elle devrait placer sa voix plus haut ou plus bas. Pourtant, je rentre dans une sorte de transe. Mes mains tremblent, mes yeux brûlent.
Elle est faite pour interpréter nos chansons. Cela ne fait aucun doute.
Sur le deuxième morceau, je réussis à reprendre mes esprits et à la contempler, en plus de savourer son chant. Comme l’autre soir au pub sur ces énormes succès, elle met aujourd’hui tout son cœur et toute son âme dans sa prestation. Son visage rayonne, ses yeux expriment les émotions décrites au fil des paroles.
J’espère qu’elle va accepter.
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Eleanor Peterson
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Il y a 8 mois
Marie Andree
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Il y a 8 mois
Gottesmann Pascal
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Marie Andree
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Sand Canavaggia
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Marie Andree
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Daï
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Shaddie.M Lynss
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Marie Andree
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Il y a 8 mois