Fyctia
5. Rock ’n’ Roll Star
{Jackie}
Une semaine plus tard
Après mon essai avec Dark Dawn, j’ai vite capitulé. Lorsque je me suis retrouvée dans la cabine du studio pour la prise de son, je me suis sentie à ma place. Dès les premières notes, tout mon stress s’est envolé, l’évidence s’est imposée.
Cette opportunité représente tout ce que j’ai toujours désiré.
Je n’ai pas dit oui à Luke ce jour-là, c’était l’une des décisions les plus importantes de ma vie. De retour chez moi, je me sentais étrangement vide. J’ai réfléchi, consulté mes comptes, effectué deux ou trois calculs. J’ai alors décidé de boucler mes contrats en cours et d’en accepter moins dans les prochains mois afin de dégager du temps pour le groupe. Sofia approuve et a confiance en moi. C’est tout ce qui importe.
J’ai aussi le soutien de Beth et du reste de mon groupe de reprises. Je craignais leur réaction, mais ils sont ravis pour moi. Pour l’instant, je continue de me produire avec eux une fois par semaine.
Luke s’est montré extatique à l’annonce de ma décision au téléphone. Et quand je l’ai revu pour notre première séance d’enregistrement, il m’a paru ému. Le bleu de ses yeux brillait encore plus qu’à l’accoutumée, il m’a gardée quelques secondes de plus contre lui lorsque nous nous sommes salués.
Nous nous retrouvons tous les trois jours en fin d’après-midi pour avancer sur l’album. L’ambiance dans le groupe, portée par les joyeux lurons John et Kit, me ravit. Et passer autant de temps auprès de Luke représente à la fois un plaisir et une torture. Mon cerveau doit souvent me crier très fort qu’il est en couple et a deux enfants.
Aujourd’hui, nous avons bien travaillé sur l’enregistrement de notre première chanson. Luke me rejoint sur le canapé de la régie, sur lequel je me suis affalée sans aucune grâce après avoir bu un litre d’eau d’une traite.
— Cette chanson, The End of the World, elle est superbe, déclaré-je.
– Merci. Je l’ai écrite dans une nuit d’insomnie, quand j’ai réalisé que c’était fini avec la mère de mes enfants. La fin de mon monde tel que je le connaissais…
Son air triste me serre le ventre. Je me demande aussi s’il peut entendre les battements de mon cœur qui cogne très fort tout à coup. Je me redresse sur les coussins en cuir et tente de m’exprimer sur un ton neutre.
— Oh, vous êtes séparés ?
— Oui, ça fait six mois environ. Tu savais pas ?
— Non…
Son expression change. Un frisson me parcourt face à l’intensité de son regard. J’ouvre et referme la bouche à plusieurs reprises comme une idiote.
— Tu as quelqu’un en ce moment ? j’ose enfin demander, la voix tremblante.
— Non. Et toi ?
— Moi non plus.
Il s’apprête à poursuivre, se ravise. Ma main, posée à côté de la sienne sur le cuir noir, me démange. J’aimerais l’avancer de quelques centimètres et… Un éclat de rire de Kit nous fait sursauter. Les joues échauffées, je reporte mon attention sur nos camarades et m’intéresse à l’édition de l’un de nos morceaux.
Une seule pensée m’accompagne le reste de la soirée.
Il est célibataire !
Dans un ballet immuable, les papillons de ma poitrine s’envolent et s’écrasent violemment au sol, puis s’envolent de nouveau.
Il est célibataire !
Ses filles accepteraient-elles une nouvelle amoureuse pour leur père ? Sans oublier que nous faisons à présent partie du même groupe. Sortir ensemble compliquerait les choses. Et si ça ne marche pas et qu’on se sépare ?
Mon rêve, c’est la musique. Aucune relation ne m’a jusqu’à présent apporté plus de satisfaction que le chant.
Je ne risquerai pas tout pour le musicien le plus sexy et le plus gentil que je n’ai jamais rencontré.
***
Quatre mois plus tard
Une profonde inspiration, un coup d’œil à notre guitariste pour me donner du courage, trois pas vers la scène. Je me saisis du micro et salue notre public.
Notre maison de disques a booké le Koko, un club mythique de Camden, pour préparer la sortie imminente de notre premier album. C’est un poil plus grand que la Southwark Tavern. Bien plus petit que Wembley.
Des sensations bien connues m’assaillent : peur, excitation, joie, angoisse. Et l’impression d’être à ma place quand les notes ricochent dans le vieux théâtre et que je prononce le premier mot de The End of the World.
La musique de mes camarades qui me traverse.
Les lumières sur nous.
Les acclamations du public.
Il n’y a rien de meilleur.
À la fin de la dernière chanson, seules la basse de John et la batterie de Kit jouent encore. Luke met son bras sur mes épaules. Le cœur battant, je plonge mon regard dans le sien. Nos sourires complices se répondent. Il pose alors son front contre le mien pendant une seconde ou deux. Je ne veux plus jamais quitter ce moment.
Les hourras de la foule me sortent de ma transe. Nous saluons, le rideau tombe et nous explosons de joie face à cette première expérience prometteuse. Luke me serre dans ses bras, je me retiens de ne pas l’embrasser devant tout le monde.
Les mois qui viennent de s’écouler étaient les meilleurs et les pires de ma vie. Mes sentiments pour lui augmentent chaque jour. Ma peau se consume à cause de l’attirance que j’éprouve. Si je pouvais le toucher, je calmerais ce brasier. J’ai croisé ses adorables filles à plusieurs reprises. Comme je ne souhaite pas les perturber et mettre en péril les débuts de notre groupe, je cache du mieux possible mon émoi.
Nous fêtons notre succès dans un pub non loin. Je me concentre sur les conversations enthousiastes — tâche ardue, car le regard brûlant de notre guitariste ne me quitte pas.
À la fermeture du bar, nos compagnons s’égaillent dans des directions différentes après des au revoir bruyants. Je prends conscience qu’il ne reste plus que Luke et moi dans la rue. La tête légèrement penchée, il me jauge. Avec son blouson en cuir et sa tignasse échevelée post-concert, il n’a jamais été aussi beau. Toutes mes réserves s’envolent. Mon corps, et mon cœur, agissent avant mon cerveau. Je comble la distance qui nous sépare, pose mes mains sur la barbe de ses joues et l’embrasse enfin.
Une main dans mes cheveux, l’autre dans mon dos, il s’abandonne dans ce baiser autant que moi. Nous finissons par nous lâcher, essoufflés.
— Jackie, tu me plais tellement… murmure-t-il contre mes lèvres. J’osais pas te le dire, quand tu as rejoint le groupe. Tu me plaisais déjà beaucoup, avant.
— J’osais pas non plus… Et je suis désolée, Luke, on a perdu toutes ces années, par ma faute.
— C’est pas grave. J’ai eu mes filles, tu avais Sofia.
Il a raison, pourtant les regrets me dévorent toujours.
— Hey, regarde-moi. C’est vrai, j’aurais aimé que tu sois ma première chanson. Mais tu seras la deuxième. Et la dernière, j’espère. La plus belle, sans aucun doute.
— Second Song. Tu devrais utiliser cette déclaration pour notre prochain morceau.
Il s’esclaffe, resserre sa prise sur ma taille et m’embrasse, encore et encore. Des passants éméchés nous sifflent. Je pouffe contre ses lèvres, le cœur léger.
Nous avons le reste de notre vie pour écrire cette deuxième chanson.
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WildFlower
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Il y a 5 mois
Marie Andree
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Il y a 5 mois
LOVE SAND
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Il y a 7 mois
Marie Andree
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Il y a 7 mois
Gottesmann Pascal
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Il y a 7 mois
Marie Andree
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Il y a 7 mois
Laurie Lecler
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Il y a 7 mois
Marie Andree
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Il y a 6 mois
camillep
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Il y a 7 mois
Marie Andree
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Il y a 7 mois