Fyctia
En plein cœur
Nicolas place sa main sur le bas de mon dos, m’oriente ensuite vers les escaliers d’embarquement. Mon pied crispé atterrit sur la première marche, mais j’hésite à continuer mon ascension sans un minimum d’informations. Je me retourne et sa proximité est à la fois torture et attraction. Mon visage est maintenant à la hauteur du sien, mes cils battent de concert, tandis que son regard inquiet fuit déjà mes questions.
— C’est sûrement douloureux pour vous d’en parler, pourtant j’ai besoin de savoir à quoi m’attendre, l’imploré-je.
— C’est tellement dur Inès ! Nous vivons en apnée depuis presque deux ans, en traversant le temps sous toutes ses formes, de l’incertitude au diagnostic, jusqu' aux traitements de ce p’tit bout de 7 ans…
— Comment il s’appelle ce petit homme ?
— Lucien… c’est mon neveu. Il est atteint d’un cancer lymphatique, prononce-t-il, la gorge serrée.
Je caresse son bras, lui communique silencieusement ma tendresse et mon soutien.
— Nous le pensions enfin sur la voie de la guérison. Égoïstement, j’ai commencé à reprendre ma vie, à regarder autour de moi, puis ne voir plus que vous Inès, confesse-t-il dans un demi-sourire, presque intérieur. Malheureusement hier, les médecins nous ont annoncé une rechute.
Je garde dans un coin de ma tête sa déclaration, afin d’exploser de joie un peu plus tard et l’encourage à continuer.
— Et pourquoi l’Allemagne ?
— Cette équipe médicale possède des équipements de pointe et surtout le plus grand nombre de guérisons. Mais c’est la décoration sur le thème de l’espace qui a pesé lourd dans la balance, surtout celle de Lucien !
Je termine la montée de l’escalier sur cette adorable touche d’humour. Le pilote nous accueille, au côté de l’infirmière et du médecin, puis nous informe finalement d’un retard probable, à cause du brouillard.
Nicolas me précède, je découvre à la fois tout le confort et le luxe de cet avion contrastant avec les installations médicales situées à l’arrière. Au milieu du cuir beige et du bois vernis, un garçon aux lunettes rouges, est allongé sur le matelas de l’unité de soin. Ses parents l’entourent, lui caressent ses cheveux courts et fragilisés. Ils surmontent la fatigue, la peine pour répondre à ses questions incessantes sur la galaxie.
— Tonton ! s’exclame Lucien. C’est qui la dame ? C’est ton amoureuse ?
— C’est un secret, lui confie-t-il en s’approchant pour l’embrasser, mais je veux bien te le dire à l’oreille…
Nicolas murmure des mots inaudibles, tandis que le garçonnet ne me quitte pas du regard. La promesse des petits doigts vient sceller leur cachoterie. Me laissant à ma frustration, il me présente à sa sœur Claire et à son beau-frère Benoît, leur accueil est chaleureux, leurs remerciements sans limites. Très vite, leur angoisse revient, ils nous éloignent de Lucien pour ne pas l’inquiéter davantage.
La soignante se charge de la suite, parle avec des mots simples, adopte d’abord le doudou comme premier patient, puis prend sa tension et place un capteur sur son index. Voir ce petit garçon réconforter sa peluche, me transperce le cœur.
D’une main tremblante, claire nous tend le dossier médical comprenant les dernières recommandations de l’équipe française. Après les résultats insuffisants de la première chimiothérapie, associée au traitement anti-rechute, les médecins préconisent une injection par voie intrathécale. Claire abattue ne termine pas son explication, Benoît nous précise non sans mal que ce type d’infiltration est réalisée à l’aide d’une ponction lombaire.
Tous les deux cachent leurs larmes à leurs fils, les ravalent, inspirent longuement et arborent leur plus beau sourire pour la prunelle de leurs yeux. Nicolas pourtant démoli, se veut solide comme un roc pour sa famille, il leur conseille d’attendre l’avis du nouveau cancérologue. Je m’éclipse pour leur permettre de discuter entre eux et m’approche de Lucien accroché à son livre sur l’univers.
— C’est quoi ta planète préférée ? me demande-t-il curieux.
— Saturne ! Elle est plutôt cool avec ses anneaux ! Mais j’adore surtout regarder les étoiles…
— Tu sais un jour, moi aussi je brillerai peut-être dans le ciel, papa et maman devront acheter un télescope pour me voir !
Sa phrase me laisse sans voix, me percute violemment et je cherche les mots pour lui répondre de façon imagée… à sa façon.
— J’aime autant les étoiles filantes, soufflé-je, tu as l’impression qu’elles partent, mais elles passent si près de nous que certaines doivent pouvoir nous parler et d’autres se poser pour rester sur la terre.
Le petit garçon glisse ses doigts entre les miens, me sourit et regarde par-dessus mon épaule. Nicolas, derrière moi, m’entoure de sa gratitude. Néanmoins, une mauvaise nouvelle de plus amoche le moral de tout le monde. Le brouillard se disperse trop lentement, la tour de contrôle nous annonce l’immobilisation des appareils au sol, pour plusieurs heures.
Des plateaux-repas sont livrés pour l’équipage et la famille. Lucien doit demeurer à jeun pour effectuer des analyses à son arrivée, ses parents refusent alors de manger. Pourtant leur corps flottant dans des vêtements trop grands, ainsi que leurs joues creusées témoignent d’un besoin vital de retrouver une source d’énergie. Je leur propose de rester à son chevet et Nicolas les pousse gentiment vers la cuisine de service.
Le petit ange s’endort parmi ses coloriages, la tête dans les planètes. Sans bruit, je range ses affaires et baisse les lumières autour de lui. Le médecin vérifie encore une fois ses constantes et s’installe non loin de l’enfant. Benoît revient, pose sa main sur mon épaule en guise de remerciement et s’assoie au plus près de son fils. Sa paume prend place délicatement sur le cœur du garçonnet.
Claire et Nicolas suivent et je m’éclipse pour grignoter un petit morceau. Sans faim, je reste pourtant un moment à l’avant de l’avion pour évacuer mes émotions. L’adulte en moi n’arrive pas à la cheville de ce courageux et ne parvient pas à retenir plus longtemps ses larmes. Je tente de m’apaiser, les yeux perdus dans les lueurs du tarmac. Lorsque je retrouve la force de retourner vers eux, la lumière de la cabine est presque inexistante, le sommeil ou l’épuisement à gagner toute la petite famille.
La respiration de Lucien et Benoît ne fait qu’une, Claire dort sur l’épaule réconfortante de son frère. J’attrape des couvertures, les disposent soigneusement sur leurs jambes et prends possession d’un fauteuil plus avant, afin de respecter leur intimité.
Je me perds sur le Net au milieu des termes médicaux et leur traduction spécifique. À mon tour, je me laisse emporter par morphée et portée par mes songes, je parviens à sentir les notes boisées du parfum de Nicolas, son souffle près de moi. Le velours de ses lèvres frôle délicatement ma bouche, un baiser aussi doux que nos messages. Un merci, comme un murmure arrive à mon oreille. Brumeuse, je n’ose pas ouvrir les yeux, incapable de savoir si mon rêve et ma réalité se confondent.
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MegL
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danielle35
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