Fyctia
Dans le brouillard
Je fais les cent pas dans mon salon pour évacuer le trop-plein d’émotions, le claquement de mes talons rompt le silence de la nuit qui m’empêche à plus forte raison de réfléchir. Le débit de mes pensées est maintenant calé sur la fréquence des coups donnés par mon voisin, agacé par mon tapage.
Mon lit ne sera pas non plus mon havre de paix. Je me glisse sous la couette, suivie de près par les préoccupations qui me rongent. Impuissante, je laisse ma tête dialoguer avec mon corps. Les réponses à la hauteur de mes contrariétés ne se font pas attendre, mon palpitant cogne plus vite, plus fort, mon ventre se tord et tout ce tournis me maintient contre ma volonté en éveil.
Les pensées ruminantes s’allient à mon envie infernale de regarder l’heure. 2 h ! Allez, si je ferme les yeux maintenant, je pourrais peut-être éviter d’avoir le visage d'une déterrée. 3 h ! Mon oreiller maltraité est à présent trop chaud et termine sa course au pied de mon lit. 4 h 30 ! Mon cerveau trop productif refuse définitivement de me laisser dormir, mais m’offre en contrepartie une idée qui se résume en un prénom : Franck !
Basé à Londres, avec un réseau gigantesque dans le monde des affaires, il sera le plus à même de me dégoter des informations, même des rumeurs, me permettant de faire ma petite enquête.
Je me lève, décidée à me battre. J’aimerais d’abord le faire pour me protéger, éloigner mon employeur d’un scandale potentiel, mais ce serait me mentir, une fois de plus. Je refuse tout simplement d’imaginer Nicolas impliqué dans des malversations et de devoir prendre définitivement mes distances avec lui.
Mes draps me libèrent et je file dans la salle de bain, chercher le réconfort et l’apaisement de l’eau chaude sur ma peau. Malgré tout, mon miroir me renvoie toujours mes cernes nourris par cette nuit agitée. Maintenant, perdue au milieu de ma cuisine, j’abuse encore et encore de la caféine afin de rester alerte.
6 h pile, je ne tiens plus ! J’envoie un texto assez mystérieux à Franck pour susciter son intérêt. Régulièrement frappé par des insomnies, le trader est souvent debout aux aurores. Il épluche dans les moindres détails les actualités avant l’ouverture de la bourse de Londres.
La sonnerie de mon téléphone ne se fait pas attendre, je décroche.
— Inès, t’as vu l’heure ! me reproche-t-il, la voix encore fatiguée.
— D’habitude tu es toujours réveillé à cette heure-là ! protesté-je.
— Mon corps est à l’heure londonienne et si j’ai débarqué à Paris en pleine semaine, c’est justement pour lever un peu plus le pied !
Le bruit de sa machine à expresso couvre à moitié mes plates excuses, je l’entends tirer une chaise et souffler.
— Tu m’appelles pour IAMC, je suppose, reprend-il en avalant une gorgée. Ludo et toi avez quitté la table si vite que je n’ai même pas eu le temps de te parler, ensuite tu avais l’air si troublée… Bref, je vais t’épargner tes premières questions ! Oui, je connais cette boîte, elle pèse des milliards et tout le monde aimerait une part du gâteau, mais ton Brincat…
— C’est pas mon Brincat ! protesté-je, pas franchement convaincue par mes paroles.
— Hum, d’après Sophie c’est en bonne voix ! Enfin, c’est pas le sujet ! Ludo a eu raison de te mettre en garde, il ne m’en a pas dit plus, mais à Londres les rumeurs grondent !
Le stress dévore mon esprit, mon cœur refoule l’idée d’être déçue et mes lèvres laissent passer mes mots avec énormément de crainte.
— Lesquelles ?
— On raconte qu’IAMC ne quitte pas l’Angleterre seulement à cause du Brexit, la société aurait transféré des capitaux dans des paradis fiscaux. Le déménagement du siège social à Paris et la refonte des statuts permettraient de faciliter des mouvements financiers… La compagnie va être scindée, chapeautée par une holding et ça, tu dois le savoir mieux que moi Inès !
— Effectivement, la holding va légitimer un jeu de liquidités, mais rien ne prouve le manque de transparence de l’entreprise. Je veux en avoir le cœur net Franck ! Tu crois que tu pourrais obtenir des infos supplémentaires grâce à tes contacts.
— J’ai bien deux ou trois personnes qui pourraient me rencarder, mais en attendant fais moi plaisir…
— Oui, je vais prendre mes distances ! anticipé-je. Je vais prétexter une soudaine réunion et aller travailler au cabinet, au moins aujourd’hui.
— Tu me rassures ! Je te rappelle plus tard, bises !
Je raccroche soulagée d’embarquer Franck dans cette histoire, il sera mon garde-fou. Je prépare un mail très formel à l’attention de Nicolas et d’Anne-Marie, invoquant un déplacement à l’étude de Maître Simonet pour faire un point avec l’équipe. Puis, je patiente pour envoyer un message à Jean, à une heure plus décente.
Rendue au bureau, ma respiration se calme, appréciant la tranquillité d’une routine retrouvée. Mes collègues et moi travaillons toute la journée sur des ébauches de textes, mais mes yeux ne quittent pas mon portable et l’attente s’éternise.
Finalement, j’aurais préféré que cet appel n’arrive jamais, car dans le cas présent, allégations et vérité ne font qu’une. En fin d’après-midi, mon ami me confirme une enquête en cours sur un potentiel détournement de plusieurs millions. Une larme bien visible au milieu de ces milliards. L’un de ses contacts possède une copie des débuts de preuves détenus par les autorités anglaises et françaises, il me promet de me les remettre en mains propres.
Enfermée dans mon bureau et incapable de raisonner malgré les messages réconfortants de Sophie, je décide de rentrer me morfondre à la maison. Je pousse le battant de l’immeuble, aussi lourd que mes pensées confuses et avance dans une brume arrivée de nulle part. Le brouillard envahit Paris, protégé par son urbanisation, seulement quelques fois par an, autant dire qu’aujourd’hui, même les éléments viennent assombrir ma vie.
À quels pas, une voiture au design futuriste attire les curieux et les envieux. Les portières métallisées se déploient tel un papillon et ma respiration se hache. Nicolas sort du coupé, se plante devant moi dans un jean porté sur les hanches et un tee-shirt aussi clair que mes fantasmes. Paniquée, je me demande quel comportement dois-je adopté. Je l’observe sans un mot, ses cernes sont autant marqués que les miennes et je me questionne sur les causes de sa mine froissée.
Malgré son air grave, je ne peux m’empêcher d’adorer sa barbe d’un jour. Ses yeux ne me quittent pas, sa main frotte son menton et révèle un agacement certain.
— Vous me fuyez Inès ? prononce-t-il sans introduction.
Mon cerveau bouillonne ! Oui, je le fuis et lui me suit ! Son vouvoiement crée une distance avec l’approche plus intime de ses mots précédents : « ton regard ». Cette alternance le rend encore plus sensuel et charmant, mais les dernières heures m'ont basculée dans une autre dimension. Au-delà de la séduction, faire un nouveau pas vers lui reviendrait à jouer avec le feu et sans doute à me brûler les ailes.
18 commentaires
MegL
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Il y a 2 ans
Abyssam
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Il y a 2 ans
Senefiance
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Il y a 2 ans
NELI JO
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Flower
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Il y a 2 ans
Magali_Santos_auteur
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Il y a 2 ans
danielle35
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Il y a 2 ans
Andrea T. Macedo
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Il y a 2 ans
Sarah B
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shane
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Il y a 2 ans