Fyctia
Premiers doutes
La terrasse du cosy-bar est déjà pleine, ce spot parisien a perdu en intimité, mais reste notre QG. Souriants, les garçons sont installés au milieu du décor bucolique, des assiettes gourmandes nous attendent sur la table en marbre et le barman prépare nos cocktails préférés.
J’avance vers eux, légèrement cachée derrière Sophie, je fouille les yeux de Ludo et retrouve cette lueur toujours aussi persistante en ma présence. Il sourit, navré de ne pouvoir gommer ses sentiments qu’il tente pourtant de modérer. Mes lèvres s’étirent en retour, pleines de compréhension. Le voir lutter me brise le cœur.
Notre accolade n’a rien de naturelle, notre prise de distance est très rapide et je surprends le regard de Franck sur nous. Il sait, c’est évident, mais garde le silence pour préserver notre complicité intacte. Sophie danse déjà devant les platines du DJ et remplit l’espace avec sa bonne humeur. Un homme, tout aussi caliente, tourne autour d’elle, attiré par son effervescence et son don pour électriser les mecs sur place.
La connexion entre leurs deux corps opère immédiatement. La sensualité des gestes, leurs déhanchés respectifs amorcent une parade à la vue de tous. J’admire les pas assurés de ma Brésilienne préférée, de vraies armes de séductions massives. Tandis que son partenaire se perd un peu plus dans les volants de sa robe jaune, mon esprit dévie vers Nicolas.
Ma main, posée sur ma pochette, protège son message tel un secret. Pour l’instant, je désire conserver cette nouvelle correspondance clandestine juste pour moi. Sortir l’enveloppe, en parler à Sophie, m’obligerait à envisager une suite ou une fin. Ce soir, mes draps porteront la trace de mon insomnie. Une nuit, deux problèmes à résoudre ! Garder le silence ou répondre, puis peut-être trouver les mots à la hauteur de mes espérances.
Lui écrire à nouveau sonnerait mon engagement dans cette relation. Quelle qu’elle soit ! Je devrais lever mes dernières barrières émotionnelles encore présentes et tenter de faire tourner la roue du bonheur en ma faveur, pour une fois.
— Alors Inès, pas trop dur la reprise ? lance Franck pour m’extirper de mes pensées.
— Non, figure toi que mon patron m’a confié un très gros dossier et en ce moment, je bosse dans les bureaux de ce client, annoncé-je fièrement.
— C’est quoi le nom de la boîte, je la connais peut-être ? ajoute-t-il intéressé.
Les pupilles dilatées de notre trader, dopé à l’adrénaline, couvrent instantanément ses iris bleus.
— Doucement le courtier, je ne crois pas que Mr Brincat flirte avec la bourse !
— Brincat de la Société IAMC, s’écrit Ludo, blanc comme un linge.
— Oui et ce beau PDG n’a pas l’air indifférent au charme de notre Inès, balance Sophie de retour à notre table.
Je lui lance un regard noir et elle hausse les épaules, incapable d’évaluer les dégâts provoqués par sa phrase. L’ambiance devient pesante, Ludo se lève la mâchoire serrée. Je lui emboîte le pas. Mon verre ne survit pas à ma précipitation, le liquide orange coule sur le bois et mon talon écrase la fleur comestible noyée au milieu de ce désastre. Maltraitée par la résistance de Ludo, ma main s’agrippe avec force à la manche de sa veste en jean.
— Mais merde ! il se passe quoi ? crie Sophie debout sur sa chaise.
Franck lui fait signe de redescendre et je devine déjà que l’heure des révélations a sonné et rien ne sera plus comme avant. Mon amie, une paille entre les lèvres, écoute attentivement les déductions de notre gentil cafardeur. Les grimaces sur leur visage et l’agitation de leur corps marquent le début d’une cassure pour notre petit groupe, mais la tempête est ailleurs.
Ludo avale sa bière d’un trait. Je réfléchis à la meilleure façon de calmer sa crise, je suis tout de même très étonnée par sa réaction, il n’a jamais montré une once de jalousie. Son regard ombrageux plonge dans le mien, il me saisit par les épaules avec ses doigts trop contractés. Désemparée devant sa souffrance, je m’apprête à tenir un discours à la fois rassurant et ferme, mais ses mots devancent les miens.
— Reste éloigné de cet homme Inès ! ce n’est pas quelqu’un de bien !
Je réalise à cet instant que Ludo a associé le nom de Nicolas à son entreprise très rapidement et maintenant, il me met en garde contre lui. Je ne suis plus très sûre que la jalousie soit à l’origine de son état.
— De quoi tu parles ? tu le connais ? le cuisiné-je.
— Pas personnellement… mais, il va t’attirer que des ennuis ! insiste-t-il anxieux.
— Merde Ludo, tu en dis trop ou pas assez !
— Je voudrais tout te déballer Inès, mais je n’ai pas le droit !
Pas le droit ? Une seule chose peut obliger Ludo à garder le silence et maintenant tout devient clair.
— Tu enquêtes sur sa boîte ? Ses finances ? Mais il vient juste de s’implanter en France, je comprends rien, chuchoté-je.
Il s’enferme dans son mutisme d’inspecteur des impôts. Mon cœur se déchire, je refuse de croire à la malhonnêteté de Nicolas, d’un autre côté la ténacité et la rigueur de Ludo font planer mes premiers doutes. Perdue, je décide de rentrer. Mes amis tentent de me retenir, mais le goût de la fête a définitivement quitté notre table et mon esprit.
Sophie et Franck me prennent dans leurs bras avant de me laisser m’enfuir.
— Je suis désolé, me glisse Ludo, le visage marqué.
Je n’arrive pas à lui en vouloir, il est juste porteur de mauvaises nouvelles et souhaite me protéger. Peut-être un peu trop. Et voilà, la roue du bonheur n’aura même pas eu le temps de tourner !
Assise dans ma voiture, je lis la carte de Nicolas une dernière fois. J’entrouvre la vitre, l’air s’infiltre, mais pas suffisamment pour m’empêcher de suffoquer. Mes doigts tiennent l’enveloppe, prêts à la jeter loin de moi, de ma déception et de mon effondrement qui se profile.
Je reste longtemps, trop longtemps, à regarder mes phalanges blanchir et écraser le papier satiné, mais c’est impossible ! Je ne veux pas oublier ses mots. Je ne veux pas l’oublier !
5 commentaires
MegL
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Il y a 2 ans
folie douce
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Il y a 2 ans
danielle35
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Il y a 2 ans
shane
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Il y a 2 ans
Stef0635
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Il y a 2 ans