Fyctia
Un seul jour
À nouveau dans son costume d’homme d’affaires, Nicolas quitte son bureau, une valise à la main et cela me contrarie plus que je ne le souhaiterais. Malgré sa récente entrée, à demi vêtu dans sa salle de bain, la douche froide est finalement pour moi. Je tente pourtant de relativiser devant la taille de son bagage, trop petit pour un long voyage, mais bien assez grand pour un jour ou deux d’absence. Mon estomac se tord. Je ne peux pas me mentir, je suis déjà en manque de nos échanges, de son regard sur moi… de lui !
Coincée dans cet après-midi terne, j’épluche l’historique de la société IAMC. Crée par Nicolas, cinq ans auparavant, elle a vocation à conseiller les entreprises, les états, l’armée…, à qualifier le niveau de sensibilité de leurs données, puis à leur proposer les mesures de protection adaptées.
L’accompagnement couvre bien sûr la sécurité, l’évaluation des risques. Cependant, son atout le plus précieux reste son offre de mise en sûreté des renseignements ultras vulnérables et confidentiels dans le propre système de l’IAMC, l’un des plus performants au monde.
Initialement basée à Londres, la compagnie a déjà loué des bureaux sur Paris plusieurs années pour embellir son attrait. Je retrouve une ébauche du transfert de la société, remontant à trois ans. Je m’interroge sur cette période de flottement et me plonge sur la composition du conseil d’administration, indéniablement familial.
Je me penche un peu plus sur les procédés et apprends que chaque dossier est crypté grâce à un système de codage créé par Nicolas. Admirative, je le googlise et découvre son profil de génie informatique et de grand magnat des affaires. La plupart des gens utilisent le cloud, mais lui a fondé son propre univers. Bien évidemment, rien ne filtre sur sa vie privée, je me contente de m’offrir une petite récréation et de rêvasser devant ses photos officielles.
Le bleu, le gris, le noir ? J’hésite sur la couleur que je préfère voir sur lui. Finalement aucune ! Je le trouve définitivement trop habillé !
La sonnerie de mon téléphone retentit comme un avertissement, je décroche et retrouve la voix emballée de Sophie.
— Alors tu travailles ou tu succombes ? lance-t-elle, me connaissant par cœur.
— Un peu des deux…, avoué-je réaliste.
— Tant mieux ! Tu pourras me raconter tout ça ce soir. Franck est de passage à Paris, il va au Cosy-bar avec Ludo. On peut les rejoindre si tu veux ?
— OK ça marche, je passe te prendre à 21 h, chez toi.
— Je te rappelle si je suis ailleurs, me prévient-elle avec des sous-entendus à peine masqués.
— Sacré toi !
— Je bosse aussi !
— Oui, oui, pouffé-je. Allez, je t’embrasse.
— Bises !
Les yeux dans le vide, je songe à Franck et Ludovic. Surtout à Ludo. Nous sommes tous les quatre des amis de longue date. Nos parents, tous membres assidus du Rotary Club, nous ont inscrits à l’interact, association pour ados de bonne famille. Lassés des obligations mondaines, nous avons fait les quatre cents coups. Heureusement, notre conscience de jeunes adultes nous a remis sur le droit chemin, les garçons sont respectivement trader et contrôleur du fisc. Franck vit à Londres, mais revient un week-end par mois pour nous voir. Difficile de couper l’ultime lien qui nous ramène à l’insouciance de notre jeunesse !
Pourtant, un grain de sable est venu enrayer l’harmonie de notre petit groupe. Le soir de la dernière Saint-Valentin, Ludo a sonné à ma porte, à deux heures du matin avec un bouquet flétri et maltraité par son poing. Le malheureux était resté planté devant chez moi pendant des heures, avant de trouver le courage de franchir le pas. Je l’ai écouté avouer ses sentiments, tristement, sans réciprocité.
Mes larmes ont coulé, ma tête a dit non et ses mots se sont interrompus. J’ai blâmé ma passion dévorante pour les relations vouée à l’échec, incapable d’être présente devant cet homme attentionné, beau et bourré d'humour. Nous sommes restés silencieux, conscients de la fissure inévitable de notre amitié et nous nous sommes promis de garder ce moment pour nous. Lors de nos retrouvailles mensuelles, je m’efforce de panser cette plaie qui nous éloigne malgré nous. Ce soir encore, nous cacherons notre malaise derrière notre drôlerie et nos cocktails.
La fin de journée s'annonce, j’enferme tous les documents dans le coffre-fort de mon bureau et pars rejoindre Jean en bas de l’immeuble. Un autre chauffeur est également stationné devant l’entrée et range une luxueuse valise. Emelyne s’engouffre dans le véhicule, sans oublier de me toiser au passage. Je l’imagine déjà en déplacement professionnel avec Nicolas et mon palpitant se froisse un peu plus en songeant aux nombreux agréments dont Melle La Tour peut avoir le secret.
Affectée, je sens mon visage blêmir. Jean, lecteur de mes pensées, interpelle son collègue pour le prévenir de la présence d’une déviation près de l’aéroport Charles de Gaulle, mais ce dernier l’informe qu’il prend la direction d’Orly.
Mon compagnon de route s’installe devant le volant, ouvre sa boîte à gants, attrape un pli et me le tend.
— Mr Brincat m’a demandé de vous remettre cette enveloppe lorsque je l’ai conduit à Roissy.
Son clin d’œil et son sourire me réchauffent le cœur. Grâce à lui, j’ai la confirmation qu’Emelyne et Nicolas ne voyagent pas ensemble. Je fais glisser l’écrin de ses mots entre mes doigts, mon ventre se sert lorsque je découvre l’aspect satiné du papier, moins commun que celui de notre première correspondance. Cela peut paraître insignifiant, mais pour moi c’est un plus ! Plus d’élégance, de douceur, avec un toucher extraordinaire.
J’échange quelques banalités avec Jean et reste concentrée tant bien que mal sur notre conversation. Le trajet me semble interminable et mon ongle joue déjà avec l’ouverture de l’enveloppe.
La voiture ralentit et Jean délivre mon impatience. Je m’assois sur les marches du hall, incapable d’attendre deux étages de plus. Ma main tremblante déchire délicatement le rabat, puis retire une carte blanche aux légers reflets nacrés. Deux mots, sortis de son marqueur doré, brillent devant moi.
« Ton regard »
Simplement, deux mots qui me transpercent de part en part, encore un peu plus à chaque lecture. Les frissons parcourent mon corps, partagés entre la peur et l’euphorie. La lumière s’éteint et je reste un instant dans le noir, serrant son message plus près de moi.
Deux mots, comme un coup de projecteur romantique sur moi, une partie de moi. J’aime ça, la portée de ce semblant de phrase, percutant, réduit à l’essentiel. L’arrivée en fanfare des papillons dans le ventre, des battements dans ma poitrine poussés à l’extrême, me ramène à l’entrée de ma spirale infernale.
Un jour, un petit jour seulement ! je suis déjà complètement sous son charme et je sais ô combien le retour à la réalité peut-être brutal. Mais, même si l’ombre d’une potentielle déception ne reste jamais loin de moi, rien ne pourra venir noircir mon cœur ce soir.
11 commentaires
folie douce
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Il y a 2 ans
danielle35
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Il y a 2 ans
Janicelesmaux
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Il y a 2 ans
Magali_Santos_auteur
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Il y a 2 ans
shane
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Il y a 2 ans
anna.rd
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Il y a 2 ans