Fyctia
En apesanteur...
J’inspire l’odeur brute du cuir si sauvage et raffiné tandis que ma main caresse le tissu tanné de la berline allemande, symbole indéniable du luxe et du confort. Mon chauffeur à la moustache frétillante m’observe dans son rétroviseur.
— Première fois ? me demande-t-il avec un timbre de voix unique.
— Je ne peux rien vous cacher, je pourrais facilement y prendre goût ! admis-je. Vous avez dû rencontrer des personnes importantes dans cette voiture ?
— Ça dépend ! Les gens importants ne sont pas toujours ceux que l'on croit.
Séduite par son esprit, j’imagine déjà nos discussions durant nos trajets journaliers. Sa silhouette robuste bouge en rythme avec son art de la conversation, il me confie son prénom et moi le mien. Jean est passionné de citations, de mots justes et fourmille d’idées pour sa retraite à venir.
— Mon épouse et moi n’avions pas les moyens de courir le monde plus jeunes et maintenant que nos enfants font leur vie, j’adorerais lui offrir un voyage inoubliable.
— Vous êtes sans doute une perle très rare, soupiré-je.
— Déception amoureuse ?
— Je vais vous épargner ce chapitre pour l’instant Jean, pour la faire courte, l’amour et moi avons pris nos distances d’un accord commun !
— Très bien, je n’insiste pas, dit-il avec un rire tonitruant.
Mon regard se perd, mais je refuse en bloc le rétropédalage vers mes mauvais
souvenirs. Je me concentre sans mal sur les bords de seine et son île aux cygnes. Jean reste silencieux, ses sourcils froncés marquent une légère inquiétude, je lui souris pour le rassurer. Ou pour me rassurer ? Sourire, enthousiasme et conviction forment un nouveau credo de plus.
— Nous sommes encore loin ? Demandé-je en tapant dans mes mains pour sortir de ma grisaille.
— Non, justement nous arrivons. Quatre, trois, deux, un… voici votre oasis, m’informe-t-il en tournant à la première à droite.
Il freine et le dépaysement me frappe de plein fouet. Je scrute l’immeuble de sept étages apprivoisé par les plantes et les arbustes, son roof top et son ambiance tropicale attirent immédiatementmon attention. Clairement, ce mélange d’architecture et de nature donne une dimension fantastique à ce lieu et je me languis de découvrir l’intérieur.
Jean me déloge de ma parenthèse enchantée en ouvrant la porte du véhicule et me tend sa carte de visite pour le joindre en fin de journée. Couverte par ses encouragements, je vibre devant cette nouvelle aventure puis me lance vers cette jungle de défis.
Je franchis le sas d’entrée et souris aux deux jeunes femmes de la réception, leur comptoir est cerné par quelques hommes, l’un deux bavent sur leur blondeur et tient des propos lourds de sous-entendus. Je m’avance vers elles et je sens cet individu me déshabiller du regard, sa mâchoire se desserre, mais je ne lui laisse pas le temps de sortir un mot déplacé de plus. Je pose ma sacoche avec fracas mettant fin à sa tentative d’approche.
L’attroupement s’éloigne après l’annonce imminente d’une réunion. Les hôtesses soufflent, contentes d’avoir un peu de répit, puis m’accueillent chaleureusement. Elles me confient mon badge, un plan des lieux avec une liste des contacts et la plus grande m’informe que mon bureau est situé dans un open space, au 3e étage.
Elle interrompt son explication pour répondre au téléphone. Ses pupilles naviguent plusieurs fois entre une caméra fixée au mur et moi.
— Bien Monsieur, prononce-t-elle calmement avant de raccrocher.
Malgré tout, son corps qui bondit et ses yeux écarquillés trahissent, sans peine, sa surprise.
— Finalement, vous vous installerez dans « le petit bureau-terrasse », m’annonce-t-elle visiblement envieuse.
Bouche bée, je lorgne à mon tour l'iris de l’appareil avec insistance. Qui se cache derrière cette nouvelle et que me vaut cet honneur ?
Elle échange mon badge contre un autre, doré et m’accompagne devant les ascenseurs en verre, où trois cabines se croisent au gré des demandes dans leur puits de lumière.
Je rentre dans le premier et suis prise d’un léger vertige lorsque celui-ci entame sa montée. La magie de la transparence opère immédiatement, j’admire la végétalisation du hall dans son intégralité qui contraste avec le marbre blanc du dallage.
Une silhouette élancée s’impose devant mes yeux, comme descendue du ciel pour mettre ma volonté à rude épreuve. Le temps infime qu’il a fallu à nos deux cabines pour se croiser m’a suffi à découvrir la mâchoire carrée de cet inconnu, les commissures de sa bouche délicatement courbées vers le haut, accompagnées d'une sensation d'inaccessibilité.
Et moi je suis restée aussi invisible que les parois qui m’entourent, seuls mes jambes tremblantes et mon palpitant peuvent témoigner de ce face-à-face si solitaire.
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shane
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