Fyctia
Il y en a des gentils.
— C’est la première fois que ce phénomène se produit Madame ? lui demande Karl.
— De cette intensité ? Oui, Monsieur.
— Ah parce que ça s’est déjà produit ?
— Oui, parce qu’à quelques kilomètres d’ici, il y a l’usine de caoutchouc vous comprenez Monsieur ? Et si les vents soufflent dans notre direction, eh bien ils nous ramènent une pluie noirâtre qui retombe sur nos maisons et sur nos champs.
— Ah, je comprends maintenant. J’ai failli me faire de mauvaises idées, mais que ça pu Madame.
— Oh pas tellement. Certes, il y a une odeur de caoutchouc, mais de là à dire que ça pu, non Monsieur, n’exagérons rien.
— Maman, je peux faire mes devoirs sur la table de la cuisine ?
— Oui, chérie, je vais te servir une tasse de chocolat chaud. Maman t’a fait des biscuits au beurre. Mange proprement, n’en met pas partout.
— Oui, maman.
— Il est vrai que ce que je vois de ma fenêtre ne ressemble pas à ce dont je vous parlais.
— Et vous n’avez pas senti cette odeur fétide qui envahit l’air, ça ressemble à l’odeur des égouts.
J’interromps Karl, je profite que Liotta a quitté la pièce pour interroger sa mère sur le comportement de sa fille :
— Madame Domingos, est-ce que Liotta fait des cauchemars ?
— Elle a des nuits agitées et exige que nous fermions les volets de sa chambre puis que nous tirions le rideau. Elle ne veut pas voir l’extérieur. Les volets c’est mon mari qui les a installés après la disparition de notre fille. Ils sont récents.
— Oui, en effet, ils n’y étaient pas lorsque nous sommes passés mardi matin ?
— Non, mais votre passage a fini de convaincre mon mari de les installer une fois pour toutes.
— Écoutez, Madame Domingos, soyez prudente, le soir fermez bien la porte de votre maison à clef. Je vois que les autres fenêtres n’ont pas de volets ?
— Non, mais nous veillons à bien les fermer croyez le bien. D’ailleurs ici, l’hiver est vigoureux, le froid pénètre dans les maisons, il exploite chaque fissure, le plus petit trou, le plus petit interstice. Même la cheminée ne suffit pas, parfois, à nous conserver un peu de chaleur. Liotta dort avec son petit frère dans le même lit, ils peuvent au moins se réchauffer.
Nous entendons le bruit du moteur du minibus, tous phares allumés. Il ralentit puis s’arrête devant la cour de la maison. Le petit Domingos en descend. Karl s’adresse à moi à voix basse :
— Tu vois, tu n’avais pas à t’inquiéter, le petit est là.
Je sors précipitamment, j’accours vers le minibus, je glisse, je manque de me ramasser par terre, mais d’un bref coup de reins, je me redresse. Partout, une boue noire s’est posée au sol, j’arrive devant la porte pliante du véhicule, je fixe le conducteur qui me regarde surpris :
— Bonsoir, ma p’tite dame, je peux faire quelque chose pour vous ?
Je ne lui réponds pas, le petit Domingos s’apprête à descendre, je le prends par la main, son visage est fermé. Le chauffeur n’est plus qu’un monstre déformé par le vice et la haine, il n’y a plus de bouche qui ressemble à quelque chose d’humain, ses yeux suintent d’une laque noire dégoulinante. J’observe les autres enfants, ils ne semblent pas réagir, ils ne perçoivent pas tous l’horreur qui les conduit chez eux.
— Inspecteur Benvenuti, Monsieur. Je suis là pour enquêter sur les enlèvements des jeunes filles.
— Ah oui, j’en ai entendu parler.
— De quoi ? De l’enlèvement des jeunes filles ou de notre présence dans la région ?
— De votre présence Madame. Vous savez ici, tout se sait très vite, c’est un petit pays.
— Très bien, conduisez prudemment Monsieur. Viens-toi, ta mère t’attend. Ta journée s’est bien passée à l’école.
Il hoche de la tête sans dire un mot. Je recouvre l’enfant avec mon imperméable pour le protéger des gouttes de boue noire. Dans la maison, il se précipite dans les bras de sa mère, nous nous regardons Karl et moi d’un air attendri.
Karl regarde la montre :
— Rachel, il est sept heures, nous devrions y aller.
— Oui. Madame Domingos, nous vous quittons,
— Merci, Madame l’Inspectrice, d’avoir ramené Liotta.
— Pas de problème Madame, fermez bien votre porte surtout.
La petite Liotta accourt pour me serrer dans ses bras.
— Tu vas partir ?
— Oui, il le faut, je dois rentrer à mon hôtel.
— Non, je veux dire partir de la région.
— Oui, lundi matin, mais je reste encore ce weekend à Dhuizon. Pour quelle raison ?
— J’ai peur Rachel, tu les as vus comme moi n’est-ce pas ?
— Oui, je les ai vus comme toi.
— Le monsieur qui vend des pommes d’amour, je l’ai vu dans son regard, il me veut du mal, il va venir me chercher dans ma maison.
— Mais non, ne t’inquiète donc pas, il y a tes parents qui te protègent et ta maison est fermée, personne ne pourra y entrer.
— Mon papa ne pourra rien faire contre ce monstre.
— Ne t’inquiète pas, il ne pourra rien t’arriver, tu me fais confiance ? Je sais que tu ne risques rien, je t’assure.
— Mais pourquoi, ils sont arrivés ici ? Et quand partiront-ils ?
— Dans pas très longtemps, je te le jure.
— Mais qu’en sais-tu toi ?
— Je le sais c’est tout, il y a des choses que tu ne vois pas et pourtant elles sont là, tout près de toi.
— C’est quoi « des choses » ?
— Il n’y a pas que des monstres méchants ou des sorcières méchantes, il y en a des très gentils, crois-moi. Tiens, prends cette médaille, tu la garderas jusqu’à ce que tous les monstres et les sorcières méchantes soient partis, alors tu me rendras ma médaille. J’y tiens tu sais, elle appartenait à ma maman et je n’ai plus que ça pour m’accrocher à elle. Tu as confiance en moi ?
— Oui, mais s’il venait me chercher, qu’il m’emporte comme ma sœur, loin de mon papa et de ma maman, tu serais là pour me défendre ?
— Liotta regarde-moi bien, que vois-tu ? Je te jure que je ne laisserai personne te faire du mal, jamais, et je ramènerai ta sœur.
— Je te crois Rachel, parce que tu n’es pas comme les autres, tu viens d’où ?
— Je viens d’ailleurs ma puce.
— Tu es une sorcière ?
— Chut, une gentille sorcière.
J’embrasse Liotta sur le front, je rejoins Karl qui attend à la porte en discutant avec la mère de Liotta. Nous prenons congé et montons dans la 404. Nous démarrons, je n’étais plus restée seule avec Karl depuis notre baiser. Je regarde fixement devant moi, nous ne parlons pas, nous sommes gênés. Un lourd silence s’installe, ponctué par le va-et-vient des essuie-glaces. Ma main est posée sur le siège, sa main chaude se pose délicatement sur la mienne, sans un mot, de temps en temps il la retire pour manier le levier de vitesse au volant puis la repose. Je ferme les yeux, je ressens sa tendresse, il est tombé amoureux, je l’ai attrapé dans mes filets. Mon orgasme a été si fort, mon désir pour lui a été si puissant que je l’ai atteint à distance, en plein cœur.
Mais Rachel à quoi penses-tu ? Tu es une conne, dans 24 heures tout sera fini, ton histoire est née morte.
19 commentaires
Léoneplomb
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Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
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Il y a 4 ans
Véronique Rivat
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Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
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Il y a 4 ans
Gottesmann Pascal
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Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
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Il y a 4 ans
Sand Canavaggia
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Il y a 4 ans