Fyctia
On ne joue plus.
Je descends les marches d’escalier quatre à quatre, j’arrive à la hauteur de Karl qui discute avec quelques personnes du cru. Je lui tape sur l’épaule, il se retourne et je vois là, le plus beau, le plus lumineux sourire de ma vie. Les autres hommes me dévorent de leurs yeux lubriques.
— Tiens donc ! Rachel. Messieurs, vous connaissez mon équipière ? Inspectrice Rachel Benvenuti.
— Bonjour Messieurs.
Et tous de concert.
— Bonjour Madame.
— Rachel, tu ne connais pas Monsieur Louvain ? C’est le…
— …Maire de cette ville, oui, je sais et que nous vaut votre présence en cette heure Monsieur le Maire ?
— Oh, mais tous les jours à cette heure je viens me mélanger avec mes compatriotes et discuter de tout et de rien, surtout que la ville a lancé de nombreux projets de construction.
— Vous êtes au courant Monsieur le Maire que nous enquêtons sur les disparitions des six jeunes femmes de votre commune ?
L’atmosphère se rafraîchit, il y a de l’orage dans l’air, le Maire cesse de rire et me fixe intensément, puis il se reprend. Il accroche à nouveau un sourire à son visage ingrat troué par des séquelles de varicelle.
— Je suis au courant, le commandant Dufour m’en avait fait part depuis la première disparition figurez-vous. Pensez, si un maire n’est pas informé de ce qui se passe chez ses concitoyens alors où va-t-on !
— Oui où va-t-on ? Je vous le demande, Monsieur le Maire.
— Eh bien oui naturellement Mademoiselle.
— Naturellement... Mais c’est inspecteur Monsieur le Maire pas Mademoiselle.
— Très bien, je ne veux surtout pas offenser Mademoiselle l’Inspectrice.
— Non, inspectrice tout simplement.
— Je dois vous avouer made…inspecteur que vous êtes apprêtée plutôt comme ces jeunes filles de la nouvelle vague, celles qui vont dans les bals se trouver un garçon pour la nuit, mais certainement pas comme un inspecteur ou inspectrice, c’est comme vous le souhaitez.
— Eh bien Monsieur le Maire, je serai au moins cet exemple qu’il ne faut surtout pas se fier aux apparences. Les préjugés vous savez, ne sont que les faux-semblants qui conviennent aux promeneurs tranquilles, aux braves et petites gens. Ceux à qui l’on a imposé un code de bonne conduite, ce qui ne leur empêche pas tranquillement derrière les murs de leur maison, bien à l’abri, d’être des débauchés. Alors oui, Monsieur, il ne faut surtout pas se fier aux apparences.
— Eh bien Mademoiselle, je saurai m’en souvenir.
Nous prenons congé, Karl est resté muet, observant le Maire et ses réactions.
— Bon Rachel, il faut y aller, Messieurs, nous devons vous quitter, le devoir nous appelle.
Je fixe Louvain dans les yeux, il me toise, une rage folle s’est emparée de lui, ses yeux rougissent d’un éclair de feu incandescent. Il se déforme, deux des quatre acolytes présents sont également défigurés par leur morgue, leur bouche se modifie, elle se distord, leur visage se bosselle, s’avachit, leurs dents pourrissent, des scarifications profondes apparaissent et marquent leur figure qui n’en ai plus une. Je comprends qu’ils sont déjà condamnés, mais ils ne le savent pas encore. Les pauvres, oui je sais ce sont des monstres qui vont s’acharner sur les jeunes filles, mais à côté de ce qui les attend. J’en ai chassé des centaines comme eux, mais je sais aussi que dans le l’arrière-Monde, ils se repaissent de leur propre chair, ils sont lubriques et copulent comme des bêtes. Ils sont légion. Kāchān nous a promis à mes sœurs et moi qu’il étendrait nos territoires de chasse, nous bénéficierions ainsi d’une quantité plus abondante pour nous repaître de ces gibiers ragoûtants. Alors que je commence à m’éloigner du maire et de ses compagnons de comptoir, j’ai une brève hésitation, je me retourne en arrière pour m’adresser à eux une dernière fois.
— Ah oui, encore une petite chose Messieurs, je baise, oui, je baise et j’aime ça, je m’envoie en l’air comme une salope avec le Monsieur que vous voyez là-bas. Et ça me rend heureuse !
Les trois monstres lubriques et puants enragent de plus belle, salivants, laissant dégouliner une intense bave noirâtre semblable au jus pestilentiel qui suintait sur les murs du labyrinthe. Je vois là, devant moi, à ma face la vérité celle de la vraie nature des êtres, ce qu’ils ont dans leur cœur, je suis épouvantée devant tant de noirceur, autant de perversité et de malveillance. Si je n’étais pas ce que je suis, si je n’avais pas le soutien de mes Maîtres, si je n’avais été que Rachel Benvenuti, si je les avais perçus ainsi seulement la semaine dernière, je crois que je serais morte de peur. Oui, la frayeur se serait emparée de moi, elle m’aurait saisie à la gorge et m’aurait tuée. Mais ma nature a refait surface, tout est revenu dans ma mémoire, je suis une Sœur Damnée, de cette espèce de chasseuses redoutables tout aussi affreuse physiquement que vous, mais plus puissante.
Je vous donne rendez-vous de l’autre côté dans le Monde Noir et rira bien qui rira le dernier. Je rejoins Karl qui m’observait, il écarte le rideau à boudins pour me laisser passer.
— Mais que leur disais-tu ? Et puis qu’aviez-vous à vous observer ainsi ? Vous vous toisiez bizarrement. J’espère que tu ne leur as pas touché un mot sur tes soupçons Rachel ?
— Absolument pas Karl.
— Non je ne déconne pas Rachel ! Nous nous sommes mis à dos le commandant de gendarmerie, je ne voudrais pas ajouter monsieur le Maire.
— Je t’ai dit que non, il a été discourtois avec moi, je l’ai remis à sa place, voilà tout.
— Mais qu’à bien put te dire ce pauvre homme pour que tu te mettes en rogne ?
— Je n’aime pas ses insinuations de misogyne retardé.
Il se met à rire, nous nous regardons du coin de l’œil. J’aime quand tu ris Karl, laisse-moi t’aimer, je t’en prie.
— Quoi, qui a-t-il ? Pour quelle raison me regardes-tu comme ça Rachel ?
— J’aime lorsque tu ris, et puis il y a cette petite fossette qui se dessine sur ta joue là.
Je pose délicatement mon index dessus. Il cesse de rire, son regard est interrogateur, un peu méfiant, il recule sa tête. Il me fixe, il est gêné. Nos deux regards deviennent graves oui, on ne joue plus, c’est le moment, maintenant Karl. Il se penche, ses lèvres humides se posent sur les miennes, je sens sa langue toucher la mienne, c’est un feu d’artifice, je défaille, mes jambes tremblent, je sens son étreinte, il m’enserre dans ses bras. Son souffle chaud me fait penser qu’il est vivant, il respire. Sa langue se promène autour de la mienne, il la fourre avidement, je sens en moi, un bonheur insondable. Quel est ce mystère qui nous étreint comme cela au détour de notre existence dans un virage de l’inattendu dans le mirage du rêve, celui d’être aimé ? Oh Seigneur Kāchān où que tu sois, tu m’avais caché ce phénomène. Je sais que tu entends, je suis prête à mourir pour un peu de cet amour, je suis prête à être livrée en pâture à l’être noir de la Nécropole en échange d’un seul instant près de lui, en échange de cette intensité qui transperce mon esprit et mon cœur.
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Léoneplomb
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Il y a 4 ans
Mary Cerize
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Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
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Il y a 4 ans
Gottesmann Pascal
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Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
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Il y a 4 ans
Lyaminh
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Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
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Il y a 4 ans
Véronique Rivat
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Il y a 4 ans