Fyctia
Le vaste complot.
La serveuse ne se retire pas.
— Eh bien ! Allez ma belle.
— Oui, pardon, je vous porte du pain Monchieur.
— Alors Karl ? Tu as vu, les petites de 20 ans ?
— Oui, effectivement, elles n’ont pas froid aux yeux.
— Et elles ont aussi le cul chaud.
— Ma petite Rachel, je ne te savais pas si dévergondée.
— Tu sais, j’étais dans un internat de filles.
— Ah d’accord et c’est ce que l’on vous apprend dans un internat de jeunes filles ?
— Ça et plein d’autres choses Karl !
— Ah ! Et quoi donc ?
— Des choses insoupçonnables !
La serveuse nous apporte le pain, une carafe de vin et puis s’en retourne pour nous poser nos plats.
— Entenchion, ch’est chaud.
Karl se recule, la serveuse se courbe pour poser son assiette, elle laisse découvrir son joli balconnet et le dessin de ses seins. J’observe Karl pour voir s’il va oser regarder.
— Bon Rachel, l’ambiance est délétère, il n’y a rien qui tourne rond dans cette affaire. Je soupçonne les Duchêne d’entretenir un rapport avec tout ça, qu’en penses-tu ?
— Pas seulement les Duchêne, Karl ?
— Tu penses au commandant Dufour ?
— Pas seulement.
— Enfin un commandant de gendarmerie, c’est un peu gros, je me refuse d’y croire.
— Karl, te souviens-tu, de ce que je te disais chez les Gervais ?
— Que la vérité était devant nous, mais que nous refusions de la voir.
— Oui, parce que nous raisonnions trop basiquement, selon un schéma établi. La réalité est si étrange, si inaccoutumée, si inhabituelle, tellement insolite, à tel point énigmatique, si anormale, que même devant nos yeux, nous ne la voyons pas.
— Mais de quoi veux-tu parler Rachel ?
— Karl, nous baignons au milieu d’une ambiance pourrie qui couvre des abominations que notre imagination ne peut même pas concevoir. C’est au-delà de nos concepts humains, de la bienveillance, de l’indulgence envers son prochain. Ces gens n’ont aucune mansuétude, aucune compassion, pas de pitié pour la vie humaine.
— Rachel, tu m’inquiètes, de quoi veux-tu parler, bon sang ?
— Il y a des choses qui dépassent l’entendement, des territoires où il n’existe aucune pitié, pas de clémence. Un lieu où règnent la dépravation, l’horreur, un monde noir, un monde de perdition.
— Rachel, tu me fais peur, de quoi parles-tu ? Tu n’es pas bien ? Tu devrais te reposer, toute cette enquête a été difficile pour toi, tu es fatiguée.
— Non Karl, je ne délire pas, je crois que nous avons mis le pied dans un nid de scorpions, et que nous ne serons pas assez de deux pour arrêter cette organisation. Te rappelles-tu lorsque j’ai demandé à madame Chabaud si son mari portait un tatouage ?
— Non, je n’étais pas présent, je discutais avec le vieux, qui rempaillait ses chaises.
— Oui bon, ce n’est pas important, je t’en ai parlé sur le chemin.
— Oui et bien ? Oh putain ! Le dragon noir sur le tableau allégorique pendu chez les Duchêne, oui, je fais le rapprochement.
— Eh bien moi, je te fiche mon billet que les Duchêne en portent un également, probablement Raphaël l’épicier et Yves le chauffeur du minibus. Et puis, Dufour et Louvain le maire et probablement beaucoup plus que cela.
— Mais qu’en sais-tu ? Tu t’avances un peu vite.
— Non Karl, au contraire, nous avons avancé trop doucement. Je te le dis, nous nageons au milieu d’une machination, un complot de forces obscures.
Karl m’observe, dubitatif, il allume une cigarette et tire une bouffée avec application, ses lèvres s'arrondissent en un "O" muet rejetant la fumée en cercles.
— Je n’y crois pas Rachel, je ne sais pas où tu vas chercher tout ça, mais tu n’as pas une once de preuves même si, et je te l’accorde, il y a quelques indices troublants. Mais à mon sens, c’est les agissements de deux ou trois malades en mal de jeunes filles, il n’en manque pas dans la nature, et c’est déjà grave en soi, mais imaginer un vaste complot d’une secte, c’est cela ? Une conspiration d’adorateurs sataniques, je n’y crois pas. Moi, je vais rendre mon rapport au commissaire Chopard demain.
— Demain ?
— Oui demain Rachel.
— Mais Karl, nous n’avons pas démasqué les coupables.
— Nous n’avons que des présomptions Rachel, mais aucune preuve, rien, comme nous l’a dit monsieur Saint Pierre, nous avons nibe, nada, rien ! Je suis fatigué de chercher dans le vide, de ce pays perdu au fin fond du cul du monde, de cette pluie incessante, de cette ambiance lourde.
— Mais enfin, Karl, que dis-tu là ? Au moment où nous allions trouver la clef, tu abandonnes comme ça, d’un claquement de doigts ?
— Mais quelle clef Rachel, tu veux rire ! Tu es en plein délire je…
— Ne me dis pas que je suis en délire, je ne suis pas folle as-tu compris ?
— Mais ne te fâche pas, ce n’est pas ce que je voulais dire, c’était une façon de parler voyons. Ce que je veux te faire comprendre, c’est que nous n’avons rien de concret.
— Putain Karl, quel dégonflé tu fais ! Je ne te croyais pas aussi lâche que cela.
— Moi lâche ! Tu sais à qui tu parles ? Lorsque tu auras bravé plusieurs fois la mort comme moi, tu pourras me traiter de lâche. Regarde, tu vois ça, c’est une balle, et ça ? Une autre balle, tu n’as pas eu affaire à la bande à Duval qui sévissait dans les quartiers de Pigalle en 1955 ? Non, toi tu étais à l’école de police. Ça, c’est un coup de couteau, j’ai pissé le sang comme un porc que l’on égorge. Sans la présence de mon co-équipier, je serais mort, crevé sur un trottoir sale des quartiers de Pigalle. Quant à cette balle, elle m’a envoyé à l’hosto, je suis resté dans le coma pendant deux semaines entre la vie et la mort. Et tu veux savoir le plus fort ? Je vivais avec une femme depuis trois ans, nous étions heureux, nous nous aimions, elle s’appelait Annie.
— Bon ça va Karl… je me suis un peu emportée, je ne savais pas que tu avais connu une femme.
— Mais qu’est-ce que tu crois ? J’ai été jeune et j’ai aimé moi aussi, tout comme toi.
— Non, pas comme moi.
— Mais tu es jeune ?
— Jeune oui, mais c’est tout. Je n’ai jamais eu la chance d’aimer et d’être aimée.
— Oh pour ce que ça m’a apporté. Elle est partie un bon matin ou peut-être un soir, je ne sais pas… je n’étais pas revenu de l'hôpital, elle n’a pas pu supporter tout cela. Elle a eu trop peur, elle, c’était à une vie équilibrée dont elle rêvait. La vie d’un policier dans la criminelle ce n’était pas pour Annie. Lorsque je suis rentré de l’hôpital, il y avait déjà un bon moment qu’elle s’était fait la malle, l’armoire était vide, la commode aussi et ses accessoires de maquillage dans la salle de bain avaient disparu.
Cette fois-ci, c’est moi qui pose ma main sur celle de Karl...
27 commentaires
Léoneplomb
-
Il y a 4 ans
Gottesmann Pascal
-
Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
-
Il y a 4 ans
Lyaminh
-
Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
-
Il y a 4 ans
Véronique Rivat
-
Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
-
Il y a 4 ans
Véronique Rivat
-
Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
-
Il y a 4 ans