Fyctia
Vous êtes folle docteur !
Elle termine de mâcher puis me demande à nouveau de m’asseoir.
— Je vous en prie, prenez place.
— Que venez-vous faire ici ? Allez-vous me le dire ?
— Calmez-vous Rachel, je m’inquiète beaucoup pour vous. Notre dernière communication m’a laissée dubitative.
— Ah bon ? Parce que vous ne trouvez pas légitime ma surprise et mon mécontentement quant à l’internement de mon frère sans que vous m’en ayez fait part docteur ?
— Je vous l’accorde Rachel, je comprends votre colère.
— Non, je ne pense pas docteur que vous puissiez comprendre, mais c’est une affaire que nous réglerons lorsque je serai rentrée à Paris, et ça ne tardera plus maintenant ?
— Vous avez des pistes ?
— Je ne peux rien vous dire, je suis tenue au secret de l’enquête docteur. Mais je suis sûre que vous n’êtes pas venue jusqu’à moi pour me parler du déroulement de mon enquête ?
— Rachel, je sais que vos visions sont revenues. Vous êtes malade Rachel, je suis responsable de vous, comprenez-vous ?
— Non docteur, je ne suis pas malade, vous vous trompez. Ces visions n’en sont pas, ce que je vois, ce que je perçois, est bien réel.
— Rachel, les personnages que vous voyez vous disent que vous êtes importante, ils vous assignent une mission. Certains vous racontent que vous n’êtes pas seule, que vous faites partie d’un clan, d’une famille ou d’un groupe.
— Oui, c’est exact docteur, mais ils existent au sein d’une autre réalité.
— Bien entendu et il n’y a que vous qui les percevez, personne d’autre ?
— Non personne d’autre, mais parce que je suis une élue. J’arrive de ce monde voyez-vous ?
— Rachel, votre père est mort, vous aviez 6 ans ? 7 ans ?
— J’avais 6 ans.
— Et que vous rappelez-vous de votre père ?
— Quelques souvenirs fragmentés, des impressions, des odeurs, quelques scènes fugitives.
— Votre père vous a beaucoup manqué n’est-ce pas ?
— Bien sûr que mon père m’a manqué, quelle question, vous le savez très bien.
— Ce père qui vous manque tant, vous l’avez créé dans votre imagination comme une allégorie, un symbole. Mais comme vous n’avez pas su y mettre un visage, vous l’avez représenté par un groupe, une assemblée d’êtres dominants, à l’aspect protecteur. Je suis même sûre qu’ils n’ont pas de visages bien définis, je me trompe ?
— Eh bien en fait, ils ont un visage, mais ils sont comment dire, asexués.
— Mais naturellement, votre esprit est incapable d’y placer un visage d’homme. Et votre parent d’adoption, le monsieur Romain, lorsqu’il venait vous chercher dans votre lit, il faisait sombre même nuit ou bien vous fermiez les yeux ?
— Oui, mais il venait me faire du mal. Il abusait de moi docteur, je n’avais que 12 ans lorsque ça a commencé, putain !
— Il n’avait donc pas de visage en quelque sorte.
— Oui, c’est exact.
— Vous avez été bafouée en tant que femme, je veux dire dans votre être le plus profond, dans votre féminité.
— Oui docteur, mais ça, vous le savez déjà, est-ce pour cela que vous êtes venue jusqu’ici ?
— Non, mais ce que j’essaie de faire, c’est de vous aider Rachel. Ces soi-disant sœurs, c’est votre colère contenue, mais sous-jacente, parfois vous la dominez, et parfois c’est elle qui vous domine, alors vous les voyez, elles apparaissent pour vous raconter que vous formez une ligue, ou je ne sais quoi, un clan de femmes qui ont été bafouées tout comme vous.
— Oui, c’est comme cela.
— Vous avez eu très peur, lorsque cet homme abusait de vous, mais vous étiez également en colère Rachel, et tout ce ressenti a créé une fracture dans votre esprit. Nous appelons cela, un dédoublement de personnalité. Parfois, vous avez l’impression d’être ailleurs. Et votre ailleurs à vous, vous l’avez nommé le Monde Noir.
— Mais, ils existent docteur, je vous l’assure, je les ai vus comme je vous vois. Je les ai sentis comme je vous sens. J’ai senti l’odeur des cendres, j’ai touché mes sœurs, elles m’ont parlée, je veux dire, elles m’ont dit que… je… j’ai été envoyée, il y a 26 ans de cela pour sauver ces jeunes filles des Écorcheurs et vous savez, il y a une secte, ils sont là, partout, tout autour de nous, ils nous épient.
— Rachel, vous êtes en plein délire. Vous rendez-vous compte ce que vous pouvez imaginer ?
— Non, je ne l’imagine pas, ils sont bien là. Je mène une enquête depuis trois jours, j’en suis à la fin. Cet après-midi, je vais voir la petite Liotta, elle les a vus elle aussi. Les Émissaires m’ont avertie que sa vie était en danger.
— Rachel, vous ne pouvez plus diriger cette enquête. Vous êtes dangereuse pour les autres et pour vous-même. Vous ne pouvez pas porter une arme, vous êtes une menace.
— Docteur Clément, vous n’êtes pas habilité à décider si je suis ou non, habilité à porter une arme. Vous n’êtes même pas référencée auprès de la police. Vous n’êtes pas attitrée auprès d’un établissement de la fonction publique. Vous professez comme libérale, et c’est moi qui suis habilité à vous garder en tant que médecin attitré ou pas. Et je vais vous répondre, docteur Clément ! Je vous vire.
— Rachel, vous ne pouvez pas faire cela.
— Oh, que oui, je peux le faire, d’autre part vous venez là, on ne sait pour quelle raison, sans que je vous y aie invité, alors que je suis en pleine mission.
— Sauf Rachel, que j’en ai informé le commissaire Chopard, votre chef. Je lui ai expliqué votre état, vos hallucinations, votre comportement obsessionnel et votre schizophrénie paranoïde. Il sait tout Rachel.
— Mais vous êtes folle docteur, vous n’avez pas fait cela ! Ce n’est pas possible, vous avez violé votre code déontologique, vous n’avez pas respecté le secret professionnel.
— Je le devais, Rachel, vous êtes un danger, je vous l’ai dit.
— Foutez-moi le camp docteur Clément, je soupçonne là, quelque chose de pas très clair.
C’est alors que le docteur Clément fait un signe par-dessus mon épaule. Je me retourne et j’aperçois trois solides gaillards habillés d’une blouse blanche, je me lève subitement.
— Rachel, je vous en prie, ne faites pas l’enfant, vous allez devoir nous suivre sans résistance ou bien nous saurons vous y contraindre.
J’observe les trois costauds faire mine d’avancer à partir du seuil de l’entrée du restaurant, mais je décroche la lanière de mon étui et je pose ma main sur la crosse. Ils ont alors un courant de frayeur qui parcoure leur corps et se fixent dans le regard.
— Rachel, vous ne tirerez pas, vous allez nous suivre bien gentiment sans faire d’histoire.
— Vous n’avez pas été envoyée par le commissaire Chopard, ce sont des histoires tout ça ! Vous n’avez aucun ordre de mission, et puis vous devriez être accompagnée de deux inspecteurs de police et sans doute de plusieurs agents, vu que je suis dangereuse docteur.
Le docteur Clément perd sa superbe, elle est déstabilisée, son regard assuré plonge dans le désespoir et la panique.
— Vous faites partie du complot c’est cela ?
19 commentaires
Léoneplomb
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Il y a 4 ans
Lyaminh
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Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
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Il y a 4 ans
Gottesmann Pascal
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Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
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Il y a 4 ans
Véronique Rivat
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Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
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Il y a 4 ans
Alexandre Audiard
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Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
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Il y a 4 ans