Fyctia
Les probabilités.
Mon instinct me dit que je vais mourir, que je ne pourrais pas m’opposer à ces êtres et à leur secte d’êtres humains. Je regarde le paysage, je sais que ce n’est que le rideau d’une réalité qui n’est qu’un mirage, l’arbre qui cache la forêt. Mon Dieu, et Antoine ? Je ne peux me permettre de l’abandonner. Mon petit frère, je viendrais te chercher même si je dois traverser le monde Noir. Grosjean interrompt mes pensées :
— Vous pensez passer à la brigade ?
— Pour quelle raison Grosjean ?
— Pour rendre compte au commandant Dufour.
Nous nous regardons furtivement Karl et moi, puis il reprend :
— Laissez-nous donc le temps de rédiger notre rapport et d’en informer avant tout le commissaire Chopard. Demain matin, nous serons chez vous pour rendre compte.
— Vous savez inspecteur Roland, le commandant ne va pas apprécier que vous passiez demain matin seulement.
— Maréchal des logis, très franchement et malgré tout le respect que je dois à votre commandant, j’en ai cure qu’il n’apprécie pas que j’accoure comme un toutou en début d’après-midi.
— Oui, mais inspecteur, vous êtes quand même sous notre juridiction.
— Je suis sous la juridiction de mon chef, le commissaire Chopard et du directeur de la police de Paris qui lui-même est sous les ordres du ministre de l’Intérieur. Vous, vous dépendez du ministère de la Défense, si votre chef y voit quelque chose à redire, je l’encourage à demander à son ministre d’appeler le mien, moi, je m’en lave les mains. En attendant, mon équipière et moi-même allons gentiment rédiger notre rapport dans un coin de la salle à manger du restaurant.
— Oh moi, ce que j’en dis. Faites comme vous le sentez inspecteur Roland.
Nous arrivons devant la gendarmerie, le commandant Dufour nous attend au seuil de l’entrée. Nous comprenons qu’il y a quelque chose de pas très clair, l’homme a été visiblement averti de notre arrivée, il semble impatient et son regard grave n’est pas de bon augure.
— Ah vous voilà, je viens de recevoir un appel du Comte Duchêne et il s’est plaint de votre comportement cavalier et irrespectueux. Sachez que monsieur Duchêne est respectable, c’est un honnête homme, il donne aux œuvres de charité. Il est le plus ancien notable de la région et vous avez fait honte à votre corporation en faisant des insinuations calomnieuses. Mais que vous a-t-il pris non de Dieu ?
Nous le fixons sans un mot tout en nous éloignant en direction de l’hôtel-restaurant.
— Mais où allez-vous bon sang de bonsoir ? Vous me devez un rapport.
Karl lui répond :
— On ne vous doit rien du tout commandant, vous avez fait preuve vous et vos hommes d’une négligence inadmissible dans cette enquête. Vous avez d’autre part caché ou omis de nous donner toutes les informations inhérentes à cette affaire. Je préfère penser que vous avez commis des erreurs plutôt que des fautes, mais ça, ce sera à nos chefs d’en juger.
— Je vous interdis de vous adresser de la sorte à un commandant de gendarmerie. Vous me paierez ce manquement à mon grade.
— Et nous, nous sommes inspecteurs de la police judiciaire attachés à la criminelle, et nous avons enquêté sur des crimes qui ont été traités par-dessus la jambe. Nous pensons, Monsieur, que vous avez sciemment caché des indices, des informations. Ça se paie cher ce genre de fautes. Voilà, c’est dit.
Je suis stupéfaite, ma bouche ouverte, ma mâchoire pendante, mes yeux écarquillés. J’observe le commandant se transformer en une horrible créature grimaçante tout comme le Comte Duchêne et son épouse, ses yeux rouges incandescents, son ombre étendue sur la façade du bâtiment, flottant comme une flamme de bougie. Je discerne l’âme de la créature, je regarde Karl, il ne perçoit pas le phénomène. Dans le regard du personnage, je distingue quelque chose de familier, c’est celui des deux bêtes de l’horreur, le regard des frères Pendru. Si ce phénomène se produit, c’est que la suite ne va pas tarder. Une incursion des êtres noirs de la Nécropole du nord serait une catastrophe, les Émissaires annuleraient cette probabilité de réalité. Je m’oublierais, et ce monde tournerait en boucle sans futur. Kāchān me l’a annoncé par les voix du conseil des Ambassadeurs.
Sur la place alors que je me dirige vers l’hôtel-restaurant, un doute m’assaille, et si tout cela n’était que délires paranoïaques ? Oui, un rêve, le docteur Clément a peut-être raison, les viols de ce pourri ont déchiré un fragment de mon esprit qui voyage entre la peur d’être menacée et la création de mes délires. Ma conscience floute mes contacts avec l’autre Monde et mes sœurs. Est-ce réel tout cela ? Mais qu’est-ce qui est réel ? Ici ou bien là-bas ? Une angoisse m’étreint, je crois ne pas être seule pour me rassurer, mais en vérité… merde, je crois que je vais imploser de l’intérieur. Mais non Rachel, rappelle-toi bon sang, tu viens de l’arrière-Monde, celui des Anachorètes, tu es une Sœur Damnée.
Les surprises ne s’arrêtent pas là, en pénétrant dans l’hôtel-restaurant, j’aperçois mon psychiatre. Mon cœur ne fait qu’un bon, c’est une décharge d’adrénaline. Mon rythme cardiaque s’accélère. J’hésite, Karl s’aperçoit de mon comportement.
— Qui y a-t-il Rachel ?
— Rien du tout.
— Tu sais que je te trouve particulièrement bizarre depuis ce matin. Tu t’es trop surmenée ces dernières quarante-huit heures, repose-toi cet après-midi, moi, je taperai le rapport.
— Oui, si tu veux.
— Ça va ? Tu as l’air d’être ailleurs. Bon, écoute-moi, allons nous rafraîchir et nous changer dans nos chambres puis nous nous retrouverons dans un petit quart-heure dans la salle à manger. Parce que je ne sais pas toi, mais moi, j’ai une faim de loup.
— Oui, faisons comme cela Karl.
— Eh bien que fais-tu ? Tu ne montes pas avec moi ?
— Je dois passer un appel Karl, mais je t’en prie, je vais te rejoindre.
— Bon très bien, mais ne traîne pas, j’ai une faim de…
— Loup, oui, je sais Karl.
Karl se dirige vers le premier étage des chambres. Je me rends vers le docteur Clément assise à table en train de déjeuner tranquillement.
— Que faites-vous là docteur ?
— Bonjour Rachel.
— J’attends des explications docteur, vous n’avez rien à faire ici putain, je suis en mission et mon équipier va redescendre d’un instant à l’autre.
— Asseyez-vous un instant à ma table Rachel.
Je demeure figée sans un mot.
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Léoneplomb
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Il y a 4 ans
Lyaminh
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Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
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Il y a 4 ans
Gottesmann Pascal
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Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
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Il y a 4 ans
Véronique Rivat
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Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
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Il y a 4 ans