Fyctia
Six jeunes-filles en peinture.
Je m’approche de l’œuvre, je suis sidérée, je n’en crois pas mes yeux.
— Vous regardez mon tableau préféré inspecteur ?
— Qu’est-ce que cela représente ?
— C’est une œuvre de Philistin Pendru.
— Philistin Pendru ?
— Oui inspecteur, le frère d’Auguste Pendru.
Un malaise s’empare de moi, j’ai l’impression que le sol va céder sous mes pieds, tout se bouscule dans mon esprit, mes yeux me piquent, mes paupières clignent convulsivement. Mon regard balaie nerveusement de droite à gauche l’image qui se présente à moi. Je sens Karl s’approcher, il pose doucement sa main chaude sur mon épaule. Je me tourne, je le regarde. Il est tout autant interloqué, il demeure bouche bée.
— Oui, Philistin était un véritable artiste, malheureusement, il a passé une grande partie de son existence dans un asile de fous. C’est son frère qui l’a fait sortir lorsqu’il a acheté le manoir, vous savez celui qui est sur la bute.
— Le manoir maudit ?
— Euh, oui, si c’est comme cela que vous voulez le nommer, c’est celui-là.
— Et c’est censé représenter quoi, Monsieur Duchêne ?
— Oh je ne sais pas, vous savez, l’homme vivait dans son monde, dans ses délires, c’est souvent ce qui fait de certains artistes des génies, inspecteur. Regardez Dali, c’est pareil, c’est de la pure exaltation imprégnée dans de la peinture.
— Je ne pense pas, Monsieur, que ce soit comparable. Dali n’a pas été le responsable d’enlèvements et d’assassinats.
— Écoutez inspecteur, ces allégations n’ont jamais pu être prouvées, c’est un procès d’intention que l’on a fait à cet homme qui…
— Qui a tué Monsieur, d’ailleurs lui et son frère.
— Qu’en savez-vous ? Parce qu’il ne s’est jamais vraiment mêlé à la population, il était taciturne, secret. Vous réagissez comme les personnes de cette époque. Allons inspecteur, vous n’allez pas prêter attention à tous ces commérages tout de même. Des allégations tout droit sorties d’esprits enfiévrés par les superstitions des petites gens de la campagne.
— Il y a sur ce tableau six jeunes filles enchaînées prêtes à être sacrifiées.
— Ah bon ?
— Oui, bien entendu, regardez de plus près.
— Ah oui, je n’avais pas remarqué.
— Monsieur, ce sont six jeunes filles qui ont été enlevées ces deux dernières semaines. Cela ne vous a pas échappé ?
— Non bien entendu inspecteur, il y a ma nièce parmi les victimes.
— Les victimes ? On dirait que vous les avez déjà condamnées, Monsieur.
— Eh bien, vous savez, inspecteurs, nous n’avons jamais retrouvé les jeunes filles qui ont été enlevées, et ce, depuis toujours. Alors pour quelle raison, en serait-il autrement aujourd’hui ?
— Mais parce que nous sommes là, Monsieur, et que mon collègue et moi ne laisserons pas passer cette fois-ci ces actes odieux.
— Mais qu’en savez-vous, vous n’avez rien inspecteur, vous naviguez à vue, vous êtes dans le brouillard.
— Il semble, Monsieur, que vous y trouviez une certaine satisfaction ! Au demeurant, vous ne semblez pas affecté par la disparition mystérieuse de votre nièce.
— Je n’aime pas vos insinuations inspecteur. Ici, vous êtes chez moi et si vous n’avez rien d’autre comme preuves que des déclarations diffamatoires, je vais devoir vous demander de quitter ma demeure.
— Mais voyons Monsieur le Comte, l’inspecteur ne voulait pas vous offenser, n’est-ce pas inspecteur ? rétorque Grosjean.
Je fixe intensément l’homme, son regard est tout autant rempli de colère, il se dessine une haine qui n’est pas humaine. J’ai déjà vu cette morgue, ce mépris, cette rage contenue dans les yeux d’autres personnes, mais ce n’est pas dans ce monde.
— Inspecteur ? Excusez-vous s’il vous plait.
— Pardon, maréchal des logis.
— Faites des excuses à Monsieur le Comte, je vous en conjure.
— Il y a déjà fort longtemps que les gens du peuple ne sont plus châtiés par l’aristocratie, il y a eu entre temps la révolution Grosjean. Si Monsieur, souhaite néanmoins porter plainte, qu’il le fasse. Mais je ne vois dans mes paroles aucune accusation ni un manquement de respect eu égard à la condition de ce Monsieur.
— Sortez maintenant.
— Viens Rachel, partons.
Nous quittons cette fois-ci la demeure des Duchêne lorsque furtivement, j’entrevois leur ombre grandir, se déformer sur les murs et le plafond, alors que les gendarmes et Karl ont déjà traversé le perron et s’engagent sur les marches de l’escalier. Leurs yeux se métamorphosent, leur visage se transfigure, leur peau s’altère, leur corps se transforme. Ils semblent dominés par des hôtes, de ces ombres déformées que je vois tapies sur les murs et les plafonds.
Surprise, impressionnée, je m’éloigne en reculant, puis je tourne les talons et je dévale à mon tour les marches. Je me retourne encore à deux reprises, je perçois toujours le halo noir qui les entoure et leur face s’est transformée en une figure grimaçante, une sorte de caricature des frères Pendru.
— Qui y a-t-il Rachel ? Tu as l’air toute secouée.
— Non, ça va aller Karl.
Juste avant de monter dans le véhicule, je jette un dernier coup d’œil sur le perron, au bord du grand escalier. Deux formes hideuses et menaçantes continuent de me fixer. J'observe Karl qui ne semble pas perturbé.
— Quoi ? Qui y a-t-il ?
Je regarde une dernière fois vers le couple infernal, il n’est plus là.
— Tu n’as rien remarqué ?
— Qu’aurais-je dû remarquer ?
— Non rien du tout Karl, laisse tomber.
La voiture démarre, il est plus de treize heures, Crespau nous le fait comprendre, il a faim et il se languit de rentrer à la caserne. Je sais maintenant, je sais qu’ils sont là, parmi nous, je ne connais pas cette espèce de Démons. Les Émissaires m’ont expliquée que ce sont des Égrégores, des formes de pensées créer par une très ancienne race provenant du dehors des civilisations humaines. Les croyances, les peurs, leur adoration ont engendré leur existence. Ils font aussi partie du folklore, cela devient dangereux, car ils ont pris forme dans la réalité tridimensionnelle des humains. Le plus inquiétant, c’est qu’ils savent que je les ai perçus, oui, ils savent que je les ai vus. Je suis désormais en grand danger. Je dois agir vite. Ces salauds de Pendru étaient des adorateurs de ces êtres, ceux du Monde Noir septentrional, les êtres noirs de la nécropole. Je les ai immédiatement reconnus avec leurs yeux très caractéristiques, enflammés d’un rouge incandescent. Merde, je dois l’annoncer à mon référent, je dois en faire part à Kāchān.
— À quoi penses-tu Rachel ? Je te vois inquiète.
— Je dois parler avec la petite Liotta, ensuite je te dirai Karl.
L’assemblée des Ambassadeurs doit savoir, où es-tu Kāchān ? Putain ! Vous m’avez dit que je n’étais pas seule. Je ne sais pas si vous êtes près de moi, mais ce soir, si vous ne l’êtes pas, je serai certainement en mauvaise posture. Avez-vous prévu cette probabilité ? Celle de ma mort physique en ce lieu, à ce moment…
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Léoneplomb
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Il y a 4 ans
Véronique Rivat
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Jean-Marc-Nicolas.G
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Lyaminh
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Sand Canavaggia
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