Fyctia
Vers l'étang du Diable.
Nous sortons.
— J’ai des choses à te dire Karl.
— Moi aussi Rachel.
— Tu savais que leur fille n’est pas celle du monsieur, elle s’est fait gentiment engrosser sous l’occupation pendant qu'il était prisonnier de guerre en Allemagne.
— Non, je ne savais pas. Et sais-tu que le vieux a servi dans la maison en 1937 et 1938, chez les avant-derniers et les derniers proprios de la maison ?
— Tu veux bien parler de la même maison qui...
— Oui oui, la maison maudite.
— Et alors, raconte…
— Il a vécu avec sa femme, la famille qui a vécu avant la dernière, enfin les Drumont. Leur fille s’est suicidée, elle s’est pendue dans la cave, la mère a perdu la raison et le type est mort, devine de quoi ?
— D’une crise cardiaque.
— Exact.
— Tu connais le sort de la dernière famille, le mari est également mort d’une crise cardiaque.
— Oui, ça fait beaucoup de crises cardiaques.
— Tu ne crois pas si bien dire, au total, le vieux m’a donné plus de précisions que le Auguste. Il y en a eu au total huit ! Tu ne crois pas que c’est tout de même curieux ?
— Oui, combien d’hommes et combien de femmes ?
— Aucune femme, que des hommes. Les femmes, elles, se sont suicidées par pendaison, par défenestration ou par ouverture des veines. Quoi ? Qui y a-t-il Rachel ?
— C’est de cette façon que ma mère s’est suicidée.
— Oh merde, je ne savais pas, je suis désolé, quel con je fais !
— Mais non, ce n’est pas de ta faute Karl, tu ne pouvais pas savoir. La seule fautive dans tout çà c’est ma mère, bon… continu.
— Oui, euh… pardon, où en étais-je... Ah oui, et tu ne sais pas le plus terrible ?
— Quoi donc ?
— Les types, ils sont tous morts d’une crise cardiaque dans la cave.
Karl est passé de l’autre côté de la voiture des gendarmes, nous nous fixons par-dessus le toit de la 403, figés, la main sur la poignée. Il me sourit, il me dit :
— Alors que dis-tu de ça ? C’est curieux n’est-ce pas ? Ça l’est d’autant plus que c’est là que tu as crié et que tu t’es évanouie.
— Oui et alors ? Tu ne vas pas me faire croire que tu crois aux maisons hantées ?
— Ne ris pas avec ces choses-là Rachel, ma grand-mère était voyante. Elle voyait des choses, elle recevait des gens pour leur prédire l’avenir.
— Tu crois à ces choses-là toi ?
— Bein eh ! J’ai baigné pendant toute mon enfance dans ce milieu. Pour quelle raison me dis-tu cela ? Tu n’y crois pas c’est cela ? Tu penses que ce sont des histoires à dormir debout pour bonne femme en mal de vivre ?
— Mon pauvre Karl, si tu savais ce à quoi je crois, tu en serais étonné.
Nous sommes interrompus par Grosjean et Crespau qui attendent à l’intérieur du break noir.
— Bon hé, les inspecteurs de Paris, faudrait peut-être y aller. Les Duchêne habitent de l’autre côté des deux étangs.
Nous pénétrons dans l’automobile, nous gardons le silence et d’un regard complice nous faisons mine de garder un secret. La pluie a cessé, je baisse avec la manivelle la vitre, je ferme les yeux, l’air frais et humide pénètre dans mes narines et fouette mon visage. J’entends le chant des pneus écraser l’eau d’un « chiiii » constant, quelques flaques d’eau, éclatent sous l’ouverture des pneumatiques, éclaboussant les flancs du véhicule. Je jette de temps en temps un coup d’œil vers Karl puis vers Grosjean et Crespau. Je me suis poussée plus près de la portière pour échapper à la vue de Crespau qui me jette des coups d’œil par le rétroviseur. Le véhicule ralentit, nous arrivons dans une zone inondée. J’entends Grosjean dire à Crespau de ralentir et de rouler doucement. Je penche ma tête par-dessus la fenêtre, je regarde les roues s’enfoncer de presque un tiers. Nous parvenons à sortir de l’immense nappe d’eau au bout de quelques minutes. J’aperçois au loin la maison maudite, elle est perchée sur un monticule, une grande butte, elle semble dominer toute la région comme une sentinelle. La « sentinelle » des gens maudits. Grosjean nous la fait remarquer, je l’avais aperçue avant lui :
— Tenez regardez la maison maudite là-bas, vous la voyez. Même de loin, elle paraît étrange.
— Eh bien moi, je vous avertis si l’on doit y retourner, ce sera sans moi, je resterais dehors.
— Toi Crespau, tu feras comme les autres, tu rentreras si tu dois le faire. Tu es gendarme que Diable ! Un peu de courage.
— Ah, mais je ne suis pas un lâche, ni un trouillard Grosjean et tu le sais. On a eu dans le passé à résoudre des affaires graves. Et en 46 quand il a fallu désarmer ceux qui avaient gardé des armes, tu te rappelles le Francis ? Il refusait de les rendre et bien j’y suis allé.
— Oui, c’est exact, mais là, ce n’était pas du courage, c’était de l’inconscience. Figurez-vous que le type nous tirait avec sa Sten, il a d’ailleurs blessé deux de nos hommes. Tu te rappelles Crespau, le vieux Geoffrey et Tricard. Ah le vieux Tricard, quelle flèche celui-là.
— Ils ne sont plus à la brigade ?
— Ah bien non pensez-vous, ils étaient à l’heure de la retraite ces deux-là. N’empêche que c’étaient des sacrés gaillards, des durs. Et ce jour-là, ils leur restaient un an à tirer, ils auraient pu se dire, je vais rester tranquillement à l’affût derrière les buissons et le muret et laisser faire les jeunes. Eh bien, pas du tout, les voilà nos deux anciens avec Crespau prendre d’assaut la maison du forcené. Ils ont été blessés tous les deux, mais pas toi, n’est-ce pas Crespau ?
— Non pas moi, mais j’entendais les balles siffler autour de ma tête.
— Faut dire que les deux autres imbéciles avaient fait Verdun, alors vous comprenez, ce n’était pas un malheureux pistolet mitrailleur qui allait les impressionner.
— Oui, je comprends, c’est l’année de ma naissance.
— Ah bon vous êtes de 16 ?
— Bien oui maréchal des logis, j’ai eu 44 ans cette année.
— Ah oui comme le temps passe n’est-ce pas ? Profitez Rachel, la jeunesse est une denrée qui se fait de plus en plus rare en vieillissant.
— Tiens c’est pas mal, ce que vous dites là.
— C’était ma grand-mère qui disait toujours cela, j’avoue que j’ai mis longtemps pour comprendre ce que cela signifiait.
Nous approchons de la maison des Duchêne, elle est imposante. Elle n’est pas très loin de celle des Bonnieux, mais de l’autre côté de l’étang du Diable.
Nous garons le véhicule sur une allée pavée et montante, au-delà, deux parterres de pelouses et de fleurs jaunes retenues par un muret de pierres blanches, soulignées par des joints noirs. Au milieu un grand escalier de pierres blanches donnant à la maison une masse impressionnante. En haut, une dame habillée de noir, l’air solennel, nous attend. Grosjean s’adresse à elle avant même de refermer la portière du véhicule.
— Madame Duchêne bonjour, je vous amène deux inspecteurs de paris qui…
La dame interrompt Grosjean :
— Oui, je sais maréchal des logis, on m’a averti de votre venue ce matin tôt.
Puis la dame nous tourne les talons pour se diriger vers la porte d’entrée, elle nous attend cette fois-ci.
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Léoneplomb
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Véronique Rivat
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