Jean-Marc-Nicolas.G À la découverte des Anachorètes. Le dragon du prisonnier.

Le dragon du prisonnier.

— Il a découpé la vitre avec un compas à diamant et une ventouse centrale, il a ensuite passé la main, relevé la crémone et le tour est joué.


Il se présente et me tend la main.


— Je suis Monsieur Chabaud, l’époux de Madame.

— Oui, j’avais compris. Et vous n’avez rien entendu ?

— Non rien.

— Mais enfin, votre fille n’a pas crié, elle ne s’est pas débattue ? Ce que je veux dire, c’est que vous n’avez retrouvé aucun objet au sol, des débris d’une lampe ? Tenez par exemple, cette lampe de chevet.

— Non, la chambre était intacte comme si rien ne s’était passé. Seul le lit était resté défait, les draps et les couvertures repliés sur le côté.

— Mais des traces de boue ?

— Non.

— Pourtant, il n’y a que ça autour de votre maison

— Je le sais bien Madame. Que croyez-vous, j’y ai pensé aussi, c’est ce qui est d’autant plus incroyable.

— D’accord. Vous avez des chiens ?

— Oui, deux épagneuls pour la chasse à la bécasse et au canard.

— Et vos chiens n’ont pas aboyé ? Rien du tout, ce n’est pas possible !

— Je ne vous dis pas qu’ils n’ont pas aboyé, mais Madame l’Inspectrice, ils aboient à tout bout de champ ! S’il fallait que nous nous en inquiétions à chaque fois. Vous savez ici, les bêtes sauvages furètent la nuit autour de la maison. Ils viennent faire les poubelles, nous avons beaucoup de déchets.

— Oui, je comprends, mais cette nuit, ils ont aboyé ?

— Oui, bien entendu qu’ils ont aboyés, mais ça ne signifie rien.

— Mais René, rappelle-toi, vers minuit ils n’aboyaient pas comme d’habitude.

— Mais non, ils aboyaient comme à l’habitude, c’est toi qui t’imagines des choses à cause de ce qui s’est passé cette nuit.

— Ce n’est pas vrai, ils étaient hargneux, en colère. Je les connais bien ces chiens.

— Bein et moi, je ne les connais pas peut-être ! Ce sont mes chiens. Je te rappelle que je chasse avec eux depuis cinq ans tout de même et puis les épagneuls, ça me connaît.

— Oui, vous pouvez dire ce qui vous chante Monsieur Chabaud, il n’empêche que cette nuit-là, vos cabots n’ont pas aboyé pour un animal de passage. Ils vous avertissaient qu’il y avait des intrus, vous auriez dû les écouter.


L’homme baisse la tête, un peu honteux.


— Oui René, si tu avais écouté tes chiens, ta fille n’aurait pas été enlevée.

— Ah bein voilà que c’est moi le responsable maintenant !


Nous retournons dans la salle de séjour. Karl demande si le fourgon d’alimentation passe régulièrement et si l’ordre de passage est régulier.


— Vous voulez parler de Raphaël ?

— Oui monsieur.

— Mais quel rapport entre Raphaël et les enlèvements ?

— Peut-être aucun, mais nous envisageons toutes les éventualités possibles. Et parlez-moi du chauffeur du minibus.

— Yves ?

— Oui Yves.

— Que voulez-vous que je vous dise ?

— Il y a longtemps qu’il a ce poste ?

— Depuis cinq, peut-être six ans. C’est Monsieur Louvain qui lui a fait avoir.

— Qui est Monsieur Louvain ?

— Mais le Maire de la commune parbleu !

— Très bien et la patente du Raphaël ? J’imagine que c’est Monsieur le Maire qui le lui a fourni ?

— Oui sans doute.

— Oui bon, et depuis combien de temps le Raphaël tourne-t-il pour desservir votre commune et les communes environnantes ?

— Eh bien… Oh ça va bien faire une dizaine d’années.

— Mais non qu’est-ce que tu racontes René, il y a six ans qu’il a ce commerce, avant que l’usine de ciment ne ferme. D’ailleurs, le Yves travaillait au même endroit que le Raphaël.

— Mais comment tu le sais toi ?

— Je le sais parce que je le sais, voilà tout. En ville on parle figures-toi.

— Oh pour ça, c’est sûr, vous parlez vous les femmes. Vous n’avez que ça à faire tandis que moi, je travaille.

— Bein ça alors quel culot ! Et qui te prépare les repas, te lave et te repasse ton linge, fait la traite des vaches quand tu es fatigué et que tu as du mal à te lever ?

— Je sais, je sais… je te taquine.

— Monsieur Chabaud, à part taquiner votre femme, vous rendez-vous compte que votre fille a été kidnappée et que ni elle ni les autres n’ont été retrouvées ? Qu’à l’heure qu’il est, je suis très inquiète quant à leur sort ?


La dame fond en larmes, pendant que le jeune adolescent que j’avais remarqué dans l’étable aux côtés de son père vient de faire irruption dans la maison.


— Papa qu’est-ce que tu fais ? J’ai besoin de toi.

— Oui mon fils, j’arrive. Bon inspecteur, si vous n’avez plus besoin de moi, je dois reprendre mon travail.

— Vous pouvez y aller.


Après que le mari et le fils soient sortis, je me tourne vers madame Chabaud :


— De quelle année est votre fille Madame Chabaud.

— Pour quelle raison me demandez-vous cela ?

— Répondez-moi Madame.

— De 1943, du mois d’août.

— Très bien, très bien. Votre mari était prisonnier de guerre ? C’est cela ?


Elle se met à nouveau à pleurer et renifle, elle cherche un mouchoir dans sa poche avant de son large tablier de maison et se mouche à deux reprises :


— René a été fait prisonnier en juin 1940, dans la poche de Lille. Il est parti en captivité dans un stalag, il n’est revenu qu’en juin 1945.

— Mais alors qui est le père, Madame Chabaud ?

— Eh bien ce n’est pas lui, c’est vrai. Lorsqu’il est revenu, Isabelle avait deux ans, il l’a reconnu, mais il ne l’a jamais vraiment adopté. Que voulez-vous les enfants de la honte payent un tribu toute leur vie. C’est la raison pour laquelle il n’est pas affecté, mais c’est un brave homme, vous savez ?

— Je n’en doute pas, Madame Chabaud, si vous le dites.

— Oui, c’est un brave homme.

— Une dernière chose, une question comme ça. Votre mari porte-t-il un tatouage sur une partie du corps ?

— Oh, mais c’est curieux que vous me posiez cette question inspecteur, parce qu’il en porte un sur l’avant-bras gauche.

— Très bien et laissez-moi deviner, ne serait-ce pas un dragon ?

— Oui, c’est exact, un dragon noir, mais alors comment avez-vous fait pour le deviner ?

— Bon très bien madame, nous allons prendre congé. Ah ! Un petit conseil, il n’est pas nécessaire que votre époux ait vent de ce qui vient d’être dit entre nous. Nous sommes bien d’accord, Madame Chabaud ?

— Oui, d’accord inspecteur. Mais à quoi pensez-vous, vous me faites peur ?

— Mais non rassurez-vous, il n’y a rien de grave, mais j’aimerais que vous gardiez pour vous notre conversation. Je vous le demande, de femme à femme.

— Très bien inspecteur.


Je rejoins Karl qui discute avec le vieux monsieur qui rempaillait des chaises devant l’entrée de la maison. Lorsqu’il me voit arriver, il le remercie et prend congé.

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28 commentaires

Léoneplomb

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Il y a 4 ans

Je penserais un peu comme Véronique, pas parce que c'est mon amie mais que c'est plausible que : "le dragon tatoué, le mari trompé qui reconnait un enfant qui n'est pas le sien, n'aurait-il pas offert la gamine en sacrifice au monde noir ?" Peut-être que nous nous trompons alors on continue à lire

Gottesmann Pascal

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Il y a 4 ans

Encore un témoignage très intéressant. On parle facilement dans ce village et on confié même des secrets de famille.

Véronique Rivat

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Il y a 4 ans

Oh merde ! Si j'ai mis dans le mil ça prouve que je suis plus qu'intéressée par l'histoire et son intrigue, Sand ! 😁

Jean-Marc-Nicolas.G

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Il y a 4 ans

Pleins de secrets de famille, mais dans un milieu reculé qui plus est rural et en 1960, tu imagine la méfiance des gens dont le ciment est la superstition. Puis il y a ceux qui savent mais qui ne sont pas impliqués, mais se taisent car ils ont peur. Cette affaire dépasse la normalité, ce n'est pas un fait divers classique. Je souhaitais sortir des sentiers battus. Une simple enquête m'aurait ennuyée et aurait ennuyée mes lecteurs, elle aurait été une histoire de plus parmi tout ce qui a déjà été écris ou vu au cinéma.

Véronique Rivat

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Il y a 4 ans

Le dragon tatoué, le mari trompé qui reconnait un enfant qui n'est pas le sien, n'aurait-il pas offert la gamine en sacrifice au monde noir ? Joli chapitre 😊

Jean-Marc-Nicolas.G

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Il y a 4 ans

🙄🤔🤐

Véronique Rivat

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Il y a 4 ans

C'est tout ? 🤣🤣🤣

Sand Canavaggia

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Il y a 4 ans

A mon avis tu lui as coupé le sifflet, tu as du mettre le doigt sur une piste😂🤣😂🤣

Jean-Marc-Nicolas.G

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Il y a 4 ans

Si tu dis des choses qui risquent d'êtres lus, moi j'assume pas. Je ne sais rien de ce dragon noir, de cette secte et de cette fille qui serait donnée en sacrifice, ça, c'est toi qui le dit. Moi🤐🙄

Sand Canavaggia

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Il y a 4 ans

Je crois bien Véronique 🤣🤣j'adore,trop forte tu es🤣🤣🤣
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