Jean-Marc-Nicolas.G À la découverte des Anachorètes. Eux, savent.

Eux, savent.

— Sais-tu pourquoi nous ne décelons pas la réalité ?

— Pour quelle raison ?

— Parce que nous manquons de discernement, nous ne pensons pas comme eux. Nous manquons de circonspection, d'attention parce que nous réfléchissons comme des humains. je me mets à crier, Karl a un recul, il est stupéfait. PARCE QU’ILS SAVENT EUX. PUTAIN, NE ME LAISSEZ PAS COMME CELA… ALLEZ-VOUS M’AIDER ? RÉPONDEZ-MOI MERDE ! JE VOUS EN PRIE…

— Rachel que t’arrive-t-il ? Mais calme-toi bon sang !


Les deux gendarmes et madame Gervais viennent de sortir de la maison. Je tombe à genoux, je m’effondre en larmes. Karl s’accroupit à mes côtés et pose sa main sur mon épaule, j’entends sa voix chaude et réconfortante.


— Eh, ma belle, reprends-toi, tu es fatiguée et tu as trop à cœur de résoudre cette affaire et de découvrir ces salopards.


Karl se relève et m’aide également à me redresser, puis il s’adresse aux deux gendarmes.


— C’est bon Messieurs, il n’y a rien de grave, et faites-moi déguerpir ces deux pitres de France Soir.


Mais les journalistes avancent encore, Karl monte le ton.


— Foutez-moi le camp je vous dis, je ne vous le répéterai pas une nouvelle fois. Grosjean, Crespau flanquez-moi ces cons dans leur bagnole.


L’un des deux journalistes m’interpelle :


— Je vous avertis inspecteur, si vous avez trouvé le corps, vous devez nous le faire savoir. Sinon, je me plaindrais à votre hiérarchie pour entrave à la libre information.


Mais madame Gervais vient de lâcher un cri de désespoir comme celui d’une bête que l’on va égorger. Elle a posé son petit garçon et accourt vers nous tout en gémissant, c’est une plainte inhumaine provenant du plus profond des entrailles d’une maman qui court vers son enfant égaré.


— Putain le con ! Il a affolé la mère.


Karl s’éloigne de moi, il court de rage vers le journaliste. Il va le corriger, ça va chauffer ! Arrivé à sa hauteur, il lui décoche un crochet du droit puis du gauche, l’autre tombe à la renverse sous l’impact des coups de poing sur sa figure. Karl l’enjambe et s’apprête à le frapper à nouveau, mais au moment où il se saisit de son col et qu’il se prépare à lui donner un dernier uppercut en pleine face, Grosjean s’interpose en ceinturant Karl.


— Arrêtez inspecteur, vous allez le tuer. Il a son compte, ça va aller, calmez-vous, je vous en prie.

— Ce connard a effrayé la mère ! Espèce d’imbécile, tu sais ce que tu viens de faire ? Allez Grosjean, levez-moi cette face de crabe de ma vue.


Le journaliste se relève, tout groggy. Il s’essuie la bouche avec le dos de sa main qu’il regarde plein de sang.


— Inspecteur, vous lui avez cassé le nez et éclaté la lèvre. Je ne peux pas laisser passer ça, je serai obligé de faire un rapport.

— Faites votre rapport maréchal des logis.


Entre-temps, madame Gervais s'est rapprochée de moi. Elle titube de douleur, son regard s’accroche à l’endroit où je me trouve, elle cherche l’innommable. J’essuie mes larmes, je lève ma main pour lui signifier de stopper sa marche. J’appelle Karl, il se tourne, me regarde puis observe madame Gervais. Il se déplace vers elle pour la saisir par le bras, elle le fixe à son tour, tout le désespoir est en elle.


— Madame Gervais, ne vous inquiétez plus, il n’y a rien à voir. C’est cet imbécile de journaliste qui est affamé de faits divers croustillants. Il a pensé qu’il tenait enfin un scoop.

— Mais votre collaboratrice ? Pour quelle raison a-t-elle crié comme cela ?

— Ce n’est rien, Madame Gervais… allez, rentrez chez vous et laissez-nous faire notre travail.


Elle me jette un dernier regard de défiance, elle hésite encore un petit instant puis ajoute avant de s’en aller :


— Oui, enfin, on n’a pas idée de se mettre dans des états pareils tout de même. Mon cœur a failli lâcher. Ne faites pas ce travail Mademoiselle si vous ne vous sentez pas à la hauteur !

— Ça va aller Rachel ?

— Oui, ça va aller.

— Mais qu’est-ce qui t’a pris bon sang ?

— J’étouffe, Karl… je crois que je vais devenir folle si je ne découvre pas le mystère de cette infamie.

— Bon allons-y maintenant, nous n’avons plus rien à faire ici.

— Tu veux rentrer à l’hôtel ? Je continuerai seul.

— Non Karl, je te dis que ça va aller. Allons interroger la famille Chabaud. J’ai besoin de dénouer ce sac à nœuds.


Karl pénètre un court instant dans la maison de madame Gervais pour la remercier de nous avoir reçus. Pendant ce temps, je monte dans l’automobile des gendarmes. Crespau est déjà au volant, Grosjean attend Karl à la porte d’entrée. Ils discutent un court moment jusqu’à la voiture. J’entends ce qu’ils se disent, Grosjean s’interroge sur ma conduite et Karl le rassure, il lui dit que je suis jeune et novice qu’il faut être plus compréhensif à mon égard. Mon regard croise celui de Crespau dans le rétroviseur, il reste silencieux, interrogateur. Puis, les portières s’ouvrent, ils pénètrent dans le véhicule et Crespau démarre. Nous nous engageons sur la route, le chemin est court, décidément toutes ces maisons ne sont distantes à vol d’oiseau que de quelques kilomètres entre-elles.


***


Un vieux monsieur est assis dehors, il rempaille des chaises, pendant qu’un homme plus jeune et un adolescent vaquent dans l’étable voisine. En sortant du véhicule, une odeur de cheminée parvient à mes narines. Je regarde la toiture, une fumée épaisse et noire s’échappe du conduit. Grosjean salue le vieux monsieur :


— Salut Gaspard, ta fille est à l’intérieur ?

— Voui, el’choccuppe à l’intérieur.

— Très bien, nous allons lui parler. Il y a avec moi ces deux inspecteurs de la criminelle, ils viennent de Paris exprès pour l’affaire de ta petite fille.


Le vieil homme nous dévisage d’un air méfiant. Nous pénétrons à l’intérieur de la maison. Grosjean ouvre la marche.


— Yvette ? Bonjour, je te présente ces deux…

— Oui, je sais, deux inspecteurs de Paris. J’ai eu la Bonnieux hier après-midi qui m’a rapporté votre visite chez elle. Que voulez-vous savoir ? Ma fille a disparu dans la nuit du mardi au mercredi, la même nuit que la fille des Saint Pierre. Vous voulez voir sa chambre ?

— Oui Madame, si cela ne vous dérange pas.

— Venez, suivez-moi.


Cette maison n’a rien à avoir avec la piteuse demeure sale et sordide de madame Gervais. Ici, tout est briqué, les lits sont faits au carré, il y a une odeur de lavande qui s’échappe de la grande armoire de la chambre.


— Vous avez fait réparer la vitre de votre fenêtre ?


Madame Chabaud me regarde l’air surprise.


— Mais comment savez-vous que le ravisseur est entré par la fenêtre ? En fait, il a…


Nous sommes interrompus par la voix d’un homme. Je me retourne, c’est sans doute l’époux de madame...

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25 commentaires

Léoneplomb

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Il y a 4 ans

Risques d'ennuis pour Karl : on ne frappe pas un journaliste qui traque la vérité sur les disparitions.

Véronique Rivat

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Il y a 4 ans

Heureusement qu'on est en 1960 car aujourd'hui, je ne donnerais pas cher de la carrière du beau Kari ! Et voilà que Rachel nous fait un coup de Calgon ! Joli chapitre qui malgré la scène de violence m'a fait rire ! Je suis une psychopathe !

Jean-Marc-Nicolas.G

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Il y a 4 ans

Oui, heureusement, bien que Grosjean fera certainement son rapport et qu'une plainte sera déposée par le journaliste , mais au point où vont les choses, compte tenu des évènements qui vont suivre, cela n'aura plus d'importance par la suite. Bon dimanche.😉

Lyaminh

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Il y a 4 ans

J'espère que Karl n'aura pas d'ennuis pour avoir boxé le journaliste. Tu fais ça de nos jours, tu te retrouves montré du doigt sur les réseaux !

Jean-Marc-Nicolas.G

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Il y a 4 ans

Ah oui ça c'est clair, tu as bien raison, mais à cette époque tu sais, en 1960, les hommes étaient plus directs dans les explications, il n'y avait pas forcément plus de violence, non, bien entendu, mais ils s'expliquaient plus facilement avec les poing. C'était dans la culture sociale de ces époques, on appelait ce type de conduite, la virilité. Voir la culture cinématographique des années 30 à fin des années 60. Dans le cinéma américain, et français. Bagarres de saloons dans les westerns ou entre militaires, ou dans la rue. Côté français, Lino Ventura, Jean Gabin, Eddy Constantine etc...😉

Gottesmann Pascal

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Il y a 4 ans

La tension est à son comble et la phrase assassine du journaliste laissant croire à la mort des victimes n'est pas là pour rassurer. La réaction violente du policier est compréhensible.

Jean-Marc-Nicolas.G

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Il y a 4 ans

A qui le dis-tu, mais les journalistes à cette époque étaient plus attirés par le roman photo que par des investigations sérieuses des faits divers.
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